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Guy Lelong

Résonance nº 4, juin 1993
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A l'approche de l'été, certains se prennent déjà à songer aux promesses de la prochaine saison. Nous n'avons pas voulu refermer ce numéro de Résonance sans contenter leur curiosité. Avant-goût de la saison 1993-1994.

A lire les noms des compositeurs qui seront joués au cours de la saison 1993-1994 de l'Ircam et de l'EIC, ceux des jeunes générations y apparaissent largement majoritaires. Certes, les grands classiques du XXe siècle ne sont pas absents, ni d'ailleurs les compositeurs nés autour des années vingt, mais l'on en compte plus de trente nés après, voire bien après 1945. Les créations prévues (une quinzaine environ) leur sont en outre presque toutes consacrées. Mieux, l'une des trois « opérations » de cette saison -- opérations consistant à regrouper plusieurs concerts autour d'un même sujet pendant un week-end -- a pour thème la jeune création. Notamment représentée par Antoine Bonnet, Ivan Fedele, Philippe Haim et Alessandro Melchiorre, elle permettra de constater la réelle effervescence dont témoigne la jeune musique d'aujourd'hui.

Du piano à la voix

Les deux autres « opérations » de la saison sont consacrées respectivement au piano et à la voix. Instrument tonal par excellence en raison de son tempérament égal, le piano, pour échapper à cet ancrage, a souvent été soumis au XXe siècle à des traitements peu orthodoxes. En fait, c'est presque à une histoire de ces manipulations que ce mini cycle permettra d'assister. Deux précurseurs américains, John Cage et Conlon Nancarrow, inaugurent cette histoire ; le premier avec son piano préparé (qui modifie le timbre de l'instrument par insertion d'objets divers entre les cordes), le second avec son piano mécanique (dont la perforation manuelle et précalculée des rouleaux permet d'atteindre des vitesses et des rapports rythmiques sinon irréalisables). Mantra pour deux pianos et modulateurs en anneaux de Karlheinz Stockhausen, également programmé, correspond à l'étape suivante, celle de la transformation en temps réel du son instrumental par l'électronique ; cette oeuvre étonnante ouvre donc la voie aux pièces plus largement liées à l'informatique, telle que Jeux de Denis Cohen. Mais l'on entendra aussi du piano « pur », avec la Seconde Sonate de Charles Ives -- autre pionnier américain -- et un atelier consacré à György Ligeti.

Autant le renouvellement du piano s'appuie souvent sur des dispositifs adjoints, autant le renouvellement vocal des années 60-70 est passé principalement par l'exploration du seul organe phonatoire. Aventures et Nouvelles aventures pour trois voix et instruments de Ligeti, qui est la pièce de référence de cette « opération voix », permettra de s'en rendre compte. Utilisant un matériel vocal exclusivement phonétique, ces aventures réussissent pourtant à générer des effets de sens d'ordre théâtral. De fait, ce cycle qui permettra d'entendre, parmi d'autres, des oeuvres de Georges Aperghis, Philippe Manoury, Thierry Lancino, Liza Lim, Michael Finnissy et Kaija Saariaho, devrait montrer que si la problématique de la voix se situe aujourd'hui comme hier aux rencontres souvent conflictuelles du son et du sens, du texte et de la théâtralité, elle est également susceptible de s'enrichir au contact de l'électronique.

Quatre horizons

Les quatre compositeurs auxquels cette saison consacre un concert « monographique » proviennent d'horizons esthétiques pour le moins divergents. Si Philippe Hurel et Frédéric Durieux sont, depuis quelques années, associés aux recherches de l'Ircam, Pascal Dusapin et John Adams ne cachent pas leur absence de goût, le premier pour le son électronique, le second pour toute modernité. Mais si la musique de Pascal Dusapin (que Pascal Rophé dirigera à la tête de l'EIC) cherche à repenser les bases de la composition, celle de John Adams (que le compositeur dirigera lui-même dans le cadre du Festival d'automne à Paris) participe de ce courant d'outre-Atlantique qui refuse résolument ce type de questionnement.

Nul doute, en revanche, que la musique « spectrale », initiée par Gérard Grisey et Tristan Murail à la fin des années soixante-dix, ne se soit livrée à un véritable travail de fond. Et qu'ayant su conquérir un espace sonore non tempéré mais cohérent, concilier les sons les plus hétérogènes, proposer des principes formels qui tiennent compte des lois de la perception, produire enfin des oeuvres d'une grande séduction sonore, elle soit aujourd'hui tenue par beaucoup comme l'un des événements esthétiques majeurs de ces vingt dernières années. Philippe Hurel, qui fait partie des jeunes compositeurs s'étant rattachés à cette esthétique, a développé des processus musicaux originaux concernant notamment les aspects mélodiques et rythmiques. Le concert qui lui est consacré permettra d'entendre, outre Pour l'image et Six miniatures en trompe-l'oeil, deux nouvelles pièces dont l'une est pour ensemble instrumental et dispositif de spatialisation.

Les questions soulevées dans le cadre de ce courant esthétique ne concernent pas les seuls « spectraux ». Ainsi Frédéric Durieux, qui compose toujours à l'intérieur d'un espace sonore tempéré, dispose dans sa musique des jeux mémoriels et formels qui ne sont pas sans lien avec la perception, ainsi que son concert monographique permettra sans doute de nous en rendre compte. Trois oeuvres y seront données, dont une création, So schnell, zu früh, pour voix et vingt instruments (dont quatre reliés à l'ordinateur), partition dédiée à la mémoire du chorégraphe Dominique Bagouet, avec qui le compositeur devait réaliser un ballet.

Créations croisées

Plusieurs manifestations de cette saison sont liées à d'autres domaines artistiques.

La mise en scène, d'abord, avec un mélodrame de Michael Jarrell, Cassandre, et un opéra de Marc Monnet, Fragments, donné par la compagnie Caput Mortuum et l'ensemble instrumental Ars Nova. La danse, ensuite, avec des chorégraphies de Richard Alston sur Le Marteau sans maître de Pierre Boulez (à la grande Halle de la Villette) et de Nadine Hernu sur une musique spécialement écrite par Patrick Marcland. Le cinéma, enfin, avec des musiques composées pour deux films de Fritz Lang : Le Docteur Mabuse, dont les deux parties muettes seront accompagnées d'une musique de Michael Obst jouée en direct et Metropolis qui, à l'occasion de l'exposition organisée par le Centre Georges Pompidou sur la Ville, devrait être projetée sur la façade du centre pendant que l'EIC, installé sur la piazza, interpréterait la partition signée par le compositeur argentin Martin Matalon.

Et encore

Toutes les manifestations de cette saison ne donnant naturellement pas lieu à des regroupements thématiques, la programmation comporte aussi des concerts isolés : ceux des six formations invitées, ceux de musique de chambre, les tournées en Europe et aux USA, et les concerts que dirigeront David Robertson, Simon Rattle, Sylvain Cambreling et Pierre Boulez.

Sur les deux concerts qu'il donnera à Paris à la tête de l'EIC, Pierre Boulez dirigera, lors du premier, la nouvelle version d'...explosante fixe..., sa dernière oeuvre, ainsi que la Partition du ciel et de l'enfer de Philippe Manoury. Le second concert réunira, aux côtés de Schoenberg et Stravinsky, deux des toutes dernières oeuvres de Bernd Aloïs Zimmermann : Stille und Umkehr, pour orchestre, ainsi que l'action ecclésiastique Ich wandte mich und sah an alles Unrecht das geschah unter der Sonne (« Je me retournai et contemplai toute l'oppression qui se commet sous le soleil »), pour deux récitants, basse soliste, orchestre et trois trombones. Ces deux oeuvres sont révélatrices de la double personnalité de ce compositeur allemand, partagé entre des intérêts contradictoires, voire inconciliables, et qui s'est donné la mort en 1970. Autant, en effet, l'« action ecclésiastique », qui repose sur une conception expressive de la musique, me semble résulter d'un projet nostalgique, autant l'orchestre de Stille und Umkehr, qui dix minutes durant oscille autour d'une unique note omniprésente, est, par son travail du timbre, largement tourné vers l'avenir.

La brochure de saison 1993/94 Ircam/Ensemble InterContemporain est disponible dès à présent.
Information et abonnement : 42 60 94 27

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