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Philippe Fénelon dans les jardins d'Hamilcar


Alain Galliari

Résonance n° 13, mars 1998
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Après Le Chevalier imaginaire en 1986 et Les Rois, composé sur un texte de Julio Cortázar, Philippe Fénelon poursuit sa quête de l'opéra : Salammbô, dont le livret a été écrit par Jean-Yves Masson à partir du roman de Flaubert, sera créé le 16 mai 1998 à l'opéra de Paris-Bastille. Portrait d'un musicient amateur de voix et de mythologies.
Philippe Fénelon, c’est l’auteur de cette soixantaine de partitions d’un lyrisme volubile, où des arabesques multicolores tissent en toute liberté un treillis sonore d’une belle vivacité. Malgré la complexité de l’écriture, cette oeuvre volontiers virtuose, qui engage toutes sortes de formations (du solo à l’opéra), ramène à un charme tout simple : celui de l’enchantement. Sous cet air d’évidence apparaît toutefois je ne sais quelle interrogation secrète, le flamboiement du contrepoint cédant soudain le pas à des climats presque nocturnes, comme la bête farfouillante s’immobilise brusquement dans l’ombre de la menace. C’est là peut-être, dans cette intervention voilée de l’inquiétude, que la palette sonore prend un ton brusquement dramatique. Liant le son au mot, la voix fait alors son entrée, l’art vocal apparaissant bientôt comme la face cachée de ce dont la musique instrumentale était en quelque sorte la face visible.

La face instrumentale

Ni théoricien ni rhéteur, ce musicien voyageur s’apparente moins à ces spéculateurs enfermés dans le mirage de leurs abstractions qu’à ces orpailleurs opiniâtres qui savent chercher seul et trouver. D’abord pianiste accompagnateur (il travaille un temps avec le baryton Claude Dormoy), Fénelon franchit un seuil décisif lorsqu’en 1973 il entre au Conservatoire de Paris, où il est l’élève d’Olivier Messiaen. Il en sort quatre ans plus tard, nanti d’un premier Prix de composition et riche d’une poignée de partitions aléatoires exhalant ce parfum d’air du temps qu’un jeune musicien est bien en droit de respirer. D’ailleurs, le chemin prend vite un tour plus personnel. De cette première étape, souvenons-nous d’une première oeuvre concertante (genre particulièrement affectionné du musicien), « Du, meine Welt ! » (1979), pour violoncelle et 16 instruments. Suit une kyrielle de partitions dont les couleurs témoignent de la sûreté désormais acquise du geste : après Épilogue, pour piano (1980) et Latitudes, pour clarinette et 14 instruments (1981), ce sont, parmi d’autres, Maipú 994, pour 8 instrumentistes (1983), Diagonal, pour ensemble (1983) et Du blanc le jour son espace, pour baryton et 15 instruments (1984), scène lyrique composée sur un poème de Joseph Guglielmi, qui préfigure un goût dont il sera bientôt question : celui de l’opéra. Entre-temps, notre musicien s’est trouvé pensionnaire à la Casa Vélasquez (1981-83), trouvant dans les rivages de Barcelone l’ailleurs où s’installer.

Des Deux épigrammes pour contrebasse, harpe et percussion (1986) au Concerto pour piano et orchestre (1996), ont depuis lors suivi une nouvelle moisson de partitions instrumentales, parmi lesquelles le cycle des Mythologies (La Colère d’Achille, Orion, Hélios, Ulysse), composé entre 1988 et 1990 pour diverses formations de chambre (du solo au quintette). Inspirée de scènes choisies de la mythologie grecque, cette suite de « concertos de chambre » marqués par une virtuosité flamboyante, et qui aborde quelques-uns des thèmes clefs de la musique vocale (la guerre, la colère, la mort, l’amour, le voyage), témoigne de l’ascendant que possède désormais le dialogue de la musique et de la poésie sur l’univers sonore du musicien.

La face vocale

Ce n’est qu’au début des années 1980 que Philippe Fénelon s’est aventuré sur le chemin d’un renouveau collectif : celui de l’opéra. Grand amoureux d’un genre voué -- disait-on -- à la poussière du temps, Fénelon, qui fréquenta Bayreuth dès l’adolescence et se souvient d’être venu à la musique par l’opéra, compose en quatre ans deux oeuvres scéniques : Le Chevalier imaginaire (1984-86), écrit sur un livret tiré du Don Quichotte de Cervantes et d’une nouvelle de Franz Kafka (La Vérité sur Sancho Pança) ; et Les Rois (1988), oeuvre non encore représentée qui tire son thème du premier texte de Julio Cortázar. En 1992, la représentation du Chevalier imaginaire ouvre au musicien une perspective décisive, jusqu’à l’amener à conférer au théâtre chanté un véritable rôle d’aboutissement. Et le fait est que la survenue du lyrique dans l’oeuvre de Philippe Fénelon constitue l’affleurement d’une tendance naturelle de sa musique à la représentation, l’intention dramaturgique n’ayant cessé de dominer un univers sans doute essentiellement instrumental, mais intimement guidé par une nécessité dramaturgique évidente.

Vers « Salammbô »

Après cette première expérience scénique, et malgré l’ajournement des Rois (naguère écrit pour la Biennale de Venise), Fénelon entreprend le projet d’un troisième opéra : ce sera Salammbô, composé entre 1992 et 1996 sur le livret que Jean-Yves Masson a tiré pour lui du roman de Flaubert, et qui sera créé le 16 mai 1998 à l’Opéra de Paris-Bastille. Parti des abords du théâtre musical, Philippe Fénelon embrasse ici toute l’ambition de la grande scène. Mobilisant un petit effectif (deux rôles principaux et un petit groupe d’instruments solistes), Le Chevalier imaginaire défendait dans une forme discontinue une dramaturgie dominée par la mise en abîme du récit (Sancho Pança invente un Don Quichotte qui s’invente lui-même), usant en un temps ramassé d’une prosodie axée sur le mot, avec un style vocal haché privilégiant les grands écarts (manière de traiter par la musique ce qui était le thème même de l’oeuvre : l’incommunicabilité). C’est un tout autre chemin qu’avec Salammbô Philippe Fénelon veut explorer : la filiation revendiquée du grand théâtre lyrique l’a amené à concevoir ici une oeuvre plus linéaire et plus active, marquée par une forme continue et une écriture vocale qui veut conserver au texte son intelligibilité. L’opéra suit un découpage en trois actes (« Le Sacrilège », « La Mission », « Les Noces »). Opposant les vicissitudes de l’Histoire au destin individuel de Salammbô, la partition concentre l’essentiel de l’action sur le rôle-titre, lequel maintient d’un bout à l’autre de l’oeuvre un profil vocal qui l’identifie fortement et le démarque des autres rôles. Autour de la fille d’Hamilcar, consacrée à la déesse lunaire Tanit, protectrice de la ville, mais révélée à l’amour par le chef des mercenaires rebelles, l’action de l’opéra privilégie le face-à-face qui oppose ceux-ci au pouvoir de l’antique cité-État, portée à l’usage de la force et au mépris des hommes. Où l’histoire d’une dérive autoritaire s’accompagne d’un retour à la hiérarchie tonale, Philippe Fénelon ayant voulu que les représentants de la Ville (Hamilcar, les Anciens, la foule) aboutissent à des tons triomphants, jusqu’à emprunter aux scansions des Catulli carmina de Carl Orff. Mobilisant onze rôles (dont six principaux), la partition met en jeu deux choeurs (un grand et un petit), un grand orchestre, ainsi qu’une partie électroacoustique réalisée dans les studios de l’Ircam. Fait notable, puisqu’il apparaît pour la première fois dans l’oeuvre du compositeur, ce recourt à l’électronique résulte d’une volonté délibérée d’ajouter aux moyens orchestraux habituels. Choisis dans une perspective volontairement dramatique, cinq épisodes exploitent ainsi le surcroît de puissance et les effets d’acoustique offerts par l’outil électronique. Raison de plus pour relever l’invite à un spectacle qui promet d’être flamboyant, où la musique se fait fort d’allumer toutes les mèches et où l’oeil devrait, dit-on, voir toutes les couleurs...

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