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Résonance n° 12, septembre 1997
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Instruments virtuels, réalité virtuelle, cyber-concerts, autoroutes de l'information, studio-en-ligne, méta-instruments, hyperinstruments, simulation artificielle, morphing... L'époque est à la profusion de nouvelles terminologies, au sein d'un monde instrumental porté à ébullition. Par l'essor des technologies de l'information, par l'inventivité des musiciens et des chercheurs. Pour qui n'est pas homme de l'art, comment se repérer dans ce jargon ? Comment comprendre les motivations et les enjeux des instruments virtuels ? Trois chercheurs de l'Ircam proposent quelques éléments de réflexion, ainsi qu'une typologie des dispositifs pour s'orienter dans ce monde musical nouveau.Édito
En marge des instruments virtuels, deux question actuelles.
Réalité trop chère ? Dans le réel, les modèles virtuels ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Le " retour vers le réel ", tant annoncé, n'est encore réservé qu'à quelques simulateurs de vol ou de conduite fort onéreux.
Pourtant, la recherche musicale propose, y compris pour des applications industrielles qui n'ont rien de musical, des solutions standards et économiques (contrôleurs Midi...). Elle introduit également la Conception assistée par ordinateur : on simule à présent le son d'un flacon, d'un grille-pain ou d'une automobile avant sa fabrication. Et le designer sonore y voit un nouvel eldorado.
Réalité trop lointaine ? On résiste difficilement aux charmes de la virtualité quand Internet nous permet de jouer de ces instruments à distance. Les symphonies pour un homme seul (avec sa souris) sont peut-être au bout de l'inforoute
Les instruments virtuels sont des dispositifs musicaux qui ne visent plus
seulement à produire un ensemble d'actions prédéfinies. Il
s'agit plutôt d'accéder à des champs de possibles, certes
infinis, mais néanmoins repérés et balisés. Par
exemple : on ne construira plus un gong de cinquante centimètres de
diamètre, mais on concevra un objet gong dont le diamètre pourra
varier, jusqu'à atteindre (pourquoi pas ?) une longueur de trois
kilomètres ; on ne construira plus un archet, mais on concevra une
interaction de type corde frottée, qui pourra éventuellement agir
sur notre gong géant.
Ainsi, ces instruments désolidarisent la relation de cause à
effet inhérente au fonctionnement mécanique des dispositifs
traditionnels. Déjà à l'oeuvre dans certains instruments
comme l'orgue, cette fonction s'est largement répandue avec la
transmission électrique, puis numérique, de l'information.
Nous partirons donc de la pratique instrumentale traditionnelle, que nous analyserons symboliquement selon deux dimensions : le contrôle gestuel, c'est-à-dire l'interaction physique entre le musicien et son instrument ; et le dispositif, c'est-à-dire le fonctionnement même de l'instrument qui produit le son.
Observons le schéma d'un violoniste et d'un claviériste
dirigés par un chef d'orchestre. Le violoniste presse les cordes des
doigts de sa main gauche et avec sa main droite frotte l'archet sur les cordes.
La relation de cause à effet est évidente : le mouvement de
l'archet entretient un son dont la hauteur est déterminée par la
position des doigts. Mais le violoniste, entendant ce son, l'interprète
pour éventuellement modifier son jeu. À cette première
boucle de contrôle, il convient d'en ajouter une seconde,
résultant de la réaction mécanique de l'instrument qui
renvoie des forces sur la main droite, via l'archet, et sur les doigts, via les
cordes (voire, dans certaines situations, sur l'épaule, via le corps du
violon). Ce retour d'effort, ainsi que le nomme Claude Cadoz, est d'une grande
importance : il participe à la finesse du jeu du musicien, qui s'adapte
constamment à cette rétroaction.
Considérons maintenant notre second musicien. Il contrôle un
dispositif de synthèse sonore au moyen d'un clavier, de
potentiomètres et de pédales. Cet instrument est
déjà virtuel, bien que d'usage commun. Il peut produire une
grande diversité de sons tout en gardant le même type
d'accès gestuel. Le retour sonore subsiste, mais le retour d'effort des
touches du clavier et des potentiomètres n'a plus de rapport direct avec
le son produit. L'interaction entre l'instrumentiste et l'instrument gagne en
généralité mais perd de son évidence dans la
relation de cause à effet.
Les contrôleurs sont conçus selon deux philosophies : l'une tendant à reproduire des interfaces traditionnelles ou à s'en inspirer, l'autre visant à créer des interfaces inédites. Le principal intérêt de la première démarche est qu'elle conserve le bénéfice d'un geste expert, forgé par la culture et l'histoire. C'est le cas des contrôleurs Midi reproduisant les interfaces du saxophone, de la guitare, du violon ou du piano : le même geste, appris et cultivé, peut ainsi contrôler des événements de natures très diverses. La seconde démarche ouvre au contraire l'accès à un univers gestuel inexploré, précisément en raison des contraintes mécaniques des instruments traditionnels. Or, pour imprimer ces nouveaux gestes aux instruments, il faut d'abord les capter. C'est pourquoi de nombreux instruments virtuels comprennent des capteurs de pression, de position, de rotation et de translation, avec ou sans contact physique. Citons le système Hands développé par l'institut Steim, à Amsterdam : grâce à divers capteurs placés dans les mains, Hands déclenche des événement sonores. De même, les systèmes de capture vidéo, tels le Big Eye, de Steim, ou l'Irisis, de Collectif et Cie, repèrent la position des objets au moyen d'une caméra et déclenchent des séquences qui ne sont pas nécessairement sonores (ils sont souvent utilisés avec des danseurs). Enfin, les gants de données, truffés de capteurs, peuvent traquer les moindres mouvements de la main et des doigts pour les convertir en signaux numériques. Lorsqu'ils sont suffisamment légers et flexibles, on peut même les récupérer dans le contexte d'un jeu traditionnel, voire les utiliser pour l'étude analytique des mouvements de l'instrumentiste.
L'échantillonnage, utilisé dans certains systèmes comme
Lisa, de Steim, consiste à restituer des événements
sonores préalablement enregistrés.
La transformation, quant à elle, agit soit directement sur le
phénomène sonore (tel est le cas des effets de postproduction :
filtres, harmoniseurs, réverbérateurs, compresseurs et autres "
distordeurs " qui peuvent être contrôlés en temps
réel), soit sur une vibration mécanique qu'il s'agit de
transformer en vibration acoustique (d'où toute une série
d'instruments " électrifiés " ou " électriques ", de la
guitare au violon en passant par le piano...). Un troisième type de
transformation, active celle-ci, consisterait à modifier les
propriétés mécaniques d'un instrument en lui
insérant des actuateurs (l'inverse des capteurs) contrôlés
par ordinateur (tel est l'objet des recherches menées actuellement au
Laboratoire d'acoustique musicale de l'université de Paris VI).
La synthèse sonore la plus efficace (en temps de calcul) et la plus
répandue est la synthèse par modèle de signaux.
Contrairement à la synthèse par modèles physiques - qui
consiste à simuler, modifier et extrapoler le fonctionnement d'un
dispositif par des algorithmes informatiques -, la synthèse par
modèle de signaux ne vise qu'à réaliser les
propriétés perceptives des sons, sans se soucier de la
façon dont ils sont produits. La plupart des synthétiseurs
disponibles sur le marché reposent sur ce principe, qui se
décline en différentes techniques.
Une fois le modèle suffisamment fidèle, il devient possible de
l'extrapoler. Et d'écouter le son d'instruments à
géométrie impossible, tels un gong de trois kilomètres de
diamètre ou encore une clarinette qui se déforme tant en longueur
qu'en largeur pendant le jeu...
Toutefois, cette démarche purement scientifique débouche sur des
algorithmes de synthèse particulièrement lourds et coûteux
en temps de calcul. Si ce type de modélisation convient donc rarement
aux besoins du musicien, en particulier dans un contexte d'interaction en temps
réel, il permet en revanche de décrire avec précision des
phénomènes non linéaires et localisés que l'on
trouve dans la plupart des mécanismes excitateurs des instruments.
Plusieurs formalismes (dans une large mesure incompatibles entre eux) ont déjà été proposés et développés. Citons le formalisme mécanique de Cordis-Anima (développé à l'Acroe), le formalisme modal de Modalys (développé à l'Ircam) ou encore le formalisme des guides d'onde. Dans Cordis-Anima, une corde sera ainsi décrite comme un assemblage de masses élémentaires reliées entre elles par des ressorts ; dans Modalys et dans le formalisme des guides d'onde, elle se trouve être un module élémentaire : respectivement, l'archétype du résonateur et celui d'une propagation sans perte.
Une association moins directe, mais potentiellement plus expressive, consiste à faire dépendre certains paramètres de synthèse d'une fonction d'un groupe de variables gestuelles. L'intérêt de cette démarche est qu'elle se rapproche de la situation instrumentale traditionnelle, dans laquelle un paramètre acoustique dépend rarement d'un unique contrôle gestuel. Elle s'adresse plutôt à des interprètes experts.
Les premiers hyperinstruments ont été conçus par le compositeur Tod Machover pour son opéra Valis. L'idée était de créer et contrôler des sons complexes avec un petit nombre d'instrumentistes, jouant des instruments traditionnels enrichis par des systèmes électroniques. À l'aide d'algorithmes ad hoc, des ordinateurs suivent le geste et les intentions des musiciens.
Dans le cas de l'hypervioloncelle, la position et la pression de l'archet, la position de la corde, la pression des doigts et l'angle du poignet sont recueillis par différents capteurs. De plus, la hauteur et la puissance des notes jouées sont estimées par une analyse numérique des signaux acoustiques. L'hyperinstrument profite ainsi de la virtuosité du jeu traditionnel pour prolonger l'instrument et décupler son expressivité.
Le méta-instrument de Serge de Laubier
Le méta-instrument est un contrôleur gestuel qui permet de mesurer
la vitesse et la position de trente-deux variables continues. Ce système
direct capte ainsi les mouvements de translation ou de rotation, les
déplacements horizontaux et verticaux des bras, l'angle des poignets
ainsi que la pression imprimée par les doigts. Ils sont transmis sous
forme de signaux électriques à une interface Midi.
Si, à l'origine, il s'agissait de créer une interface
homme-machine capable de manipuler plusieurs paramètres sonores dans un
contexte de concert électroacoustique, les méta-instruments
déploient désormais un éventail d'applications autant
musicales qu'audiovisuelles.
Excitateurs acoustiques
L'excitateur acoustique est la partie mécanique ou acoustique qui
fournit de l'énergie vibratoire à l'instrument, énergie
qui sera convertie in fine en signal acoustique. Ce sont très souvent
des systèmes qualifiés de non linéaires, car ils
transforment les fréquences des signaux auxquels ils sont soumis :
ainsi, l'anche de clarinette transforme en vibration acoustique le souffle
continu de l'instrumentiste. À des fins de modélisation, les
systèmes d'excitation sont classés selon leur mode de
fonctionnement. On distingue :
Guides d'onde
C'est au début des années quatre-vingt que Julius Orion Smith
applique au domaine musical un formalisme très simple pour
représenter la propagation sans perte d'ondes planes dans un tube
acoustique. Ce formalisme mathématique, quoique simplificateur, permet
de gérer facilement à la fois les problèmes acoustiques et
les problèmes numériques (il est intimement lié à
une certaine classe de filtres résonants dont les
propriétés de stabilité et les caractéristiques
fréquentielles sont très connues). De plus, il est très
facile d'étendre l'environnement pour y inclure de nouveaux
modèles de phénomènes acoustiques, absents du formalisme
initial : par exemple, un filtre pour obtenir une coulisse (guide d'onde de
longueur variable), ou bien un filtre couplant le corps d'un instrument au
rayonnement extérieur, ou encore un système non linéaire
complexe mais localisé pour le fonctionnement des lèvres d'un
trompettiste.
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Modalys
Modalys, programme développé à l'Ircam, est une sorte
d'établi virtuel sur lequel se trouvent des objets (cordes, colonnes
d'air, plaques métalliques, membranes, chevalets de violon et de
violoncelle...) que l'on peut combiner pour créer des instruments. Des
archets, des marteaux et des plectres servent à exciter l'instrument
ainsi " assemblé ". Et l'on connecte tous ces éléments par
collage, frottement, pincement, percussion ou poussée.
Modalys utilise une vision systémique des dispositifs : chaque objet
simple est représenté sous la forme de l'ensemble de ses modes
propres, c'est-à-dire l'ensemble de ses déformations et
fréquences de vibrations privilégiées,
déterminées par sa géométrie et ses
propriétés mécaniques.
Du point de vue perceptif, Modalys offre aux musiciens la capacité de
contrôler un objet physique directement à partir de ses
fréquences de résonance. L'accès au dispositif, coeur de
l'expressivité musicale, est réalisé par l'utilisation
d'interactions simples : modèles de percussion, de pincement, de
frottement, etc. Puisque chaque objet est décrit par ses
fréquences de résonance, il n'est pas impossible d'imaginer une
mailloche de timbale interagissant sur le mode du pincement dans le corps d'une
clarinette. Adapté pour représenter des phénomènes
impulsionnels (corde pincée, plaque ou membrane frappées),
Modalys ne fonctionne pas encore en temps réel, ce qui ne permet, pour
l'instant aucune rétroaction avec l'instrumentiste.
Les modèles peuvent être couplés : pour obtenir
l'oscillation résultant du couplage des trois cordes du registre aigu du
piano, ou bien pour simuler artificiellement le couplage des trois principaux
modes de propagation des cordes (deux modes transverses et un mode
longitudinal)...
Les guides d'onde ont prouvé leur aptitude à modéliser les
instruments à vent (en particulier dans des synthétiseurs
commerciaux dits de " synthèse par modèle virtuel ") ainsi que
les instruments à cordes pincées ou frappées. Cependant,
comme ils ne se rapportent géométriquement qu'à une seule
dimension, ils ne sont pas adaptés, d'un point de vue théorique,
aux instruments à plaques (xylophones et métallophones) ou
à membranes (timbales, cimbales, etc.).
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