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Yan Maresz

Bruno Heuzé

Résonance n° 14, octobre 1998
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Pour un jeune compositeur qui a côtoyé le rock, le jazz, puis la musique contemporaine, il semblait naturel de s'intéresser aux possibilités offertes par les nouvelles technologies. C'est dans le cadre du Cursus de composition et d'informatique musicale que Yan Maresz a créé Metallics, pour trompette et traitement informatique. Ses Entrelacs pour six instruments, une commande de l'Ensemble Intercontemporain, seront donnés en création à l'Ircam les 14 et 15 janvier 1999. Bruno Heuzé retrace ici les lignes de force de son approche de l'électroacoustique qui ne conduit pas à un monde sonore purement fictif, car y subsistent toujours des repères de timbres.

« L'une des grandes découvertes, lorsqu'on commence à travailler avec la lutherie électronique, réside dans cette possibilité d'approcher les limites de l'instrument et de se permettre de les dépasser », explique Yan Maresz. Cependant, dans Metallics, le compositeur utilise l'électronique non pas pour semer le doute sur l'identité de la trompette, mais au contraire pour en dresser un portrait qui en dévoile une intimité méconnue. « Une fois établie la palette sonore disponible sur la trompette (avec l'extension que procure l'emploi des diverses sourdines), j'ai exploré, grâce à la puissance d'analyse des outils informatiques, la possibilité d'étendre cette palette, de « plonger » à l'intérieur de l'instrument : le souffle voyageant à l'intérieur du tube, l'embouchure et ses composantes bruitées, les slaps des lèvres, le bruit des valves... Une fois tout ce matériau mis à jour, j'ai tenté de l'organiser dans une forme qui fasse sens, en évitant la tentation gratuitement bruitiste et événementielle : le matériau s'inscrivait progressivement dans la forme, en découlant de l'organisation temporelle des données acoustiques obtenues par l'analyse et le classement des timbres, selon une hiérarchie allant du plus pur au plus bruité. »

Si la trompette est ici atomisée, passée à travers le prisme technologique avant d'être convoquée à dialoguer avec elle-même, il ne s'agit pas tant de décoller le son de sa source instrumentale que de faire « parler » l'instrument depuis son « dehors intérieur », dans sa propre langue comme si elle lui était devenue étrangère.

Orchestration, espace et temps

Certes, son parcours compositionnel, Yan Maresz ne le conçoit pas constamment sur le même mode. Cependant, l'orchestration y tient une place de choix, non seulement dans ses oeuvres symphoniques, mais aussi dans la confrontation d'un instrument soliste à ses transfigurations informatiques. « Je voulais créer, avec Metallics, une pièce qui tende à retrouver des impressions sonores et physiques du son orchestral », précise-t-il encore.

Yann Marez

Né en 1966, Yan Maresz commence ses études par le piano et la percussion. Il découvre très tôt le rock et le jazz, et pratique la guitare en autodidacte, jusqu'à sa rencontre avec John Mc Laughlin en 1983, dont il aura été le seul élève. Sur le conseil de ce dernier, il part aux États-Unis, pour étudier le jazz au Berklee College of Music de Boston, de 1984 à 1986.

Tout en poursuivant ses activités dans le monde du jazz (il travaillera notamment en tant qu'arrangeur et guitariste sur les disques The Promise et Time Remembered de John Mc Laughlin), il se consacre de plus en plus à l'écriture, et entre en 1986 dans la classe de composition de la Julliard School de New York, où il obtient son diplôme en 1992.

Il est pensionnaire de l'Académie de France à Rome (Villa Médicis) de 1995 à 1997, où il écrit notamment Séphire, concerto pour clarinette, et jette les bases de Zig-zag Étude, une oeuvre qu'il est en train d'achever pour l'Orchestre philharmonique de Radio-France.

Metallics

Ecrite et réalisée à l'Ircam, Metallics est une pièce mixte pour trompette solo et dispositif électronique en temps réel, qui a été créée dans sa version complète en 1995. « La version originale, explique Yan Maresz, fait appel au programme Max sur la station NeXT de l'Ircam, qui sert de base pour la gestion de tous les événements électroniques en temps réel : synthèse par filtres, traitements, sampling, spatialisation et déclenchement de sons direct-to-disk. Le projet précompositionnel était fondé sur l'étude acoustique des principales sourdines utilisées par la trompette : bol, sèche, harmon et whisper. Après analyse des caractéristiques propres à chaque sourdine, j'ai tenté de recréer la transformation qu'elles opèrent sur la trompette, en lui appliquant par filtrage formantique en temps réel les enveloppes spectrales de chacune d'entre elles. »

Metallics existe également en version avec bande, et Maresz a le projet d'en réaliser une version orchestrale étendue : un concerto pour trompette où les sons électroniques seront retranscrits à l'orchestre par la seule combinatoire des timbres instrumentaux, après analyse spectrale.

Que ce soit dans ses oeuvres orchestrales ou dans Metallics, la musique du compositeur semble donc évoluer le plus souvent dans un espace de dispersion qui n'est pas uniquement lié à l'effet de spatialisation, mais qui devient le lieu d'élection de principes de « cause à effet », imprimant au temps un mouvement de rebond. « Je travaille beaucoup avec des éléments musicaux structurés et identifiables, qui reviennent à intervalles donnés -- la plupart du temps selon une organisation polyrythmique. Par leur succession, simultanéité ou anticipation, ces éléments modulables correspondent à une manière d'organiser le temps, ils permettent de donner à l'auditeur une clé de lecture. » Parmi les étoiles fixes... (1991, pour orchestre) est ainsi parcouru de vastes mouvements orchestraux, d'agrégats de timbres et de lignes tangentes, d'espaces retenus et de relances, qui ne sont pas sans rappeler les reprises des sections de cuivres dans les big bands. De même, dans Metallics, les multiples facettes virtuelles de la trompette renvoient leurs images anamorphosées autour de l'instrument soliste dans une relance constante, donnant ainsi à la pièce des allures de kaléidoscope en mouvement.

Pulsation

L'idée de pulsation apparaît comme un paramètre naturel et intuitif, une cellule de base autour de laquelle se construit ensuite une architecture complexe. « Qu'elle soit apparente ou non, je la considère comme le centre de gravité de la musique, déclare Maresz. C'est un point d'attache omniprésent. Je travaille d'ailleurs en ce moment sur des pièces rythmiques pour orchestre (Zig-zag étude), où le sentiment de régularité de la pulsation permet d'installer ce que j'appellerais un ressenti clair, que je tente ensuite de contrarier et de croiser avec d'autres éléments, en vue de faire basculer ce centre de gravité. » En témoigne également Circumambulation (1993-1996, pour flûte solo), dont l'approche rythmique rompt radicalement avec l'idée de syrinx souvent associée à cet instrument.

L'idée de pulsation ne se résume cependant pas, pour Maresz, à la notion de rythme, mais touche à la matière sonore dans son essence. « Lorsqu'on va voir à l'intérieur d'un son grâce aux outils informatiques, on étend en quelque sorte notre espace perceptif, dont l'horizon est défini par les limites de nos sens. On peut décrire un timbre comme une somme infinie d'ondes sinusoïdales : une fondamentale et un empilement d'harmoniques à intervalles plus ou moins réguliers. Et l'on peut dès lors imaginer que les périodicités de ces harmoniques constituent une autre forme de pulsation : bien qu'inaccessible à nos sens, elle est imaginable -- avec l'aide du principe de plénitude ! -- comme sensation porteuse d'une unité vibratoire ultime. » Dans ce ralentissement fictif, c'est la réalité d'un battement élémentaire croisé à une vie corpusculaire du son qui semble surgir à l'horizon mouvant du phénomène ondulatoire sonore.

Narration, structure et sensation

Outre la manifestation d'une dynamique omniprésente intimement liée à cette idée de pulsation, on sent chez le compositeur l'approche d'un temps cinématique, où les processus en cours marquent leur évolution souterraine par réémergences successives. Même si elle ne part pas d'une idée narrative, la musique de Yan Maresz n'en exclut pas pour autant son apparition. Maresz interroge le processus de composition depuis cet espace dramaturgique où fonction musicale et intensité sensible interagissent au plus près, non pas dans une position consensuelle ni dans une médiation concertée mais plutôt par surprise réciproque. Ainsi n'y a-t-il pas d'hétérogénéité irréductible entre structure et sensation, et rien ne s'oppose à ce que l'une passe dans l'autre.

Les modèles mathématiques, pour lesquels Yan Maresz avoue un réel engouement, constituent dans leur manière d'organiser les événements autant de trames possibles pour l'expression d'une sensibilité. Dès lors que le calcul n'est pas autoréférent ou en train de s'autojustifier, le processus qui est à l'oeuvre se laisse dépasser par une émotion poétique, sans opposer de résistance formelle. Ce qui n'est pas sans donner un certain caractère hédoniste et ludique à une pièce comme Mosaïques (1992, pour orchestre), souvent animée par les traits colorés de ce bouquet impressionniste qui fut la marque des compositeurs français du début du siècle.

Là où la musique ne se résume donc pas à la somme des éléments qui la composent, elle laisse entrevoir un rivage en devenir. Ce qui anime la plupart des oeuvres de Maresz, c'est l'ouverture vers ces zones d'indiscernabilité où systèmes et affects ne cessent d'échanger l'élan de leurs variations et dévoilent alors autant de mondes possibles.

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