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Agora
Pourquoi un festival ?

Laurent Bayle

Résonance n° 15, juin 1999
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Les institutions sont garantes d'une certaine forme de permanence sans laquelle aucun projet de grande envergure ne peut vraiment se développer. Cette continuité, qui donne un sentiment de stabilité voire de force, est également une faiblesse. Avec le temps, il arrive que les contraintes de gestion et les habitudes prennent le pas sur la réflexion et l'approfondissement artistique. L'image alors se fige, puis se banalise, et les priorités deviennent de moins en moins perceptibles.

Des dangers du même ordre peuvent bien sûr guetter les festivals, mais, en principe, à un degré moindre. Événementiels, éphémères, ils ne vivent qu'à travers les échanges avec l'extérieur qui les forcent à s'adapter plus rapidement aux nouvelles donnes. Leur fragilité est tellement inscrite en eux qu'ils ne peuvent entretenir un état durable de crise.

Sans suivre à la lettre le précepte du Chêne et le Roseau, il n'est pas faux d'affirmer que, pour insuffler un air nouveau et retrouver la vitalité de leurs débuts, les institutions doivent impérativement emprunter aux festivals l'enthousiasme de leurs équipes et leur potentiel de mobilisation.

C'est dans cet esprit que nous essayons d'animer l'Ircam. Les activités fondamentales sont renouvelées : la recherche s'élargit à de plus larges cercles d'utilisateurs, la création favorise l'émergence de nouvelles générations, la pédagogie intègre des formations diversifiées. La diffusion de la musique de notre temps est également repensée : nos journées portes ouvertes, nos initiatives éditoriales et notre nouvelle médiathèque renforcent les saisons de concerts et les tournées. Enfin, des évolutions récentes nous permettent d'intégrer de nouveaux champs artistiques : le design sonore autour de Louis Dandrel et un pôle « danse/musique » animé par François Raffinot.

Ces mutations nous ont assez logiquement conduits à imaginer notre propre festival, que nous avons baptisé Agora. Depuis cinq ans déjà, notre Académie d'été proposait un rendez-vous professionnel d'une semaine en juin, accompagné de concerts. Le succès rencontré a légitimé l'adoption d'une formule ambitieuse organisée cette année en quatre volets complémentaires.

Les spectacles et les concerts
Trois semaines de manifestations (du 7 au 27 juin) témoignent de l'ambition du projet : ouverture vers la danse, l'opéra, le cinéma, présence du jazz, invitation de nombreuses formations vocales et instrumentales, oeuvres en création autour du thème de la voix.

Les portes ouvertes de l'Ircam
Le week-end qui clôt le festival (26 et 27 juin) prend la forme d'un vaste happening : nombreux rendez-vous musicaux, découverte des nouvelles technologies, débats, rencontres, visite des studios, présence d'installations multimédias.

Les films documentaires et les fictions
Quatre journées (du 10 au 13 juin), consacrées à un cycle cinématographique sur « les voix du monde et d'aujourd'hui », explorent les relations entre les traditions musicales, notamment extra-européennes, et la création artistique.

L'Académie d'été
Plus d'une semaine (du 16 au 24 juin) de cours et d'ateliers réservés à une centaine de stagiaires représente le lien indispensable entre l'initiation pédagogique et la diffusion musicale.

Bien sûr, l'existence d'une structure et de grandes lignes ne suffit pas à garantir l'opportunité et la qualité d'un projet. Sur un plan stratégique, il nous a semblé que cette initiative s'inscrirait harmonieusement dans le calendrier parisien et national. Entre Présences de Radio France en février, Musiques en scène organisé par le Grame à Lyon en mars, et, à la rentrée, Musica de Strasbourg, les 38e Rugissants à Grenoble ou le Festival d'automne à Paris, pour ne prendre que les plus importantes manifestations en France, nous avons retenu le mois de juin qui correspond à une période où l'offre de concerts est généralement plus réduite.

Des enjeux artistiques ambitieux doivent également se dégager. Nous essayons de donner à lire la création musicale dans sa diversité et son mouvement. De lutter contre un cloisonnement excessif qui conduit à un certain isolement de notre pratique par rapport aux autres arts. La présence de nombreuses formations vocales et instrumentales montre que nous ne rejetons pas le rituel du concert. Cependant, dans le droit fil de nos liens avec le chorégraphe François Raffinot, nous voulons poursuivre notre exploration de la musique dans ses relations avec la danse, le théâtre et le cinéma. La présence de Suzanne Buirge, de Karine Saporta, d'Olga de Soto, de Ligeti (Aventures et nouvelles aventures) et les créations liées aux films Nosferatu et Rashomon suggèrent fortement cette direction.

Enfin, un festival tient une place spécifique dans la ville. L'agora représentait autrefois le coeur de la cité. Les fonctions politiques, sociales, culturelles, religieuses, voire commerciales de la place publique, pensée comme une scène chargée d'échanges, ont bien sûr évolué au fil de l'histoire. L'esprit néanmoins demeure : nous aimerions qu'Agora 99 soit perçu comme un moment intense de communication. Une vie en accéléré. Chaque proposition, chaque spectacle, chaque concert raconte une histoire, témoigne d'un engagement. Notre rôle est simplement de relayer des visions, des tensions, et de confronter de multiples interprétations. Mais, en même temps, ce moment privilégié n'est pas uniquement de l'ordre de l'éphémère. Il tisse des propositions et un ensemble de rapports entre les oeuvres et les lieux qui, pour être parfois aléatoires, permettent néanmoins de dégager des contours particuliers à partir desquels l'imagination du spectateur est convoquée. Pour emprunter cette formule de Gilles Deleuze : l'enjeu est ici de « rendre pensables des forces qui ne sont pas pensables par elles-mêmes ».

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