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Festival d'automne
...explosante fixe...

Sophie Galaise

Le Magazine [du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou], n° 53, octobre 1989
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Le festival d'automne à Paris nous donnes à entendre en création une nouvelle version d' ...explosante fixe... Sophie Galaise nous dit l'importance de l'oeuvre dans la démarche boulézienne.

Après avoir révolutionné le monde musical, en élaborant les principes de la série généralisée entre 1949 et 1952, Pierre Boulez s'en détourna assez rapidement pour éviter le piège sécurisant d'une musique s'enlisant dans les moules préétablis. Perpétuel inventeur de formes, il lui faut détruire les modèles et les dépasser aussitôt que proposés. Ainsi s'explique sa recherche constante d'une forme originale d'ouverture de l'oeuvre qui ne renonce jamais à la responsabilité de l'écriture. La Troisième sonate par exemple, illustre bien cette préoccupation, qui entraîne chez Boulez la prolifération des mêmes matériaux de base d'une oeuvre à une autre.

...explosante fixe... s'inscrit comme une partition intermédiaire mais déterminante quant à l'orientation des activités de Boulez dans les années 70. Car, sauf exception des deux premières Improvisations de ...Pli selon pli..., toute la musique écrite depuis Le Marteau sans maître semblait faire partie d'une même quête ; chaque oeuvre explorant un espace différent d'un horizon commun, sans qu'aucune ne réussisse à atteindre le point parfait pour une vue panoramique. Toutes les idées visionnaires pour étendre le réseau des relations harmoniques et rythmiques, ainsi que celui des relations de dynamique, de timbre et surtout de rythme, comme étant les ingrédients éventuels d'une forme « explosive », toutes ces idées se retrouvent ici incluses avec succès dans un réseau de relations expressives, dont on ne peut plus séparer les paramètres.

Le musicien avec le scientifique

C'est une conception renouvelée de la musique de chambre que Boulez présenta avec cette oeuvre mettant en jeu un appareillage sophistiqué d'électro-acoustique. Premier recours à la machine, au son artificiel, depuis Poésie pour pouvoir, datant de 1958, ...explosante fixe... inaugure une collaboration étroite du musicien avec le scientifique au sein d'une équipe de travail, tendance menant directement à l'Ircam. On remarque aussi la préoccupation majeure pour Pierre Boulez d'une topologie acoustique prédéterminée concernant la salle et son équipement préalable -préoccupation qui s'accentuera encore avec le temps pour culminer avec une oeuvre magistrale comme Répons.

A l'origine de cette oeuvre, on retrouve un court texte musical que la revue Tempo commanda à Pierre Boulez, ainsi qu'à quinze autres compositeurs, pour faire partie d'une série d'hommages à la mémoire de Stravinsky, décédé en 1971. Au lieu de remettre une courte pièce, Boulez soumit la matrice de l'oeuvre, intitulée d'après une citation d'André Breton : « la beauté sera explosante-fixe, ou ne sera pas », dont il dira même : « Le titre est une citation d'André Breton, qui reste dans ma mémoire, complètement isolée de son contexte, mais coïncide précisément avec l'idée de la pièce. »

L'oeuvre par sept

Se basant sur une note « polaire », le mi bémol (Es en notation allemande, se prononçant S comme... Stravinsky), ce petit texte est composé d'une « série » de sept notes et de six variantes ou transitoires, numérotées II-VII, poursuivant un développement graduel, par le biais de l'inversion et de la transposition, de la ligne de l'originel aux sept lignes de la Transitoire VII. Ces lignes se caractérisent par l'utilisation de sept niveaux alternants de dynamique et par sept types de rubato, utilisés comme articulation. Cette oeuvre « par sept » se devait d'être réalisée évidemment par sept instruments (ou groupes instrumentaux), que l'auteur propose comme suit : deux flûtes, deux clarinettes, deux violons et une harpe. Utilisant ces instruments, une première réalisation de cette pièce, d'une durée de dix minutes, fut jouée pour la première et unique fois, peu de temps après la publication de la matrice, en 1972.

Cette version préliminaire fut rapidement dépassée par la révision première d'...explosante fixe... écrite pour un sextuor mixte composé d'une flûte, une clarinette, une trompette, un violon, un alto, un violoncelle, ainsi que de la paire composite formée d'un vibraphone et d'une harpe. Ces sons instrumentaux furent ensuite remaniés par des distorsions électroniques du timbre, calculées à l'avance et reproduites au moyen d'une machine conçue spécialement à cet effet. Cette oeuvre fut créée le 5 janvier 1973 à New York, dans un concert de la Lincoln Chamber Society, pour être reprise de nombreuses fois par la suite, avec des bonheurs électro-acoustiques variables, étant donné l'inconstance capricieuse du halaphone, machine conçue par Hans-Peter Haller, ingénieur de la Fondation Heinrich-Strobel (Fribourg-en-Brisgau). Le halaphone a pour principales fonctions de réaliser une certaine continuité entre les différents timbres instrumentaux et de faire voyager le son autour de l'espace de jeu.

...explosante fixe... est une oeuvre pertinente au regard de l'art de l'interprète puisqu'elle donne la possibilité de relations immédiatement communicables au moment du concert ; chaque entrée ou sortie instrumentale est ressentie comme une contribution à la structure de l'oeuvre, en même temps qu'à sa propre continuité et ce, de façon aisément repérable.

La flûte 4x.

Il existe plusieurs versions de cette oeuvre fascinante dont une pour vibraphone solo et électronique « live », composée pour le quatre-vingtième anniversaire de Paul Sacher, ami et créateur d'une magnifique fondation suisse pour la musique contemporaine. La dernière est écrite pour trois flûtes, dont une flûte transformée par la lutherie informatique de l'Ircam et portant le nom de « flûte 4x », résultat d'un mariage entre l'instrument et l'ordinateur musical le plus perfectionné de notre époque, plus communément appelé 4x. Les germes de cette version se retrouvent dans Mémoriale, courte composition pour flûte solo et petit ensemble, comprenant trois violons, deux altos, un violoncelle et deux cors. Écrite en 1985 à la suite de la disparition de Lawrence Beauregard, flûtiste de l'Ensemble InterContemporain, qui se passionnait pour le développement de la flûte avec l'appareillage informatique sophistiqué de l'Ircam, l'élégie porte en sous-titre : « ...explosante fixe...originel ». Grâce à la 4x, Boulez réussit finalement à adapter la production de son électronique « live » à la flexibilité de l'exécution instrumentale. Ainsi un vieux rêve se réalise et de nouvelles perspectives s'ouvrent à la musique.


Note

...explosante fixe..., création ; Eclat/Multiples. Pierre Boulez. Samedi 7 octobre, 20h30, Théâtre du Châtelet. Ensemble InterContemporain placé sous la direction de Pierre Boulez. Avec Pierre-André Valade, flûte 4x, Sophie Cherrier et Emmanuelle Ophèle, flûtes. Technique lrcam. Dans le cadre du Festival d'automne à Paris ...explosante fixe... réalisée à l'Ircam, est une commande du Festival d'automne à Paris et de la fondation Total pour la Musique.

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