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Intégrer le multimédia dans la bibliothèque

Michel Fingerhut

Documentaliste - Sciences de l'information novembre/décembre 1997
Version revue et étendue de l'article paru dans Culture et recherche n° 61, février 1997.
Copyright © Ircam - Centre Georges-Pompidou 1997


La Médiathèque de l'Ircam1 - inaugurée et ouverte au public le 13 juin 1996 au terme d'un projet d'informatisation qui aura duré un an - propose à ses visiteurs un accès direct, simple et intégré à des fonds appelés communément multimédia (papier, enregistrements sonores, photos, vidéos et CD-Rom). L'infrastructure technologique, innovante et performante, est discrète et «banale», l'ordinateur n'étant qu'une fenêtre qui se veut la plus transparente possible entre le visiteur et le document recherché.

La diversité des fonds, du matériau et du public

La gageure était de taille: créer, en un an, un système qui offrirait à tout visiteur un accès «banal» à des fonds documentaires sur des supports divers qui ne coexistaient pas jusque-là.

On partait d'une bibliothèque traditionnelle - non par les contenus du fonds (essentiellement consacrée à la musique contemporaine et aux sciences et technologies connexes), mais par sa nature: des documents papier (livres, revues, partitions musicales). Un logiciel bibliothéconomique (offrant les fonctions de recherche dans le catalogue pour les visiteurs, et de catalogage et circulation pour les documentalistes) était disponible sur un petit réseau de PCs.

D'autre part, un fonds de quelque 2 000 enregistrements de concerts et de manifestations autour de la musique contemporaine s'était constitué durant les vingt ans de l'existence de l'Ircam. Documents parfois uniques (créations d'oeuvres, par exemple), mais inaccessibles jusqu'alors: l'Ircam pouvait enregistrer, mais ne pouvait écouter (ni, a fortiori, faire écouter) ces archives: question de droits. Enfin, un fonds de disques compacts (disponibles dans le commerce) et de CD-Roms commençait à se constituer, difficilement consultable.

En juin 1995, l'Ircam démarre le projet d'informatisation, conjointement à une réhabilitation architecturale, visant à transformer cette bibliothèque en médiathèque, à la reloger au sein de l'Ircam (d'où elle était absente faute de place) et à l'ouvrir à tous: chercheurs, informaticiens, acousticiens, ingénieurs et techniciens; compositeurs, instrumentalistes et musicologues; étudiants et enseignants universitaires; et enfin toute autre personne intéressée par ces domaines. Certains possédant une forte culture technologique et d'autres plutôt méfiants à l'égard de celle-ci, tous à la recherche de documents de qualité de contenu et de présentation.

La question des droits d'écoute étant en passe d'être résolue, les fonds préexistants allaient être réunis. A cette occasion, la constitution de plusieurs autres collections est lancée: films documentaires sur la musique contemporaine; articles scientifiques et musicaux des chercheurs et musicologues de l'Ircam, ou publiés dans ses revues; biographies illustrées de compositeurs contemporains et des notices musicologiques sur leurs oeuvres. La Médiathèque est inaugurée et ouvre ses portes au public en juin 1996, le système informatique étant opérationnel.

Un accès immédiat aux documents

En entrant dans la Médiathèque, l'oeil du visiteur se pose directement sur les livres, auxquels il a accès sans intermédiaire humain ou électronique, en déambulant devant les étagères. Cet accès libre, indispensable, doit évidemment être complémenté par un mode d'accès systématique, offert, lui, par un catalogue informatisé. Cette informatisation se devait d'être discrète: un moyen simple et efficace d'accéder aux documents, et non pas une barrière technologique.

Le catalogue sert à localiser un document recherché. Dans le cas d'un livre ou d'une partition - inaccessibles par ordinateur - une cote2 s'affiche à l'écran, et le lecteur peut alors le récupérer. Tous les autres types de documents sont fournis directement par l'ordinateur, que ce soit une biographie de compositeur, un article scientifique, une archive sonore d'un concert ou d'une conférence, une vidéo ou un CD-Rom: au lieu d'une cote, l'ordinateur affiche un symbole permettant à l'utilisateur de signifier qu'il souhaite consulter l'exemplaire, comme dans la notice ci-contre, où une icône indique la possibilité de visionner la vidéo directement, sur le poste de consultation, sans avoir à utiliser de magnétoscope ni à charger manuellement une cassette.

L'informatique a en effet permis de banaliser l'accès à tous ces médias, tout en évitant au visiteur d'avoir à utiliser une pléthore de gadgets électroniques ou des postes spécialisés: l'ordinateur possède un écran, et sur cet écran on peut aussi bien lire un texte que regarder une vidéo. Il possède des moyens de contrôle (clavier, souris) qui peuvent servir non seulement à saisir du texte, mais à piloter un lecteur de disques compacts ou un magnétoscope, pour peu que l'on affiche à l'écran les fonctions habituelles (marche, arrêt, etc.). Il suffit de lui rajouter des capacités sonores avec sortie sur casque pour permettre l'écoute d'enregistrements ou de la bande sonore d'une vidéo.

Cette entrée de l'informatique a pu donc se faire discrètement: un écran, un clavier, une souris et un casque. Pas d'unité centrale (bruyante, elle est «dans les coulisses»), pas de lecteur de disques compacts et de CD-Rom, ni de magnétoscope ou écrans de télévision: le pilotage du multimédia (son, vidéo et CD-Rom) se fait à l'écran - comme le montre l'image ci-contre du contrôle utilisé pour piloter l'écoute d'archives ou de disques compacts - sur lequel apparaît la représentation des contrôles familiers pour tout utilisateur de disque compact (ou de magnétoscope). L'auditeur peut passer de piste à piste, boucler dans une piste, s'y déplacer en avant ou en arrière, comme sur un lecteur physique. Il peut aussi, en se servant de la fenêtre Historique, revenir aux enregistrements ou aux vidéos précédemment consultés (à l'image de la pile de disques compacts et de cassettes vidéos qui s'amoncelle près de la chaîne hifi...), voir le contenu des pistes (bouton Infos) ou régler le volume (ainsi que le contraste et la luminosité, pour la vidéo).

S'il y a un aspect «virtuel» à ce dispositif, c'est bien la dématérialisation des supports et des contrôles: plus de disque à charger dans un lecteur, plus de lecteur à piloter manuellement. L'utilisateur n'a pas besoin de savoir où se trouvent les documents directement accessibles par l'informatique - que ce soit un disque compact se trouvant dans un jukebox, ou un texte stocké sur un disque dur d'un serveur à l'Ircam ou à l'autre bout de l'Internet. Le geste, toutefois, reste familier: l'utilisateur indique le document souhaité en pointant dessus (à l'aide de la souris).

Ainsi, le multimédia n'est pas dans l'interface, mais dans les contenus. Les documents ne sont pas uniquement juxtaposés dans un même lieu physique (que l'on appelle alors facilement médiathèque), mais intégrés techniquement (tous accessibles du même poste, par les mêmes moyens d'accès) et éditorialement (les possibilités de passage d'un document à l'autre dépendent surtout de leurs contenus connexes plutôt que de leurs supports originaux).

Des grilles personnalisées de lecture contextuelle

La diversité sous-jacente des supports et des collections ne doit pas se refléter dans une complexité des modes d'accès proposés: l'interface est en conséquent aussi transparente et banale que possible, visant à structurer l'offre et à y offrir des grilles de lecture au choix du visiteur: le même document (par exemple: la biographie d'un compositeur) peut être retrouvé au moyen d'une recherche dans le catalogue en ligne, ou en consultant des listes de documents du même type ou contenu (liste alphabéthique, liste par pays d'origine, liste par date de naissance...).

Le catalogue n'offre donc qu'un des modes d'accès aux fonds directement accessibles par l'ordinateur. Chaque collection est aussi identifiée séparément (articles scientifiques et musicaux, notices biographiques et musicologiques, CD-Roms...), constituée en une rubrique autonome. Le lecteur peut la consulter directement et y errer, comme il le ferait devant une étagère regroupant des livres ou des revues sur un même sujet.

Quel est l'intérêt d'offrir une lecture informatique de textes, souvent plus agréables à lire sur le papier qu'à l'écran? Ce sont les rapports établis entre eux quelque soit leur support, tout d'abord: si un article en cite un autre, dans le cas de la version papier il faudra aller retrouver l'article cité, souvent localisé physiquement dans un autre magazine ou volume; tandis que sur un écran il est possible de passer directement à l'article cité.

Un autre avantage se trouve dans la personnalisation de la recherche documentaire: ce système offre la recherche par texte intégral, permettant au lecteur d'effectuer des recherches de documents (plus de 12 000 textes indexés), dans toutes les catégories ou dans certaines, au choix, en spécifiant des mots, des phrases ou des formes du contenu ou du titre, des noms d'auteurs et de compositeurs, et de consulter immédiatement les choix proposés par l'ordinateur.

La lecture contextuelle n'offre pas que des avantages: à force de passer ainsi d'une référence à une autre, le lecteur peut perdre le fil de son parcours. Pour lui permettre de s'y retrouver facilement, la «carte du territoire» a été conçue le plus simplement et intuitivement possible: tous les écrans ont la même forme; tous permettent de revenir directement vers chacune des rubriques principales; enfin, l'outil de consultation (Archimed Explorer) ne présente que les contrôles nécessaires à la consultation, d'où la simplicité dans la présentation.

Une ouverture contrôlée

Ce projet étant conçu sur les réseaux informatiques internes de l'Ircam, eux-même reliés à l'Internet, il était possible d'ouvrir ce système à l'accès externe. Cette ouverture s'est faite de façon contrôlée dans les deux sens: de l'Ircam vers l'Internet, et de l'Internet vers l'Ircam.

Le visiteur de la Médiathèque peut consulter un choix raisonné de ressources disponibles sur l'Internet, hors Ircam (ci-contre, les principales catégories offertes): il s'agit notamment de catalogues d'autres bibliothèques, de revues musicales, de services d'information d'organismes musicaux... Ce choix a été établi en fonction des centres d'intérêt que représentent les fonds de la Médiathèque, et comme un complément partiel à une recherche dans les fonds de la Médiathèque. Il fallait éviter de transformer ce lieu en cybercafé - ce n'était pas sa vocation et ce n'est pas dans ses moyens (Archimed Explorer permet d'imposer des sélections de ressources externes). Un périodique de veille technologique, L'OEil du Système, disponible en ligne, complémente ces dispositifs en offrant un choix hebdomadaire commenté d'informations sur des thèmes aussi variés que la musique, l'informatique, les nouvelles techniques documentaires, etc.3.

Inversement, tout utilisateur de l'Internet peut consulter une partie des ressources offertes par les ordinateurs de la Médiathèque4: il s'agit de celles qui ne sont pas protégées par les droits d'auteurs, de compositeurs ou d'interprètes (les catalogues, certains textes d'articles). Pour faciliter cette utilisation pour tout «internaute», les écrans de consultation sont disponible en français et en anglais. Quant aux archives musicales, aux disques compacts, aux vidéos et aux CD-Roms - ceux-ci ne peuvent être consultés qu'intra muros. Ce n'est d'ailleurs que dans la Médiathèque que ce dispositif informatique fait totalement sens, en relation avec les livres et les partitions, d'une part, et avec les documentalistes guidant le public, d'autre part: on ne peut faire l'impasse ni sur les documents physiques, ni sur l'élément humain. Seul, ce système n'offre qu'une vision partielle de toute la richesse de la documentation disponible in situ et des compétences humaines servent à la mettre en valeur et à la rendre accessible.

La protection des droits des auteurs, interprètes et éditeurs est assurée pour tout document proposé en ligne. Au sein de la Médiathèque, le visiteur a ainsi accès à tous les textes, enregistrements, films et CD-Roms disponibles en ligne, mais il ne peut les recopier (ni imprimer ou enregistrer). Un utilisateur distant -- à l'Ircam hors Médiathèque, ou hors Ircam -- ne pourra ni écouter les archives sonores ni visionner les films. Le mécanisme mis en place permet même de déterminer des niveaux d'accès différents à des parties de documents, dont certains paragraphes ou illustrations (photos) ne sont visibles que sur les postes de lecture de la Médiathèque, celle-ci ne possédant pas les droits de les diffuser ailleurs.

Un projet original et novateur

Les idées qui ont nourri la réflexion sur ce projet étaient en partie dans le vent (les magnifiques Archivo General de Indias à Séville, la Médiathèque de Valenciennes ou le projet Variations à l'Université d'Indiana). De tous ces projets, c'est le seul qui intègre dès le départ tous médias et supports (texte, image, son, vidéo, CD-Rom) dans leur intégralité (qualité et durée). Cette intégration n'est pas uniquement technologique, mais éditoriale («liens» entre les documents significatifs).

Les standards documentaires et informatiques ont été respectés à tous les niveaux du projet (UNIMARC pour les notices bibliographiques, MPEG pour l'audio et la vidéo, HTML pour les textes numérisés, TCP/IP pour les réseaux internes et externes, HTTP pour la communication hypertextuelle en réseau, etc.): le but était d'établir une compatibilité maximale avec des systèmes d'information et catalogues externes (sur l'Internet, sur CD-Rom), de permettre l'établissement de passerelles là où cela s'avère intéressant et de pouvoir utiliser des composantes informatiques logicielles et matérielles standard (voire gratuites, pour certains logiciels), tout en offrant du matériau écrit et sonore de qualité professionnelle. Les postes de consultation sont des PC, le réseau de l'Ethernet5.

Une particularité de ce projet est d'avoir été un projet informatique qui a tenu dans les temps (un an du lancement à l'inauguration et ouverture simultanées au public) et dans les budgets prévisionnels (1,5MFrs, matériels, logiciels et prestations y comprises), l'un comme l'autre très restreints. Une petite équipe, interne à l'Ircam, a réalisé la conception, la maîtrise d'oeuvre, une partie du développement, la rédaction des textes, la numérisation, la gestion des droits et l'intégration.

C'est un projet réalisé avec des partenaires français (le catalogue par Ever, une société lyonnaise, le multimédia par Archimed, une société lilloise), et des technologies essentiellement françaises (Bull, CCETT, Digigram...).

Au delà de l'originalité du concept global, on y trouve quelques innovations technologiques particulières. Par exemple: l'écoute à la demande sur un réseau informatique de disques compacts stockés dans des jukebox est, à notre connaissance, une première technologique, et qui pourra intégrer ultérieurement les technologies émergentes de DVD (le nouveau standard de disques compacts pour la vidéo). La conception technique en a été faite à l'Ircam, et sa réalisation est due à l'ingéniosité d'Archimed.

Enfin, ce projet n'est pas particulier à la nature des fonds spécialisés de l'Ircam (musique contemporaine): ce concept peut être réutilisé dans tout contexte documentaire. Il est très souhaitable que le protocole de recherche documentaire en réseau, Z39.50, s'implante enfin rapidement en France et en Europe6, de façon uniforme et compatible, pour réaliser un bien meilleur partage de ressources de ce type que ne le permet le protocole HTTP du Web.

Notes

  1. La Médiathèque se trouve à l'Ircam, 1 place Igor-Stravinsky, 75004 Paris. Elle est ouverte à tout public lundi, mercredi et vendredi de 10h à 19h, jeudi de 12h à 19h et samedi de 13h à 19h.
  2. Code indiquant l'emplacement physique de l'exemplaire sur les étagères.
  3. Disponible à l'adresse http://mediatheque.ircam.fr/oeil/
  4. L'adresse sur l'Internet est http://mediatheque.ircam.fr/
  5. Un descriptif détaillé des technologies utilisées est disponible en ligne à l'adresse http://mediatheque.ircam.fr/technologies/
  6. Cf. les travaux du forum européen Efila, visant à interconnecter et intégrer les services de bibliothèques: http://www2.echo.lu/libraries/en/projects/efila.html.

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