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L'ère du multimédia

Denis Fortier

Résonance nº 6, mars 1994
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En quelques années, l'interactif a transformé le paysage des communications et s'apprête à bouleverser nos antiques modes de pensée. Nous voici désormais de plain-pied dans l'ère du multimédia. Une fois n'est pas coutume : les musiciens semblent avoir ici quelques pas d'avance.

Télévision interactive, édition électronique, compact disque interactif, bornes de consultation, mondes virtuels... les nouveaux outils de communication annoncent à l'évidence une ère nouvelle en matière d'accès aux informations. L'alliance aujourd'hui incontournable entre l'informatique, la production audiovisuelle et la télécommunication aboutit à la création d'un mode d'échanges de données inédit. La numérisation des images et du son peut être assimilée à un nouveau « langage commun » intégrant dans une même logique d'échanges un film, une émission de télévision, un jeu vidéo, une encyclopédie, ou bien encore un concert.

Un programme multimédia comporte donc des images, fixes ou animées, des graphismes, du texte écrit, du son (commentaires, musique, ambiances, effets spéciaux). Toutes ces informations sont gérées par un « moteur » informatique, logiciel spécifique permettant de naviguer parmi les données selon les besoins propres à chaque utilisateur. Certains systèmes, plus complexes, communiquent par réseau téléphonique avec une base de données.

On line / off line

L'informatique, par l'intermédiaire du logiciel, mais également du microprocesseur et du module de traitement du signal (DSP) est au coeur de ces installations multimédia, du poste individuel, Macintosh ou PC, aux systèmes plus complexes en réseau. Il convient toutefois de distinguer les différentes configurations multimédia.

Les systèmes on line sont constitués d'un terminal relié à une ou plusieurs banques de données. D'une certaine manière, le Minitel est l'aîné de ce type d'installation multimédia, bien que le son en soit absent et la définition des images médiocre. La liaison s'effectue ici par une ligne de téléphone classique, ce qui n'autorise qu'un débit relativement restreint de données à la seconde. D'où une lenteur certaine et la pauvreté de l'affichage.

Les « bornes interactives », que l'on retrouve dans de nombreux lieux publics (gares, aéroports, centres commerciaux, etc.), constituent l'une des applications multimédia de service les plus courantes (renseignements, horaires, réservation, délivrance de tickets). De nombreux sites culturels (musées, galeries d'arts, médiathèques) exploitent des bornes interactives moins prosaïques. Ces programmes multimédia viennent, selon les cas, renforcer la muséographie, apporter des éléments d'information ponctuels dans les domaines historiques, techniques, pédagogiques ou bibliographiques.

Les applications multimédia de type off line, ou personnel, concernent des installations fonctionnant de façon autonome. La banque de données est reportée sur un support individuel directement géré par un micro-ordinateur classique devenu terminal multimédia. Voyant poindre un nouveau marché dans un secteur par ailleurs essoufflé, les leaders de la micro-informatique, Apple, Microsoft et IBM en tête, ont largement contribué à promouvoir ce type d'installations.

La guerre des disques

Les données, images et sons, sont stockées sur un support semblable au disque compact audio. On dénombre d'ores et déjà au moins deux grands standards incompatibles entre eux, bien qu'extérieurement identiques. Le standard CD-ROM, disponible sur Apple ou compatible PC, est dédié aux installations de type informatique personnel (micro-ordinateur avec clavier, écran et lecteur de CD-ROM). Les applications sont plutôt liées à un domaine éducatif et informatif.

Le compact disque interactif (CD-I) développé par Philips vise un marché grand public, entre éducation et loisir. Nul besoin d'un environnement informatique extérieur : le lecteur de CD-I se branche directement sur le téléviseur. Les manipulations interactives s'effectuent à l'aide d'une télécommande, proche de celle équipant les consoles de jeux.

Un formidable enjeu financier

Qualifiée par les analystes financiers il y a encore à peine cinq ans de serpent de mer, l'industrie du multimédia explose littéralement. The Economist, journal financier britannique, titrait récemment sur « l'an 1 du multimédia ». Il est vrai que l'article saluait la fusion de Bell Atlantic, compagnie américaine de téléphonie, avec TCI, premier opérateur de câbles aux États-Unis. A la clef de cet accord, une transaction de près de trente-trois milliards de dollars (plus de cent quatre-vingts milliards de francs !), la plus importante de l'histoire de Wall Street. L'engouement des investisseurs s'expliquent lorsqu'on analyse plus en détail le marché potentiel visé par ce nouveau dinosaure de la communication. Un marché qui englobe la télévision interactive, l'édition électronique, les banques de données spécialisées, l'industrie des services, comme les jeux électroniques.

Le réseau câblé, dont TCI s'est fait une spécialité, permet en effet de véhiculer des centaines de programmes via une simple fibre optique d'un diamètre de quelques dixièmes de millimètres seulement. Des programmes d'origines très diverses, de la vente par télé-achat à la consultation de banques de livres électroniques proposant aussi bien des ouvrages scientifiques que des guides pratiques de bricolage.

Les constructeurs de consoles et programmes de jeux électroniques, comme Nintendo ou Séga, développent également, chacun de son côté, des projets de plates-formes multimédia reliées à un serveur central, infiniment plus puissant que les actuelles cartouches de jeux individuelles. L'environnement sonore de ces jeux, actuellement plutôt pauvre, devrait s'enrichir considérablement. L'industriel japonais Roland travaille sur un carte de traitement du signal capable de générer un environnement sonore tridimensionnel en relation avec une vision stéréoscopique s'affichant dans un casque spécial destiné aux programmes de jeux virtuels.

Les grandes manoeuvres

Cet enjeu technique et commercial se double d'un enjeu culturel. Pour Scott Marden, l'un des dirigeants de Philips International, « la nouvelle frontière passe par la maîtrise des programmes audiovisuels eux-mêmes ». En d'autres termes, l'attrait des données circulant à l'intérieur de la fibre ou inscrit à la surface du disque est bien plus important que le support lui-même, aussi sophistiqué soit-il. D'où toute une série de rapprochements, de rachats et de contrats signés entre certains grands groupes (IBM, Microsoft, Matsushita) et un grand nombre de sociétés de productions.

Les programmes accumulés depuis près d'un siècle par ces fameuses majors ont de quoi susciter la convoitise. Le rachat, il y a quelques années, de CBS par Sony, l'association plus récente entre le groupe éditorial et multimédia Time-Warner et TCI, sont à l'image de ces grandes manoeuvres culturelles et commerciales. En France, la société Pathé Interactive est le fruit d'un accord liant la branche multimédia de Philips au groupe Chargeurs (films Pathé). Matra-Hachette devrait également s'associer de façon ponctuelle autour de ce premier pool multimédia hexagonal.

En consacrant pour la première fois en octobre dernier un hall entier aux publications électroniques, les organisateurs du salon du livre de Francfort ont provoqué une véritable révolution chez les éditeurs. Le taux de croissance mondial, de l'ordre de 30%, du parc des lecteurs de CD-ROM et de CD-I laisse rêveur : on dénombre aux États-Unis et au Canada environ trois millions de micro-ordinateurs PC équipés de cartes audio et d'un lecteur de CD-ROM. Tous systèmes confondus, le parc atteint d'ores et déjà cinq cent mille unités au Japon et sept cent mille en Europe (dont deux cent cinquante mille en Grande-Bretagne, autant en Allemagne et cent mille en France). Le taux de croissance moyen en Europe du parc des lecteurs est de 150 % l'an, ce qui permet d'envisager un parc de quatre millions de lecteurs d'ici la fin 1995.

Face à un tel potentiel, certains éditeurs « papier », pourtant prudents jusqu'ici, s'apprêtent à franchir le cap de l'édition électronique. Ces deux univers sont par la force des choses condamnés à s'entendre. D'où les rachats et les prises de participation qui se multiplient actuellement.

Un casse-tête juridique

Le coût de production d'une publication multimédia éditée sur CD-ROM s'établit à l'intérieur d'une fourchette allant de un à trois millions de francs. Les frais de développement et de production se situent en moyenne autour de 50 à 60 % du budget. Une part très importante est donc réservée à la rémunération des droits d'auteur, d'interprétation ou de reproduction.

Les prétentions souvent exorbitantes des ayants droits s'expliquent notamment par le caractère inadapté de la législation. Le problème posé par le mélange d'images et de sons d'origines diverses présenté sur des disques ou transmit via des supports immatériels (lignes téléphoniques, cables, etc.) nécessite la mise en place urgente d'un nouveau cadre juridique. En attendant, certains producteurs sont contraints de surseoir à leur projet.

Incapables le plus souvent de faire face, les réalisateurs se rabattent pour leurs productions sur des CD-ROM spécialisés, libres de droit, destinés aux réalisations multimédia. Chaque disque contient des centaines de photographies, dessins, schémas classés par thème. Les extraits et clips musicaux y sont généralement d'une affligeante pauvreté.

Ces investissements financiers importants incitent les partenaires (producteurs, éditeurs, etc.) à se regrouper et à élaborer des versions multilingues visant un marché plus large. Ce dernier point n'est pas sans conséquence sur le plan du contenu, notamment pour ce qui concerne les programmes éducatifs et culturels, tant l'approche du sujet peut dans certains cas varier d'un pays à l'autre.

Parmi les groupes éditoriaux les plus actifs, Matra-Hachette devrait former à terme une force de premier ordre au plan européen, en exploitant sur support électronique le richissime fonds de catalogue amassé boulevard Saint-Germain. TF1 ne cache pas non plus ses ambitions face aux bastions de l'édition. La production française demeure cependant relativement pauvre. Sans doute les coûts de production sont-ils souvent plus élevés qu'ils ne le sont dans les autres pays, notamment anglo-saxons. Ce surcoût, qui décourage les éditeurs et producteurs potentiels, s'explique en partie par la difficulté de trouver des images et des sons à un prix raisonnable et par le manque d'expérience des producteurs. Au-delà de l'aspect financier, les sujets et l'approche culturelle de la production française ne lui permettent guère de sortir du marché hexagonal. Avec un parc de cent mille lecteurs, impossible de rentabiliser un programme d'envergure, aussi intéressant soit-il. La conquête du marché mondial est donc une nécessité absolue. Certains programmes développés récemment en France sont d'ailleurs traduits en plusieurs langues, dont l'anglais.

Musique Assistée par le Multimédia

Dans le domaine de la musique, le titre Musical instruments, produit par Microsoft, retient l'attention, tant l'adéquation entre l'image et le son est cohérente. L'objet principal de ce CD-ROM est de faire découvrir l'univers des instruments de musique via de nombreuses entrées (sonorités, lutherie, musicologie, histoire, formes musicales, atlas, etc.). L'arborescence permet de naviguer aisément à travers les données, sans risque de se perdre ou de succomber sous le flot d'informations. L'ensemble constitue un document pédagogique parmi les plus complets dans le domaine des programmes multimédia musicaux.

Les débuts du multimédia musical sont pour l'instant modestes. En France, les catalogues des distributeurs de CD-ROM et de CD-I n'offrent en tout qu'une vingtaine de titres. L'angle pédagogique est certainement le plus porteur, tant l'application paraît évidente (analyse, composition, orchestration, solfège, etc.).

L'expérience menée dans ce domaine par la compagnie californienne Voyager se révèle intéressante. La collection Companion Series sur CD-ROM comprend aujourd'hui six titres. Chacun de ces titres est consacré à l'analyse musicale d'une grande oeuvre du répertoire (Neuvième Symphonie de Beethoven, Symphonie du Nouveau monde de Dvorak, etc.). L'analyse est accompagnée d'une biographie du compositeur et d'éléments organologiques, sociologiques et historiques. L'oeuvre musicale elle-même peut être écoutée indépendamment sur un simple lecteur de disque compact.

Un large public devrait également trouver dans ces nouveaux supports une initiation à la musique particulièrement attrayante, loin des méthodes traditionnelles souvent rébarbatives. Quoique de qualité inégale, plusieurs méthodes multimédia existent d'ores et déjà pour certains instruments tels que la guitare ou le piano. Philips édite notamment trois CD-I d'initiation à la guitare classique, jazz et rock.

Les encyclopédies musicales forment un secteur d'application encore peu exploité, malgré quelques projets ambitieux actuellement à l'étude. Warner New Media s'est ainsi lancé dans une série en plusieurs volumes consacrée à une histoire de la musique classique. A signaler également les portraits de grands jazzmen et de certaines personnalités de la musique populaire nord-américaine éditées par Philips (sous CD-I), ainsi que chez l'éditeur Compton, spécialisé dans les encyclopédies. Ces programmes comportent à la fois les plus célèbres morceaux du musicien concerné, ainsi que des éléments biographiques et des photos d'archives.

Un terrain à enrichir

Ces exemples prouvent que la musique est un champ de connaissances propice à la galaxie multimédia. La majorité des éditeurs électroniques s'accorde d'ailleurs à reconnaître cette relation privilégiée. Joindre le geste au son, relier « en direct » l'interprétation à la partition, étudier et modeler la sonorité d'un instrument en le construisant de façon virtuelle sur un écran, constituent autant d'application particulièrement novatrices.

Comparativement aux artistes des autres domaines, les musiciens sont en outre incontestablement les plus aptes à se servir de ces nouvelles machines communiquantes. Le développement et la création des programmes multimédia s'inspirent en effet largement des méthodes couramment employées en informatique musicale. Comparé aux interfaces MIDI, aux synthétiseurs et aux multiples outils des home studios, le lecteur de CD-ROM n'est guère plus qu'un simple périphérique complémentaire. Le monde musical a depuis longtemps appris à annexer les ultimes développement de la technologie et à en tirer un parti créatif. Il n'est donc guère étonnant que les réalisateurs de produits multimédias musicaux soient pour la plupart issus non du monde de l'édition traditionnelle, mais du milieu de l'informatique musicale. Gageons qu'ils sauront plus que d'autres donner tout son essor à un domaine où beaucoup reste à inventer.

Activision

La télévision interactive s'apprête à envahir les écrans américains (en attendant de franchir l'Atlantique). Son extraordinaire capacité en matière de diffusion simultanée en fait l'un des outils multimédia du futur les plus puissants. Dans ce système, le téléviseur familial s'apparente à un terminal. Un simple téléphone, ou une « boîte noire » équipée de certaines fonctions, permettra à chacun d'agir en temps réel sur le déroulement du programme.

Plusieurs sociétés californiennes planchent d'ores et déjà sur un système où chaque spectateur pourra, par exemple, choisir lui-même l'angle de prise de vues au cours d'une retransmission sportive ; il devrait également être possible de rejouer, à la demande, les ralentis des meilleures actions ou d'afficher les scores dans une fenêtre spécifique de l'écran. Reliée à une médiathèque ou à une université, la télévision interactive permettra d'en consulter depuis son fauteuil le fonds documentaire et de recevoir des images, du texte et du son numérisé.

Dans le domaine musical, la retransmission de concerts via le réseau câblé interactif devrait donner lieu à des applications inédites : choix là encore de la caméra au cours d'un concert, affichage en surimpression de la partition, accès à des encyclopédies musicales... Sans compter la sélection de programmes à la demande, la réservation de places de concerts, la consultation d'interviews de musiciens célèbres ou de documentaires musicaux.

MultiMIDIa

L'extension de la norme MIDI vers le General MIDI dénote la volonté des grands constructeurs et éditeurs de logiciels musicaux de s'investir davantage dans la production multimédia. Outre la normalisation de l'assignation des canaux MIDI et de l'attribution des types de sons dans les banques internes de chaque maillon d'équipements MIDI (synthétiseurs, expanders, séquenceurs, etc.), la norme General MIDI établit un pont très pratique avec le standard MPC (multimédia pour PC) développé par Microsoft (Windows).

Enfin, le format MIDI-File, commun à tous les séquenceurs, est également reconnu par l'ensemble des logiciels multimédia. La société française Fretless développe dans cet esprit une nouvelle génération de séquenceurs capables de contrôler des informations musicales de type MIDI tout en pilotant simultanément un lecteur de CD-ROM.

De nombreuses applications sont d'ores et déjà en cours de développement. Ainsi, la fameuse Méthode rose des éditions Van de Velde est désormais disponible en version MIDI-File. En association avec le constructeur nippon Roland, l'éditeur propose un ensemble « d'éducation musicale » comprenant la méthode rose classique, sur papier, accompagnée d'un séquenceur. Ce dernier contient les partitions présentes dans le livret. Il suffit de relier le séquenceur à un piano électrique équipé d'une prise MIDI pour écouter les extraits musicaux.

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