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Entretien avec György Ligeti

Clytus Gottwald

InHarmoniques nº 2, mai 1987 : Musiques, identité
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C. Gottwald: Lorsqu'on traite de la situation actuelle de la nouvelle musique, on pourrait adopter pour devise ces mots de Morton Feldman: « Je crois que j'ai le droit d'écrire la musique que j'écris. » Sans poursuivre davantage sur Feldman, il faut dire que, bien qu'il compte désormais parmi les anciens, cette phrase exprime un sentiment actuel auprès des plus jeunes. Mais cela veut surtout dire que n'existe pas, ce sur quoi Adorno insistait, de tendance historique du matériau, aucune chose n'est plus préétablie qui m'obligerait à écrire telle musique ou telle autre. Je peux, comme par exemple Schnittke, composer un concerto grosso avec quelques fausses notes, je peux, comme par exemple Wolfgang Rihm, me rattacher à Alban Berg, mais je peux aussi, comme Ferneyhough, guère unanimement aimé, m'en tenir fermement à ce contre quoi luttent les plus jeunes dans leur majorité précisément à cette tendance historique du matériau.
Mais, et tu seras d'accord avec moi, il ne faut pas prendre la formule d'Adorno comme la description d'une situation, mais plutôt, à titre d'apologie, comme la possibilité de reconnaître de quel côté on peut trouver la vérité. Car, du moins au XXe siècle, et pour le dire de façon paradoxale, ce progrès monolithique n'a jamais existé. Si, par exemple, on parcourt l'Europe musicale de 1913, on obtient un diagramme très varié de tempéraments musicaux très différenciés : Schönberg - Webern - Berg - Eisler - Stravinsky - Debussy - Ravel - Satie - Varèse - Scriabine - Strauss - Reger - Pfitzner. Il n'en va pas autrement plus tard. Et si l'on rend hommage à la vérité historique il faut dire qu'à la fin des années 50 et au début des années 60, tu as toujours pris une distance critique vis-à-vis de l'école sérielle. D'où la question qui t'est adressée : qu'est-ce qui, à tes yeux, est nouveau dans la situation actuelle, excepté le fait qu'il n'existe plus aucune école qui prétende détenir la vérité?


G. Ligeti: C'est un phénomène tout à fait normal que, lorsque apparaît une génération nouvelle, elle se dresse contre les pères pour se rapprocher davantage des grands-pères. D'où ce lien très fort à l'expressionnisme viennois, notamment, mais pas uniquement, dans le domaine culturel allemand. De semblables courants existent aux Etats-Unis et partout, sauf peut-être en France. Il s'agit, à vrai dire, de quelque chose de très primitif : je dirais que l'hostilité envers les pères a quelque chose d'anthropologique, de biologique. Et il en fut presque toujours ainsi, même dans la génération Boulez, Stockhausen - j'appartiens plus ou moins à cette génération. Son refus résolu du néo-classicisme, en particulier de celui d'Hindemith, son rattachement à Webern, tout comme ce rattachement surprenant à Debussy, sont de même nature. Debussy devint soudain plus important que Bartök ou Stravinsky.
Ce cercle de compositeurs - Boulez, Goeyvaerts, Stockhausen, Maderna, Berio, Pousseur, Koenig - commença son travail au début des années 50; leur centre de cristallisation fut la Westdeutsche Rundfunk de Cologne. Et il ne fait aucun doute que ce travail s'effectuait clairement sur les problèmes du matériau musical, c'est-à- dire sur la composition du son musical lui-même, raison pour laquelle on attacha un grand prix à la musique électronique. S'ajouta l'influence des idées d'Adorno qui avait mis le stade d'évolution du matériau - je dirais : déduit des prémisses du travail de composition de l'École de Vienne - au centre de la réflexion sur la musique. Le compositeur devait se situer au niveau du matériau musical de son temps, il était interdit de descendre sous ce niveau, et la grande peur des compositeurs était celle de la régression. Telle fut l'attitude de ce groupe - j'appartiens, comme je l'ai dit, à cette génération, et c'est aujourd'hui encore ma position, bien que j'ai suivi des chemins un peu différents, je suis encore de ceux qui pensent que le niveau du matériau musical est primordial, et je sais bien qu'en ceci je m'oppose à beaucoup de jeunes compositeurs d'aujourd'hui. Depuis treize ans, j'ai à Hambourg une classe de composition où se déroulent de nombreuses discussions avec de jeunes compositeurs de vingt, vingt- cinq, trente, trente-cinq ans. Bien que ceux-ci représentent des tendances très diverses - la pluralité des styles est frappante - ils sont unanimes dans le refus de ce qu'on appelle la composition à partir du matériau. Même l'expression « composition du matériau » a un sens péjoratif; elle est vue comme négative.
Je perçois donc toute cette question comme étant beaucoup plus primitive, comme un phénomène biologique, comme une concurrence entre générations.

C. G. : Un trait remarquable de la jeune génération, qui la distingue de la précédente, me semble être une certaine hostilité à l'encontre de la théorie. Heinz Holliger lui-même s'est toujours rebellé contre son propre commentaire de sa musique parce qu'il y voyait un moment de faiblesse : ne pourrait-on aller assez loin dans le caractère de langage de la musique qu'on rende superflus les commentaires redondants pour déchiffrer ce langage. Kagel, lui aussi, pensait que beaucoup de pièces musicales n'etaient que des exemples sonores de commentaires que les compositeurs avaient pensés dans le temps même de la composition. Et on lit dans Manfred Trojahn : « Il est sûr que les artistes nous avaient habitués à percevoir, en premier lieu, la légitimation selon laquelle l'écoute de l'oeuvre précédait la lecture du protocole de son élaboration - et ici se trouve la coupure entre artistes et savants, c'est-à-dire entre compositeur et critique. Il est beaucoup plus facile d'écrire sur des mots que sur les sons et la musique et c'est pourquoi, sur les compositeurs prolixes en commentaires, on trouve d'ordinaire incomparablement plus d'écrits que sur ceux qui se taisent. L'insécurité qui semble émaner des compositeurs de ma génération pourrait provenir en grande partie du refus de rédiger des « notes pour les programmes ».
Hostilité intellectuelle de type Hindemith ou bien prise de conscience nouvelle de l'exigence d'un langage purement musical?

G. L. : Lorsqu'en février 1957, j'arrivai à Cologne, je fus tout naturellement intégré dans le cercle des compositeurs de Cologne, bien que n'en faisant jamais complètement partie. J'étais toutefois très influencé par l'idéologie de ce cercle, et la théorisation était pour moi quelque chose de très évident, théorisation aussi bien sur les compositions des autres que sur ma musique. J'ai publié pas mal de choses dans Die Reihe,dans les Darmstadter Beitrage, et ailleurs. C'était, pour ainsi dire, un élément du rituel. Quoi qu'on fasse, il ne faut pas oublier qu'on ne peut se situer en dehors de certaines conventions sociales; il y a toujours une sorte de décorum, et une tradition existe, qui remonte à Schumann, c'est-à- dire à la fondation de la Neue Zeitschrift fur Musik. On a l'impression que, chez Wagner, les commentaires font pour ainsi dire partie de l'oeuvre. Ils ne sont pas plus importants que la musique, mais ils informent sur les idées du compositeur et sur les décisions compositionnelles induites par ces idées.
Au reste, c'était dèjà le cas chez Schumann, où l'idée du poétique était essentielle : elle s'incarne concrètement dans les compositions, dans le Carnaval,dans les Davidsbundler,ou dans les Kreisleriana.Cette idée du poétique en musique, la conception selon laquelle la musique n'est plus une forme abstraite mais véhicule un contenu poétique, rapproche grandement la musique de la littérature. En général, on peut voir au XIXe siècle une forte symbiose entre les arts, à l'exception de l'architecture, qui reste historique. Et cela conduisit ainsi à la conception wagnérienne de l'oeuvre d'art totale. Mais lorsqu'une telle idée apparaît, elle appelle aussitôt son contraire. On peut le voir par exemple chez les compositeurs français, bien que Debussy soit un écrivain au moins aussi important que Schumann. Cependant, chez M. Croche antidilettante, le « discours » langagier sur la musique et surtout sur sa propre musique n'était pas aussi important que chez Wagner. Il n'entrait pas dans le processus de composition. Tant dans le cercle de Boulez et de Stockhausen - pour évoquer les deux protagonistes - que d'une autre manière dans le cercle de John Cage en Amérique, l'activité consistant à écrire sur la musique reçut à nouveau une tout autre signification. Les commentaires sont en effet, comme les partitions, un élément de l'oeuvre d'art. Les partitions le furent également mais dans un autre sens, en prenant un caractère de plus en plus calligraphique, ce qui aboutit au graphisme musical, comme par exemple chez Bussotti. Ceci a commencé dans le cercle de Cage, je crois que Feldman a fait l'un des premiers graphismes musicaux, ou bien est-ce Earle Brown, auparavant avec December 52?
Assurément, cette tendance provient uniquement d'Amérique. Certes, cela n'a guère à voir avec les commentaires sur la musique, mais la littérature sur la musique n'est certainement pas aussi éloignée du graphisme musical qu'il apparaît. Cage est le graphiste par excellence, et lui-même et son cercle vivaient en symbiose continuelle avec différents peintres. Cette symbiose fut, surtout pour Cage et Morton Feldman, déterminante. Même plus tard, dans les années 60 et 70, à Greenwich Village et à Soho, c'est-à-dire dans ces quartiers sud de Houston Street à New York, de tels cercles persistèrent, il s'agissait de groupes de peintres, de musiciens, d'artisans d'art, d'auteurs de happening, de danseurs, et d'écrivains, ces derniers plus faiblement représentés. On ne doit pas seulement penser aux commentaires littéraires, mais avoir également présent à l'esprit l'ouverture de la musique aux arts plastiques.
Au cours des deux dernières décennies, tel un pendule, cette tendance semble s'être inversée. De nombreux jeunes compositeurs éprouvent de l'aversion pour le commentaire des oeuvres. Il s'agit là certainement d'une réaction aux commentaires théorisants, apologétiques, fortement structurés idéologiquement des années 50 ou 60. Qu'il faille l'interpréter dans le sens d'une musica pura, je ne le crois pas, parce que dans la musique contemporaine, les tendances renvoient plutôt à des formes de musique avec un contenu d'idée programmatique.
Personnellement, j'ai, en son temps, accepté la nécessité du commentaire sans réfléchir là-dessus de façon critique. Quand on est plus jeune, on émet moins d'objections et l'on est plus facilement enclin à accepter les normes d'un groupe. Aujourd'hui, j'ai tendance à ne pas trop théoriser. Mais cela ne veut pas dire que mes oeuvres soient moins construites. Tout comme avant, je suis un constructiviste. Je trouve cela très important, bien que je sache que la musique est plus essentielle que la question de savoir en fonction de quelle méthode elle a été produite. Les aspects constructifs, que j'ai plutôt tendance à considérer comme des affaires privées, sont pour moi essentiels, ainsi que d'unifier chaque oeuvre en soi comme avec un lacet de soulier afin qu'elle soit complètement en ordre, tels des rouages qui s'engrènent. Je parle toujours, bien qu'avec réticence, de cet aspect du travail en laboratoire; d'autre part, je trouve très prétentieux et grandiloquent de déclarer comme certains : « Pas de commentaires » ou bien « Aucune explication ». Je trouve cela snob. Quand on vous interroge, il faut repondre sereinement, mais le commentaire ne peut pas remplacer l'oeuvre.
Je voudrais ajouter quelque chose à la phrase : « les rouages s'engrènent ». C'est pour moi quelque chose d'essentiel, et de pas trop théorique car en grande partie inconscient. Comme je te l'ai dit lorsque je compose, je prends en considération les aspects constructivistes, mais pas au sens d'une série ou d'un algorithme, comme dans la musique de Xénakis, où c'est très souvent un algorithme ou un calcul qui joue le rôle décisif. Même chez Stockhausen, il y a cette tendance à projeter abstraitement un certain processus, comme dans Plus-Minus et dans de très, très nombreuses autres oeuvres. Après avoir changé de style, Stockhausen continue en fait à penser en formules mélodiques à partir desquelles la composition s'épanouit organiquement, telle une plante. A propos de Stockhausen, je pense davantage à la seconde moitié des années 60 et au début des années 70, à l'époque de sa composition en processus. Ma voie est complètement différente. Il n'y a rien d'abstrait chez moi. Je ne pars pas d'un quelconque processus réflexif, d'une méthode de pensée, ces réflexions sont immédiatement reliées à ma conception musicale. L'élément constructif n'est pas refoulé, il est toujours présent, ne devient jamais abstrait, mais est toujours pensé avec le phénomène du son. Le conscient et l'inconscient s'interpénètrent réciproquement. Ces dernières années, je travaille beaucoup avec des développements formels polymétriques et complexes et, très consciemment, j'ai introduit davantage de calcul, mais il s'agit là d'un calcul très simple, d'arithmétique et de géométrie rudimentaires.
Je ne tiens absolument pas à le décrire dans la mesure où je ne le considère pas comme essentiel pour la compréhension de mes oeuvres. Pour composer, de telles choses sont toutefois importantes. Lorsque j'ai une oeuvre en projet, la première phase est le plus souvent naive, c'est-à-dire plus intuitive que constructive. Je me représente la musique telle qu'elle sonne. En même temps, j'éprouve une aversion pour cette forme naive de la composition. La transcription de l'idée ne peut être que le premier pas. Je pense que les idées m'arrivent assez facilement et que je peux aussi les transcrire très facilement. Mais arrive alors un mois de rumination, les rouages ne s'engrènent pas encore.
Cela signifie ceci : pour cette musique intuitive que je me représente, musique qui est toute en sensations, immédiate, quelque chose de très important doit encore s'ajouter (je dirais qu'il s'agit là d'un désir concernant le travail en laboratoire, ce n'est pas conçu pour autrui), à savoir, trouver une loi, des proportions, un processus, que je ne dois pas ou ne peux pas formuler vertialement, qui demeure à l'intérieur de la musique. Cela peut être la question de savoir comment les événements sonores isolés se transforment en une suite de phénomènes ou deviennent une simultanéité, comment un lien constructif très étroit peut être trouvé entre les idées intuitives. Mais comme ce ne sont pas des pensées verbales, et qu'elles sont au contraire musicales, je ne peux que difficilement les décrire avec des mots. Dans cette voie, j'atteins le point où j'ai le sentiment que les rouages s'engrènent et que le mécanisme de la forme musicale s'est mis en branle - « mécanisme » n'est pas un terme exact, parce qu'il n'y a rien là-dedans de mécanique, c'est plutôt organique, « végétal » ou « animal », cela évoque les liens compliqués entre organique et chimique, par exemple de très grosses molécules de protéines où tout est lié à tout, et même de façon très conséquente, en apparence, mais précisément pas de façon logique, de manière, au contraire, musicale. Et lorsque je sens que les rouages s'engrènent, je commence alors les esquisses valables. Quand je compose, c'est pour moi le point décisif.

C. G. : On se plaint, aujourd'hui plus que jamais, du ghetto dans lequel se trouve la nouvelle musique, de cette calamité que sont les cercles d'initiés subventionnés par les stations de radio. Les compositeurs sont en nombre incroyable mais peu se font entendre. On pourrait en conclure que dans une société entièrement rationalisée, ou bien un numerus clausus limite le nombre des compositeurs à un seuil correspondant à la demande, ou bien la production s'ajuste aux besoins effectifs ou fictifs : ce qui serait la tâche orgueilleuse et honnie de l'art pour l'art. Mais ces «  solutions » ne conduiraient- elles pas alors à de plus grandes apories, par exemple en mettant un terme à l'exigence de vérité ou en freinant les forces productives, le syndrome Chostakovich ?

G. L. : Mon ami Kagel répondit un jour quelque chose de très joli lorsqu'on lui demanda: _ Pour qui composez-vous véritablement? Qui voulez-vous toucher avec votre musique? » Et, je ne le cite pas maintenant mot à mot, Kagel a déclaré carrément : « On n'a pas besoin de nous. La société n'a pas besoin de nous, compositeurs. Notre musique n'est pas bienvenue. » Je crois qu'il a dit là quelque chose de très important. La fonction sociale que possédait la musique jusqu'à Wagner, même jusqu'à Debussy, et peut-être encore jusqu'à Stravinsky et Bartök, elle ne l'a plus aujourd'hui. Cela signifie qu'il faut être tout à fait clair sur ce point : si l'on voulait composer pour « quelqu'un », il faudrait renoncer à la composition et écrire de la pop musique ou de la musique fonctionnelle. J'ai dit très sciemment qu'il faudrait renoncer à la composition parce que je considère que la composition, c'est quelque chose de tout autre que fabriquer des succès. Mais s'il est important pour quelqu'un d'élaborer certains édifices, certains complexes, c'est-à-dire, précisément, une composition musicale, à partir de signaux sonores, indépendamment de savoir si l'on en a besoin ou non, alors il compose.
J'admets, et je ne veux pas le minimiser, qu'il y a ce fossé entre la production de la nouvelle musique et sa réception. Elle représente vraiment un très petit cercle, un cercle à part qu'on entend seulement pour des raisons liées à la mode, dans les concerts et les festivals d'avant-garde. Mais il ne faut pas se faire d'illusions et croire que cette musique a besoin d'un public plus vaste. L'esthétique de la réception est un point de vue, l'esthétique de la production en est un autre. Je ne considère pas comme tragique qu'on n'ait pas besoin de nous. Je ne compose pas pour quelqu'un, ni même pour moi, je compose pour la chose elle- même. Si l'on pense au travail des scientifiques, à ces savants qui font de la recherche fondamentale, et non pas aux sciences appliquées, pour praticiens, ingénieurs, alors personne n'en a besoin. Qui a besoin de la géométrie fractale, de l'espace noneuclidien, ou bien de la physique des particules élémentaires? Que plus tard, elles reçoivent une application utilitaire, c'est une tout autre question. Mais lorsqu'on fait soi-même de la recherche, on ne se pose pas la question de l'utilisation immédiate. Ni Max Planck, ni Einstein, ou, si loin que je remonte, ni Newton, ni Leibniz ne se sont posé cette question.
Même la composition qui, au cours des siècles antérieurs de l'histoire européenne était souvent très fortement fonctionnalisée, fut toujours plus ou moins l'affaire de connaisseurs, une musica riserverta - mais historiquement cela veut dire tout autre chose. Il y a eu bien assez d'époques où la composition se produisait dans des cercles à part, où les oeuvres n'étaient guère reçues. C'était certainement le cas chez Philippe de Vitry ou Machault qui, sans doute, et comme il a vécu longtemps, devint plus ou moins populaire au cours du temps, mais sûrement pas populaire dans le sens de Josquin ou Lasso, plus tard. Et ce qu'a fait Gesualdo était aussi totalement hermétique et réservé à un petit, très petit cercle de connaisseurs. Puis il y a la très grande musique qui n'a jamais trouvé la voie conduisant à un vaste public. Si Joseph Joachim n'avait pas tant diffusé les derniers quatuors de Beethoven, ils seraient probablement inconnus de nos jours. Mais trente ans après la mort de Beethoven ils connaissent une actualité inattendue. A l'époque de Brahms, il y avait déjà un petit auditoire cultivé qui pouvait plus ou moins comprendre le quatuor en ut dièse mineur ou en la mineur. Il avait suffi tout d'abord que Joseph Joachim les comprenne et les joue avec ses gens. Mais nous savons que même des contemporains éminents de Beethoven les ont rejetés, par exemple, Carl Maria von Weber, qui avait déjà quelques difficultés avec les dernières sonates pour piano.
Quand je regarde la situation actuelle de la nouvelle musique, on peut dire qu'une part de Stravinsky est devenue populaire, et curieusement non pas les pièces néo-classiques dont on pouvait supposer qu'elles étaient les plus accessibles à un public de concert conditionné par Haydn et Mozart, mais les premiers ballets, et parmi eux des oeuvres aussi audacieuses que le Sacre. Dans le cas du Sacre, c'est je pense, l'incroyable éclat des couleurs impressionnistes qui a facilité l'accueil. Ce n'est pas tant la forme musicale ni la nature du processus musical qui ont été acceptées que l'instrumentation virtuose : comme par exemple l'introduction du basson, au début. Mais le détail de ce qui se passe dans la rythmique, dans le phrasé, dans l'articulation des formes, cela n'intéresse que les spécialistes. A ce niveau, Stravinsky est aussi abstrait que Webern ou Boulez.
Dans cette situation, il nous faut accepter le fossé entre producteurs et récepteurs. Nous savons que ce que nous faisons n'a pas vraiment de fonction immédiate, et qu'on n'a pas besoin de notre musique. Mais le fait que notre travail n'ait pas de valeur en soi ne signifie absolument pas qu'il n'ait pas d'auditeurs. L'acceptation de la nouvelle musique dure peut-être un peu plus longtemps qu'en peinture ou en littérature, parce que la musique est le plus abstrait de tous les arts. Les oeuvres musicales représentent un ensemble de signaux acoustiques, sans fondement sémantique. Mais les grandes oeuvres musicales, malgré leur degré d'abstraction, sont les témoins de la dignité spirituelle de l'humanité - j'emploie ici de très grands mots - qui, bien qu'on n'ait pas besoin d'elles directement, déterminent fondamentalement la culture d'où elles sont issues.

C. G. : J'aimerais revenir à nouveau sur l'exigence de vérité de l'art. Sur ce point central, la position d'Adorno me semble pleinement contradictoire. Tandis que dans la Philosophie de la nouvelle musique la possibilité de livrer une vérité sociale, ou une vérité sur la société, avec un matériau déterminé qui se présente à l'histoire sans si et sans mais, semble avoir disparu, en revanche, dans son ouvrage sur Mahler il concède pleinement la possibilité de faire apparaître la vérité précisément grâce à un matériau qui n'est pas du tout à la pointe dé son temps, mais qui, bien plus par citation, réminiscence et ton, se solidarise avec ce qui pourrait être désuet selon le strict critère avantgardiste. Pour citer à nouveau Trojahn :
Il est certainement injuste de réduire l'attitude mahlérienne à la résignation, il me semble pourtant que l'art et la manière spécifique dont Mahler se confronte à son matériau musical sont empreints de résignation face à l'évolution qui s'annonce à son époque, musicale ou bien sociale, et dont il eut conscience. Partant de ce fait, la résignation est compréhensible qui, dans les années 70, conduisit une poignée de jeunes auteurs à un langage musical dont la technique ne se laisse pas relier à ce qui s'était développé auparavant, mais qui' avec sa « référence rétroactive », renvoya à une mise en question de ces développements.

G. L. : Cette partie de la question possède de très nombreuses ramifications et aspects annexes. J'aimerais relever l'un de ces aspects, notamment celui de l'idéologie de la référence au passé qui se manifeste notamment dans la musique de la génération récente en Allemagne, comme référence au romantisme tardif, particulièrement à Mahler et à l'expressionnisme, au sens d'Alban Berg. On peut voir exactement la même chose dans la peinture des Nouveaux Fauves, dans laquelle s'est exprimée une nette référence à l'expressionnisme allemand, et plus encore à l'expressionnisme nordique de Munch, par exemple, qui était en Norvège l'artiste le plus important et le plus grand représentant de cette tendance. Tout ceci semble être un phénomène, non pas seulement allemand, mais en tout cas du nord de l'Europe centrale tandis qu'il ne joue guère de rôle dans les pays méditerranéens, en France, en Italie - je connais un peu moins bien la musique des autres pays. Je ne sais si cela a quelque chose à voir avec l'idéologie de l'hostilité envers la technique en général, avec le rejet de l'énergie nucléaire, ou bien avec l'idée que la nature est bonne et la technique mauvaise. Il y a ce ressentiment envers la technique, et il en résulte un ressentiment envers la modernité, tout à fait visible dans l'architecture de ces quinze dernières années, qu'on appelle postmoderne, et qui est le retour d'un historicisme médiatisé parce que les modèles auxquels elle se réfère étaient eux-mêmes historisants : Schinkel, Semper et le style Ringstrasse viennois.
Ce n'est pas totalement limité à l'Allemagne, comme on pourrait le penser à propos de la musique, mais, venant d'Amérique, cela s'est internationalisé. Il s'agit simplement d'un aspect partiel d'une idéologie universellement répandue à laquelle on peut acquiescer ou que l'on peut refuser. Je la refuse, je suis contre, même si certains aspects traditionalistes émergent dans mon travail de composition de la seconde moitié des années 70 et du début des années 80, je pense au Grand Macabre et au Trio pour cor. Cependant, je considère plutôt cela comme une phase de transition personnelle. J'en suis arrivé à adopter la voie suivante. Ce que j'ai fait dans les années 50 et 60 (micropolyphonie, sonorités complexes et statiques, réduction du mélodique et de la rythmique en faveur d'une nouvelle structure musicale), engendra chez moi, dès les années 70, une sorte d'attitude de protestation : je voulais cesser de ressasser ce que j'avais déjà fait, ce que j'avais déjà assimilé.
Je pense que toute personnalité reste la même, elle change mais demeure malgré tout identique, tel un fleuve, toujours différent et toujours semblable cependant. Mais le risque subsiste de développer un certain type et de ne cesser de redévelopper des variantes de ce type. On trouve cela, par exemple, en peinture. La peinture, même la plus moderne, est davantage assujettie à des aspects commerciaux, elle devient, sans le vouloir, directement une marchandise, un objet vendable. Une tendance s'instaure alors consistant à toujours reproduire le même procédé parce que cela favorise la reconnaissance. Le bleu d'Yves Klein était une marque de ce type. Ce n'est pas une critique, parce que je l'estime beaucoup, mais il y a, dans le monde des arts plastiques, une sorte d'exigence non dite. Il faut se fixer, on est soit expressionniste ou minimaliste, hard-edge ou pop-art. Il existe en effet un énorme pluralisme des styles, mais il n'est pas bon de changer totalement de style.
Dans la mesure où la musique n'est pas soumise à ce type de pression commerciale - la musique pop, certes, mais pas la « musique sérieuse » - je ne me sens absolument pas contraint de répéter toujours la même chose. C'est pourquoi il y a eu chez moi une tendance permanente au changement; je considère toute composition comme une sorte de solution à un problème; quand j'ai résolu quelque chose pour mon compte, les solutions mènent à de nouveaux problèrmes que j'ai à coeur de résoudre. C'est ainsi que l'élimination des formes mélodiques et rythmiques me conduisit, dans la deuxième moitié des années 60, à me demander comment on pouvait inscrire les formes mélodiques et rythmiques dans un contexte totalement différent de celui qui existait antérieurement sans retomber dans le traditionnel. J'ai fait plusieurs expériences. Le Grand Macabre est l'une de ces tentatives, dont je peux dire aujourd'hui que certains problèmes que j'avais émis en projet n'ont pas été résolus. Je suis aujourd'hui quelque peu critique vis-à-vis de ma pratique de la citation d'alors, qui est certes incroyablement neuve chez Ives, mais qui dans le Grand Macabre, et telle que je l'ai utilisée, hérite fatalement de celle d'Ives, un retour à certaines caractéristiques de l'opéra du XIXe siècle. Dans mes attaques contre le théâtre musical traditionnel, dans Aventures, par exemple, j'ai aussi involontairement régressé - pour reprendre le terme de régression, cher à Adorno - dans l'opéra traditionnel. Cela aussi, c'était une expérience, mais je suis allé dans une direction totalement différente. Je crois - à partir des pièces pour 2 pianos (Monument - Autoportrait- Mouvement), que je co nsidère comme une oeuvre clef de ma nouvelle période - avoir largement réussi à trouver des formes mélodiques et rythmiques qui ne sont absolument pas la répétition des types de la musique antérieure et qui, en soi, n'ont rien de néo.
Dans les dernières oeuvres, les Six Etudes pour piano et le Concerto pour piano, j'ai, en ce qui concerne l'imagination de la forme, tenté d'être pleinement moi-même; c'est-à-dire non plus de penser sous la forme de processus, mais davantage en objets clos, qui veulent être non pas des objets sonores, mais des objets de composition. Ces sortes d'objets se trouvent déjà dans Apparitions, ou peut-être même avant. Cette propriété, à savoir la spatialisation totale de l'événement temporel, je l'ai toujours conservée. Mais j'ai nettement renié l'élimination de l'harmonie, de la rythmique et de la mélodie. Il y a, surtout dans la première et la sixième étude, une polyrythmique très complexe qui n'a rien à voir avec les formes rythmiques telles qu'elles se présentaient dans le travail par thèmes et motifs, ou bien dans les techniques de développement classiques ou romantiques. J'espère avoir fait quelque chose qui m'est propre, et pour lequel il ne faut pas oublier qu'il s'agit là d'une très forte réaction contre moi-même. Dans le Trio pour cor, j'ai reconnu certains aspects traditionnels que j'avais évités dans les Etudes pour piano et dans le Concerto pour piano, par exemple la forme A-B-A. Mais, dans le Trio pour cor - cela dit pour son crédit - j'avais fait certaines expériences avec une rythmique et des mélodies plus complexes; en outre, j'avais tenté d'écrire une musique qui n'était ni tonale, ni atonale, qui représente en somme une diatonique non tonale. Sans doute suis-je allé fondamentalement plus loin dans le 1er et le 3e mouvement du concerto pour piano. Ce que je dis sonne un peu apologétique, comme si j'avais à me défendre du reproche de traditionalisme. En fait, on a très explicitement formulé ce reproche à mon encontre. Et ce reproche porte dans la mesure où, dans le Grand Macabre et dans le Trio pour cor, on trouve encore peu ou prou des aspects traditionnels. Cependant, ceux-ci ne se situent pas dans la ligne du néo-romantisme, ni du néo- expressionnisme.

C. G. : Voilà qui entraîne naturellement la question de l'accueil réservé à ce type de musique empreinte de tradition. D'après ton expérience, cette réception s'est-elle quelque peu modifiée vis-à-vis de tes oeuvres, disons le mot, constructivistes? As-tu rencontré un autre accueil à propos du Trio pour cor? Ou bien, pour être plus précis, cette sobriété dans le langage musical a-t-elle, d'une quelconque manière, influencé la réception de cette musique?

G. L. : Je n'en sais rien. Au demeurant, j'aimerais bien en savoir plus sur la réception de cette musique. Mais, lors d'un des derniers concerts auxquels j'ai assisté, quelque chose m'a surpris. C'était à Kiel en avril 1986. On y joua de façon très compétente mes deux Quatuors à cordes, et précisément le Trio pour cor. Des difficultés de réception peuvent évidemment provenir d'exécutions imparfaites. Mais ce ne fut pas le cas à Kiel. Il suffit de nommer les interprètes pour exclure cette hypothèse : le quatuor Arditti et Gawriloff, Besch et Neuenecker. A la fin, il y eut une petite discussion qui me permit de noter des réactions curieuses de la part du public. Ce qui fut le mieux compris, ce fut le Deuxième Quatuor à cordes que je considère comme une de mes oeuvres les plus abstraites et ésotériques, tandis que mon oeuvre prétendument conservatrice, le trio pour cor, entraîna de beaucoup plus grandes difficultés auprès des auditeurs. Je ne parlerai pas de mon premier quatuor, dans la mesure où il se situe encore trop dans la ligne de bart&o. Mais, manifestement, il est plus difficile de suivre le développement formel du Trio pour cor que les oeuvres beaucoup plus compliquées comme leDeuxième Quatuor ou Apparitions, Et je crains que ranger le Trio pour cor dans les oeuvres traditionnelles ne soit une classification très superficielle; car ce qui se passe dans le Trio pour cor- je pense à la polymétrique du 2e mouvement - est en vérité beaucoup plus compliqué que dans les oeuvres apparemment plus abstraites des années 60. Cette expérience m,a rendu méfiant vis-à-vis des clichés ayant cours dans les cercles avant-gardistes, disant que mon trio pour cor est une oeuvre banale. Ce n,est pas ce que démontre l'accueil qui lui est fait. Mais peut-être faudrait-il une expérience plus longue, des tests et des statistiques pour dire quelque chose de valable a ce sujet.

C. G. : Mais ton expérience comcide du moins avec ce que j'observe, à savoir qu'il est devenu plus facile, chez les plus jeunes compositeurs, d'ajouter des notes. Cela va bien plus vite que dans les années antérieures mais, en fait, cet assouplissement n'a pas du tout été reconnu par le public de la façon dont il avait été tout d'abord reçu. Les surprises qu'a vécues Wolfgang Rihm avec le public et les orchestres ne sont pas du tout différentes de celles qu'a dû collectionner Helmut Lachenmann. Les assouplissements qu'ils ont accordés ou qu'ils accordent à la musique n'ont pas du tout été payés de retour de la part du public de la manière souhaitée.
On pourrait revenir peut-être sur un autre point. Il est frappant que de nombreux jeunes compositeurs s'arrêtent au fait que la musique est de nature sociale, c'est-à-dire que sa genèse et sa réception obéissent à des conditions sociales. Ils sont évidemment contraints de s'en tenir à cela, sinon leur polémique contre l'art pour l'art de la musique des années 50 et 60 perdrait de sa crédibilité. Mais, par ailleurs, ils se prévalent de leur subjectivité, de leur droit, pour ainsi dire privé, sur tout matériau, ce par quoi ils pensent se distinguer de façon critique des plus anciens, qu'ils situent, grosso modo, sous le diktat du matériau et de l'histoire, et donc dans un état de servitude. Vois-tu dans leur musique une résolution de ces contradictions?

G. L. : Bien que j'aie une classe de composition et connaisse une partie des jeunes compositeurs, j'hésite un peu à répondre à ta question. Je crains d'être mal informé. Mes informations sont trop partiales. Je ne suis ni musicologue ni critique. Ce que je connais est plus ou moins le fait du hasard. Dans la mesure où je compose, je suis déformé par des préjugés; ce qui m'intéresse dans ma propre musique, m'intéresse aussi dans la musique des autres et ce qui se situe au-delà de mon horizon m'intéresse moins. C'est pourquoi il est toujours risqué pour un compositeur de porter jugement sur le travail d'autres compositeurs. Je sais aussi comment mon opinion s'est souvent fondamentalement transformée au cours de ma vie. Par exemple, dans ma jeunesse, j'étais très antiromantique et n'avaient de valeur, pour moi, que le baroque et le classique, et à côté de cela, un peu de nouvelle musique. Je connaissais d'ailleurs véritablement très peu la nouvelle musique, seulement bart&o et un peu de Stravinsky. Et ce n'est que plus tard qu'advint la découverte progressive de Schumann, de Chopin et de Mahler. Et aujourd'hui même, beaucoup de choses changent encore, et je suis hérétique au point de considérer Tchaikovsky comme un grand compositeur : les trois dernières symphonies sont, à mon avis, de la très grande musique. J'ai une aversion instinctive envers l'expressionnisme bien entendu, envers le néo-expressionnisme. Je n'aime pas tellement les oeuvres excessivement expressionnistes de Berg et de Schönberg, notamment Erwartung. J'admets qu'Erwartung soit une oeuvre éminente, mais l'aspect wagnérien, le gestus wagnérien me dérangent, bien que j'aie un grand respect pour Wagner, surtout pour Tristan et Parsfial. Respect oui, amour non. Mais je crois que je suis trop peu allemand pour cela. C'est pourquoi le néo- romantisme actuel m'irrite et que, dans le néo-expressionnisme, ce n'est pas tant la tonalité qui m'irrite que le gestus. Chez Steve Reich, rien ne me dérange; car l'enjeu n'est pas la tonalité, ni le rétablissement de la consonance. Ce qui me gêne, chez les néo- romantiques, c'est cette affectation pathétique. Il s'agit chez moi d'une idiosyncrasie contre toute forme de pathos. Il se peut que cela résonne de façon contradictoire lorsque je dis que j'aime Tchaikovsky, car, aussi bien chez lui que chez Mahler, on trouve un incroyable pathos. Mais ce pathos se développe à partir d'un contexte social totalement différent; il provient d'un contexte artistique tout autre. Partant du contexte culturel actuel, je ne peux pas accepter cette forme de gestus grandiloquent.
J'admets toutefois qu'il s'agit là d'un jugement subjectif. Mais, sur la manière dont il faut prêter attention aux jugements, je pourrais raconter une petite histoire qui m'est arrivée à Darmstadt, peut-être en 1959. Par hasard, je me trouvai un après-midi à la même table qu'Adorno et Boulez. Je connaissais déjà Boulez à l'époque, mais Adorno, je ne l'admirais que de loin, car je ne m'étais évidemment jamais trouvé à table avec lui auparavant. Il y eut une longue conversation pendant laquelle je restai muet le plus souvent, Adorno parlant le plus. Et il m'apparut alors clairement qu'Adorno - bien qu'il eût publié des réflexions importantes sur la nouvelle musique à Darmstadt, à Cologne, à Paris, sur ce qu'on appelait alors le sérialisme, et sur tout ce qui lui était lié - était très peu informé de ces choses, des oeuvres. Il connaissait le Marteau, et Gruppen, et je serais tenté de dire : c'est tout. Les jugements étaient toutefois très imprégnés de subjectivité et profondément influencés par l'idéologie de l'Ecole de Vienne. Et malgré quelques remarques décisives, ces jugements n'atteignaient pas leur objet, à savoir la musique sérielle. Mais il s'agissait peut-être, là encore, d'un débat historique. Car, au cours de cette conversation entre Adorno et Boulez, où j'assistai sans dire mot, vinrent à l'esprit d'Adorno les idées qu'il consigna quelques années plus tard dans son essai « Vers une musique informelle ». Lorsque je lus cet article au cours des années 60, je me souvins de cet entretien de Darmstadt, et surtout du désir exprimé par Adorno d'une musique informelle par analogie avec la peinture informelle. Adorno, à l'époque, ne pouvait pas savoir que cette « musique informelle » existait déjà sous la forme de mes Apparitions,qui déjà étaient achevées.

Traduction: Marc Jimenez

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