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Résonance nº 4, juin 1993
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Depuis sa création, l'Ircam mène une politique de développement d'outils technologiques adaptés aux besoins des chercheurs et des compositeurs. Après la 4X, qui compta parmi les premières plate-formes temps réel, les ingénieurs de l'Institut ont conçu et réalisé une machine de nouvelle génération : la Station d'informatique musicale. Présentation de la machine.
Pour nombre de compositeurs, il paraît difficile d'édifier aujourd'hui une pensée musicale conséquente sans passer par l'utilisation des techniques numériques. Pour un compositeur habitué à travailler dans un studio électroacoustique traditionnel, une station d'informatique musicale offre un environnement sans égal. Parmi les solutions actuellement disponibles, la Station d'informatique musicale de l'Ircam (ou Sim) occupe une place de choix. D'abord parce qu'elle unifie des fonctions jusqu'alors réparties entre des dispositifs distincts : synthèse, traitement des sons, synchronisation des événements musicaux et contrôle en temps réel des instruments analogiques. Reflet d'un souhait exprimé dès le lancement du projet, en 1989, cette réunion fait de la Sim un véritable ordinateur " de concert " opérant en temps réel.
Matériellement, la Sim, intégrée à l'architecture de l'ordinateur NeXT, est conçue de façon modulaire autour de trois cartes électroniques spécialisées, nommées ISPW (Ircam Signal Processing Workstation). Chacune de ces cartes comprend deux microprocesseurs Intel i860 d'architecture Risc (Reduced Instruction Set Computer), capables d'exécuter ensemble jusqu'à 200 millions d'opérations par seconde (soit une capacité de gestion de 100 oscillateurs simples ou de 100 filtres récursifs à un taux d'échantillonnage de 44.1 Khz, qui est celui du disque compact) et une large zone de mémoire permettant de stocker un grand nombre d'échantillons de sons. Cette réduction du nombre des microprocesseurs s'est révélée capitale, puisqu'elle a permis aux concepteurs de la Sim d'unifier la synthèse et le contrôle en temps réel, ce qui représente un progrès notable par rapport à la 4X. L'exploitation d'un seul microprocesseur assurant à lui seul ces opérations sous Unix est prévu pour l'horizon 2000.
Pour offrir un nombre satisfaisant d'entrées et de sorties de sons analogiques et numériques, une petite carte (Piggy board) s'est greffée sur la carte principale : 8 lignes AES/EBU (standard des lignes audionumériques), dont 4 peuvent être analogiques, sont ainsi disponibles. Ces lignes servent de liaison entre les différentes machines numériques pour l'enregistrement ou la transmission. Multipliées par le nombre de cartes, ce sont donc 24 entrées audio qui sont disponibles pour le traitement des instruments acoustiques.
Des connections en réseau local ou public permettent en outre aux 60 Sim d'ores et déjà utilisées dans plusieurs conservatoires et centres de recherche et de création du monde entier (en Espagne, Suède, Finlande, Allemagne et Belgique, mais aussi au Japon, aux U.S.A., au Canada, au Brésil et en Australie) de partager leurs ressources. Cette communication, rendue possible grâce à la commercialisation de la Sim assurée par la société américaine Ariel, se révèle de première importance, car elle garantit une stabilité appréciable des méthodes de production et favorise la constitution d'un véritable répertoire musical.
Mais l'enjeu principal de la Sim est son environnement logiciel, conçu pour être porté sur plusieurs générations de matériel. Actuellement, les logiciels pratiqués par les compositeurs sont Max (ainsi intitulé en hommage à Max Mathews, pionnier de l'informatique musicale), l'exécutif FTS (Faster Than Sound) et l'éditeur de sons. Conçu initialement pour le MacIntosh et disponible aujourd'hui sur NeXT, Max, écrit en langage C, permet la programmation graphique des algorithmes de synthèse, de traitement et de contrôle exécutés en temps réel par FTS. L'algorithme de synthèse est défini par un " patch ", comme une collection de boîtes reliées entre elles par des lignes. Ainsi miniaturisée et interactive à l'écran, cette écriture décrit un câblage virtuel entre les différents opérateurs spécialisés dans le traitement du signal sonore (filtre, transformée de Fourier rapide, retard, oscillateur, table d'onde, vocoder, réverbération, générateur et suiveur d'enveloppe, etc.). Ces opérateurs sont mis à la disposition du musicien dans une bibliothèque qui contient également les principales techniques de synthèses actuellement utilisées (modulation de fréquence, synthèse formantique, additive, etc.). Indépendamment de la synthèse, le contrôle des entrées permet de jouer sur la hauteur, la durée, le timbre ou tout autre paramètre du son. De son côté, l'éditeur permet de manipuler les sons grâce à une représentation graphique des sons à la fois au niveau spectral (amplitudes et fréquences) et temporel (hauteurs et temps). Tout son est en outre directement enregistrable sur disque sous forme numérique.
La synchronisation en temps réel entre la partie électronique et le jeu des instrumentistes reflète un autre souci des concepteurs de la Station de l'Ircam. La corrélation de l'univers sonore électronique et du geste vivant du musicien a toujours été l'un des enjeux fondamentaux de la musique électroacoustique. Avec la Sim, qui offre une grande flexibilité d'interaction, l'Ircam semble avoir atteint un premier objectif du projet développé depuis près de dix ans dans la technologie du " suivi de partition ". Les sons joués sur scène par le musicien ou les informations extraites de son jeu (hauteur et dynamique essentiellement) sont aussitôt reconnus par l'ordinateur et situés instantanément dans la partition mémorisée par la machine. C'est donc l'instrumentiste qui déclenche désormais les divers événements électroniques (spatialisation, réverbération, transformations, etc.)
Les oeuvres produites à l'Ircam font déjà un large usage des possibilités de la SIM (la préparation de l'opéra de Philippe Manoury ; Prés de Kaija Saariaho...). Il est par ailleurs toujours possible d'importer sur la nouvelle station les partitions qui ont été réalisées antérieurement sur la 4X (comme cela a été fait pour Répons de Pierre Boulez ou Antara de George Benjamin). Une bilbiothèque conserve en outre les configurations de synthèse définies par chaque compositeur, offrant ainsi un corpus d'expériences mis à la disposition des nouveaux utilisateurs.
En termes d'utopie, on pourrait souhaiter qu'une interface graphique puissante, semblable à celle des stations de CAO, soit un jour développée sur la Sim et espérer qu'elle débouche sur une écriture électronique aujourd'hui encore inexistante. A l'instar de ce qui existe en matière de synthèse d'images, il semblerait intéressant en effet que le musicien puisse décrire les divers paramètres du son (temps, fréquence, amplitude, distance, localisation) selon une représentation pertinente pour la culture du musicien. Equipée d'une telle capcité de représentation, la Sim pourrait alors gérer la complexité des associations entre les différents " objets sonores " actuellement définissables. Sans rejeter le caractère instrumental de la Sim, cette prolongation graphique en ferait alors une véritable plate-forme d'" orchestration des champs acoustiques du XXIe siècle ".
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