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La composition assistée par ordinateur

Fred Lerdahl, Yves Potard

Rapport Ircam 41/86, 1986
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Résumé

Acoustique et psycho-acoustique ont été les principaux champs de recherche et, d'activité de la musique informatique. On a, en revanche, peu entrepris au niveau cognitif. Pourtant toute l'activité musical - la composition, l'exécution, l'écoute - implique une organisation de niveau plus élevé, au-delà de la perception du signal physique.

L'avènement des théories génératives, qui définissent les capacités cognitives, permet, cependant, une approche plus scientifique de la psychologie cognitive. La première théorie musicale à développer cette approche plus à développer cette approche en détail est «A Generative Theory of Tonal Music» (Fred Lerdhal et Ray Jackendoff, MIT Press, Cambridge, 1983). En dépit, de ses limites, cette théorie est de nature explicitement psychologique. Elle est aussi suffisamment formelle pour qu'on puisse l'implanter dans un programme informatique. Cet article décrit l'implantation en cours de certains aspects de cette théorie, sous la forme d'un programme d'aide à la composition. De manière générale, nous essayons de procurer au compositeur un environnement musicalement intelligent, afin qu'il puisse penser, projeter, et créer.

Nous exposerons brièvement, quelques concepts rythmiques, requis par le programme, et qui proposent une nouvelle façon de structurer le temps musical avec l'ordinateur. Nous considérerons quelques concepts concernant les structures de hauteurs en nous attachant ici à deux sortes de hiérarchies de hauteurs, toutes deux inférées par l'auditeur à partir de la surface musicale. La première, appelée «réduction par portées temporelles» représente l'importance structurelle relative d'événements entendus en tant qu'unités rythmiques dérivées du groupement et de la métrique. La seconde, appelée «réduction par prolongation», exprime les modèles hiérarchiques de tension et de détente dans les structures de hauteur.

Le programme est destiné à permettre au compositeur de maîtriser confortablement ces différentes structures, en mettant à sa disposition deux fonctions, l'une d'esquisse, et l'autre d'édition. Le programme est élaboré autour d'une base de données unique, à partir de laquelle le compositeur peut extraire de multiples représentations. Cette configuration permet à celui-ci de travailler devant un terminal comme lorsqu'il travaille musicalement. Il n'a plus besoin de traduire sa pensée musical en un médium étranger. En outre, l'utilité de ce programme dans sa fonction d'esquisse n'est pas réservée au seul compositeur de musique informatique. On imagine aisément qu'il pourrait servir à la composition de n'importe quelle oeuvre instrumentale.

Ce programme offre aux compositeurs intéressés par la hiérarchie des hauteurs trois utilisations principales: premièrement l'esquisse et l'édition. Nous les explorons en spécifiant des fonctions de hauteurs et en générant des structures d'une manière hiérarchique. Deuxièmement, on explore, dans un cadre musicalement et psychologiquement acceptable, les possibilités structurelles des nouveaux sons. Par nouveaux sons nous entendons aussi bien l'infinie variété de timbres offerte par les moyens électroniques que toute grammaire de hauteurs non conventionnelle imaginée par le compositeur pour des instruments acoustiques ou synthétisés. Troisièmement, la capacité de construire d'une manière efficace des formes structurelles complexes mais auditivement pertinentes.

Les domaines de la pédagogie et de la psychologie musicales, de la «performance» avec, des ordinateurs, et de la composition stochastique pourraient également bénéficier de cette approche.

1. Introduction

Acoustique et psycho-acoustique ont été les principaux champs de recherche et d'activité de la musique informatique. Les scientifiques étudient la nature des sons musicaux et s'intéressent à la relation entre les paramètres acoustiques et le son perçu. Les compositeurs cherchent à travailler avec des sons intéressants et séduisants. On a, en revanche, peu entrepris au niveau cognitif. Pourtant toute l'activité musicale - la composition, l'interprétation, l'écoute - implique une organisation de niveau plus élevé, au-delà de la perception du signal physique.

Le niveau cognitif a été négligé car il lui manquait une théorie qui approchât, même de loin, la précision et la fiabilité des théories acoustique et psychoacoustique. L'implantation sur ordinateur ne se satisfait pas d'idées approximatives.

L'avènement des théories génératives, qui définissent un modèle des capacités cognitives, permet cependant une approche plus scientifique de la psychologie cognitive. La première théorie musicale à développer cette approche en détail est «A Generative Theory of Tonal Music» (Fred Lerdahl et Ray Jackendoff, MIT Press, Cambridge, 1983) (1). En dépit de ses limites, cette théorie est de nature explicitement psychologique. Elle est aussi suffisamment formelle pour être en grande partie implantable sur un programme informatique.

Cet article décrit l'implantation en cours de certains aspects de cette théorie, sous forme d'un programme d'aide à la composition (2). De manière générale, nous essayons de procurer au compositeur un environnement musicalement intelligent, afin qu'il puisse penser, projeter, et créer. Aujourd'hui, un tel environnement n'existe pas.

Il est hors de propos dans cet article de justifier la théorie qui le sous-tend. La deuxième partie expose brièvement les quelques concepts rythmiques requis par le programme et propose, pour l'ordinateur, une nouvelle façon de structurer le temps musical. La troisième partie considère quelques concepts concernant la structure des hauteurs et suggère des méthodes pour créer des structures musicales et explorer les possibilités structurelles des sons nouveaux. La quatrième partie traite des problèmes de conception du programme. En conclusion, s'ouvre une discussion plus générale sur la pertinence du programme sur les sujets suivants: le test expérimental des théories de la compréhension musicale, l'aide à l'interprétation musicale par ordinateur et la composition stochastique. En annexe, on trouvera, les perspectives théoriques et le système de règles développé dans «A Generative Theory on Tonal Music».

Avant de poursuivre, répondons par avance à deux objections inévitables. En premier lieu, comment l'ouvrage «A Generative Theory...» qui concerne la musique tonale, peut-il être pertinent dans le domaine de la pensée musicale contemporaine ? La réponse réside dans la nature psychologique de la théorie. Son sujet n'est pas tant la musique tonale que la compréhension par l'auditeur de toutes musiques; l'idiome tonal n'est que son point d'ancrage. Tous les principes utilisés dans cette étude sont en fait applicables à un large éventail de langages musicaux. En outre, nous avons pris la précaution de penser le programme de telle façon que l'utilisateur puisse accepter ou rejeter des points spécifiques, selon ses besoins. En second lieu, «A Generative Theory...» est une théorie analytique, et non synthétique. La manière dont un compositeur construit sa pièce peut être fort différente de la pièce elle-même. Ne risquons-nous pas de confondre les deux ? Nous répondons que le compositeur est le premier auditeur de sa pièce. Il conçoit et révise son travail à travers son imagination auditive. Pour personnelle que puisse être sa méthode de création, il est également soumis aux principes cognitifs musicaux sous-jacents. Donc une théorie de la cognition musicale, modifiée de façon appropriée, peut-être tout à fait pertinente quant à la composition.

En vérité, en cette époque pluraliste, seuls les faits de la cognition musicale peuvent fonder une base générale pour la composition assistée par ordinateur. En l'absence de contraintes culturelles données, un programme basé sur une technique compositionnelle particulière doit nécessairement être idiosyncratique. Si l'on peut prouver l'utilité générale du programme décrit ci-dessous, ce sera parce qu'il est fondé sur des principes psychologiques.

A utiliser ce programme, un compositeur se trouvera confronté à d'intéressantes contraintes: le programme va l'obliger à composer dans l'esprit (mais pas nécessairement sous tous les aspects) qui présidera à l'audition de sa pièce. La seconde objection, mentionnée plus haut, trouve donc ici quelque matière. Il est intéressant de faire remarquer, à ce sujet, qu'au XXe siècle, Ie fossé entre méthode de création et résultat finalement perçu s'est dangereusement élargi. Pour parler d'une oeuvre, il faut chercher ses clés secrètes. Cela n'est pas sain. Notre programme peut donc être envisagé comme un défi aux techniques compositionnelles en vogue. S'il existe un biais esthétique dans notre démarche, il ne résulte pas d'un parti pris stylistique, mais de notre insistance à vouloir réconcilier les moyens et les fins de l'acte de création.

2. La structure hiérarchique du temps

2.1 Les concepts théoriques: Groupement et métrique

Le temps musical est linéaire. Une oeuvre comporte un début, une suite et une fin. Lorsque le compositeur utilise les logiciels existant pour la réalisation d'une partition par synthèse numérique, il travaille avec le temps d'une façon relativement non structurée. Que ce soit par secondes ou par minutes, ou par valeurs relatives de notes ou de silences, il distribue des événements et des durées de manière séquentielle.

Le temps musical est hiérarchique. Même si nous entendons une succession d'événements, nous les groupons par unités de différentes tailles, comme le geste, la phrase et la section. Nous avons donc tendance à relier ces événements selon des pulsations périodiques, créées par l'esprit pour répondre au signal musical. Ces pulsations arrivent en général selon des motifs cycliques, superposés, qui donnent l'impression de temps faibles et forts régulièrement récurrents. Nous entendons alors une structure métrique. La structure métrique est hiérarchique puisque si un temps à un niveau donné (une certaine pulsation est ressenti comme fort, il devient un temps du niveau immédiatement supérieur.

Ces deux manières d'organiser le temps musical interagissent largement dans une pièce, et produisent un sens du temps richement infléchi et articulé. Il est cependant important d'être conscient de leur mutuelle indépendance de principe. Les groupes ont une durée, les temps n'en ont pas. Les temps doivent être régulièrement espacés (selon certaines qualifications) mais la longueur des groupes est arbitraire. En outre, les groupes en tant que tels ne reçoivent pas d'accent métrique; en vérité, des pièces écrites en certains idiomes musicaux possèdent des structures de groupement élaborées, mais aucune structure métrique. Parallèlement, les temps en tant que tels ne se groupent pas n'importe comment. Nos intuitions de levée ou de contretemps dépendent de la relation entre temps faibles et structure de groupement (3).

Normalement, les musiciens pensent et parlent du temps musical en termes de structures métriques et de groupement. Par exemple, un chef demande à ses interprètes de commencer à un certain chiffre de répétition, qui correspond au début d'une section ou d'une phrase; il peut même leur demander de prendre un tel temps ou une telle mesure. Les 8 compositeurs construisent leurs pièces en concevant de petites unités avec un certain profil métrique et en les assemblant progressivement jusqu'à obtenir un tout cohérent (approche de bas en haut); ou bien en développant un important plan sectionnel et métrique et en ajoutant progressivement les détails (approche du haut en bas); ou encore, plutôt, par une combinaison de l'interaction locale/globale.

Il serait en revanche très inhabituel pour un chef de demander à ses interprètes de prendre à la 246e double croche. Et un compositeur ne produirait pas une oeuvre bien intéressante s'il s'attachait à écrire un événement à la suite d'un autre. En bref, le temps musical linéaire, à lui tout seul, ne conduit pas à une activité musicale bien sophistiquée.

Si nous voulons donner à l'ordinateur un peu de notre intelligence musicale, il nous faut tout d'abord une notation appropriée. Désignons les structures de groupement par des liaisons et les structures métriques par des lignes de points équidistants. L'exemple N°1 montre les structures de groupement et métrique pour un passage hypothétique dans lequel tout est simple :4 signifie double croche, 2 signifie noire, et 1 signifie ronde. D'abord les deux structures sont elles-mêmes complètement régulières. Ensuite, leur interaction ne présente aucune complexité. Les périodicités des liaisons et des notes sont identiques, c'est-à-dire que les distances de point à point sont identiques aux distances de liaison à liaison; et les deux structures sont en phase, c'est à dire que les temps les plus forts à l'intérieur des groupes coïncident avec le début des groupes (4)


Ex.1
L'exemple 2 illustre des relations plus complexes. Ici, le groupe «a» est inégalement emboîté, et n'est pas en phase. De plus les groupes «a» et «b» se chevauchent. Enfin, bien que la métrique reste 4/4 tout au long, des triolets entrent au milieu du groupe «a» et permettent une modulation métrique au chevauchement. Bien entendu. dans une vraie pièce, et tout particulièrement une pièce de musique contemporaine, la relation groupement/métrique peut être beaucoup plus complexe que cela.

Ex.2
En revanche, une pièce présentée seulement en temps linéaire comporterait une seule liaison de groupement, pour la pièce elle-même, et un niveau de points, pour mesurer les durées. Cette situation est illustrée par l'exemple 3.

Ex.3
Sans la présence d'événements musicaux réels, ces structures sont hypothétiques. Cependant, après avoir écouté une suite d'événements, l'auditeur tendra, dans la mesure où le signal le permet, à les organiser en termes de structures de groupements et de structures métriques. Il entend alors les événements dans le contexte d'unités rythmiques dérivées de ces structures; c'est-à-dire qu'il entend les événements à l'intérieur d'une section ou à l'intérieur d'une phrase, dans une certaine mesure et sur un certain temps, et ainsi de suite. Au niveau supérieur, ces unités rythmiques forment la structure de groupement. A de plus petits niveaux, elles sont la portée temporelle (time-span) entre deux temps d'un niveau métrique quelconque. Quand regroupement et métrique sont en phase, ces deux manières d'inférer les unités rythmiques se renforcent mutuellement, comme le montre l'exemple 4a (les lignes en pointillé indiquent les portées

Ex.4a
temporelles déduites de la métrique). Mais, si groupement et métrique ne sont pas en phase, comme dans l'exemple 4b, les portées temporelles

Ex.4b
déduites de la métrique entrent en conflit avec celles du groupement. Ce conflit est perceptuellement résolu par la victoire du groupement sur la métrique, comme le montre l'exemple 4c (si ce n'était pas le cas, les anacrouses appartiendraient aux phrases qui les précèdent).

Ex.4c
Examinons l'exemple 4c d'un peu plus près. Prenons le groupe «v». Au plus petit niveau métrique, il n'y a aucune interférence du groupement. Au niveau immédiatement supérieur, la portée temporelle «r» est également libre de toute frontière de groupe. Mais la portée temporelle «s» doit être raccourcie à cause de sa frontière commune avec le groupe «v». Il faut alors ajouter une portée temporelle «t» pour inclure la levée «n» au plus petit niveau métrique. On montre ainsi que la levée appartient à la battue suivante. Finalement, au niveau métrique immédiatement supérieur, la portée temporelle «u» coïncide avec le groupe «v». (5)

Ainsi les unités rythmiques d'une pièce sont les portées temporelles des groupes aux niveaux supérieurs, elles résultent de la métrique aux niveaux inférieurs et d'une combinaison des deux aux niveaux intermédiaires. Comme ces unités sont organisés hiérarchiquement, nous pouvons représenter la position des événements musicaux dans la structure temporelle par un arbre; les événements en sont les feuilles (un «événement» est un objet sonore dans le temps musical). L'exemple 5a donne l'arbre pour des événements placés arbitrairement dans la structure temporelle de l'ex. 4a, l'ex. 5b les donne, placés de la même façon, dans la structure temporelle de l'exemple 4c.


Ex.5a

Ex.5b
Remarquez que les constellations de branches dans les arbres correspondent exactement aux portées temporelles données par les structures métriques et de groupement décrites en dessous. Ceci est le résultat direct de la façon de construire les arbres: si deux événements se trouvent dans la même portée temporelle, ils doivent s'attacher à un noeud de l'arbre, et ainsi de suite, de manière récursive. Il faudrait aussi faire remarquer que, jusque ici en tout cas, ces embranchements ne suggèrent rien sur une éventuelle réduction des événements placés à leurs extrémités. Ils représentent simplement la façon dont ces événements sont liés à cause de leur position rythmique.

2.2 Utilisation compositionnelle

A quoi servent ces concepts dans un programme conçu comme une aide à la composition ? Nous allons maintenant introduire deux fonctions, l'une d'esquisse, l'autre d'«édition». Bien que nous employions le présent pour exposer nos idées, il faut garder présent à l'esprit que leur implantation ne fait que commencer.
2.2.1 L'esquisse
Imaginez un compositeur qui esquisse une oeuvre devant un terminal plutôt que sur papier. Il dispose d'un clavier, d'un écran graphique, et d'une capacité minimum de synthèse sonore. Il pense à un événement et tente alors de développer la structure temporelle dans laquelle il est emboîté; ou bien il songe à une structure temporelle abstraite, puis aux événements qui pourraient s'y inscrire. Ou bien, il pense aux deux à la fois. Il compose de haut en bas ou de bas en haut, ou les deux à la fois. Quelle que soit la façon dont il assemble sa pièce, un curseur mobile sur l'écran graphique lui permet de se situer dans la structure et de générer un nouveau matériau. Il peut écouter les résultats à chaque instant.

Rendons ce scénario un peu plus concret (nous entrerons dans les détails plus loin). En fait le curseur bouge de noeud en noeud dans l'arbre. L'arbre grandit au fur et à mesure que le compositeur génère une structure nouvelle. Grâce à un simple code, les événements sont enregistrés sur le noeud qui convient. Ils apparaissent alors sur l'écran sur des portées, dans une notation musicale à peu près normale, aux feuilles des branches... Les structures de groupement et métriques sont également enregistrées au moyen d'un code simple, sur les noeuds de l'arbre; (Ceci est possible grâce à l'isomorphisme, décrit plus haut, entre les portées temporelles et l'arbre). Sur l'écran, le groupement et la métrique sont affichés comme dans l'exemple 5, sous les portées.

Il existe deux méthodes pour la localisation dans l'arbre. Premièrement, l'on peut taper les positions désirées de groupement et de métrique, quand la position de groupement est indiquée par des étiquettes données (pour la section, la phrase, etc.) et, que la position métrique est indiquée par la mesure, le temps et la subdivision du temps, le point de départ étant le premier temps fort de la phrase en question. Ainsi un temps faible sur une phrase serait situé à «phrase `x', mesure 1, temps -1»). Deuxièmement, et plus directement. l'on peut amener le curseur sur le noeud désiré en tapant l'instruction de «mouvement» (bas, haut, droite, gauche) ou avec un pointeur. Pour faciliter la visualisation, l'écran se déplace dans les directions nord, sud, est et ouest. L'écran, c'est inévitable, devient trop petit. On peut alors zoomer sur les détails de la structure. Il est également possible de supprimer la visualisation de certains aspects de la description structurelle, comme les liaisons de groupement ou les points métriques.

La facilité de réécoute est reliée à la structure créée. Si le compositeur ne désire écouter qu'une section ou une phrase, il place le curseur sur le noeud approprié et tape PLAY. L'extrait devrait être cohérent car les séquences d'événements sous les noeuds comprennent les unités rythmiques entendues de la pièce. Si par hasard l'extrait n'est pas cohérent, cela signifiera que l'organisation n'a pas été conçue comme elle est entendue. Le compositeur peut alors chercher les modifications nécessaires.

Cette configuration permet au compositeur de travailler devant un terminal comme lorsqu'il travaille musicalement. Il n'a plus besoin de traduire sa pensée musicale en un médium étranger. En outre, l'utilité de ce programme en tant que station d'esquisse n'est pas réservée au seul compositeur de musique informatique. L'on peut aisément imaginer l'aide qu'il peut apporter à la composition d'une oeuvre instrumentale.

2.2.2 Editer
Les ordinateurs comportent en général un programme d'éditeur de texte, construit hiérarchiquement en fichiers, pages, fenêtres, lignes et caractères. Si l'utilisateur désire supprimer une page, il n'a pas besoin de toucher aux pages suivantes, ni de détruire tout le dossier, bien entendu. De même s'il souhaite ajouter une ligne de texte. L'ajustement se fait automatiquement. Les changements sont purement locaux, car les pages et les lignes sont des modules autonomes dans le système. En revanche, si un compositeur qui travaille avec les programmes de synthèse de sons numériques existants désire changer quelque chose à sa partition, il doit réajuster tout le reste. S'il rajoute 5 secondes à un événement, il doit rajouter cinq secondes à tous les événements suivants. S'il retarde un geste, il doit effectuer le même changement sur le matériau suivant, pour éviter d'avoir un silence à sa place. Bien entendu, on parvient, de différentes manières, à atténuer ces contraintes. Mais certaines de ces techniques interviennent directement sur l'événement modifié lui-même. Il n'existe pas encore de programme d'édition de sons ou de partitions efficace et musicalement cohérent (6)

Le programme dont nous parlons remplit cette fonction. Les modules sont ici des unités rythmiques musicalement naturelles comme des sections, des phrases, des gestes et des intervalles métriques. Si l'utilisateur veut ajouter ou retarder un matériau à n'importe quel niveau, il positionne le curseur sur le noeud correspondant, et enregistre les modifications. Cette information est automatiquement communiquée aux autres noeuds concernés de l'arbre et les modules voisins se rattachent correctement aux extrémités du module modifié (voir les détails au paragraphe 4.1.1). L'opération se passe bien car l'information est transportée hiérarchiquement plutôt que séquentiellement: une modification de n'importe quel noeud s'applique également à tous les autres noeuds ou feuilles qui lui sont subordonnés. L'aptitude à éditer un module s'exerce aussi bien sur la représentation graphique que sur la réalisation du son, qui, toutes deux, sont les dérivés de la représentation interne du programme.

L'ex.6 illustre l'édition de module à un niveau structurel représentant des groupes. Dans l'ex.6a,


Ex.6a

Ex.6b
les groupes emboîtés «i» et «j» sont adjacents. Dans l'exemple 6b un groupe supplémentaire «k» a été inséré entre les groupes «i» et «j». Ceci s'accomplit au noeud «h», qui correspond au groupe «h». Il en découle que le groupe «h» est maintenant plus long, de la durée du groupe «k», et que le groupe «j» est retardé de la durée du groupe «k».

L'ex.7 illustre la modularité de l'édition au niveau métrique des structures. Pour des raisons de convenance, nous incluons le niveau de temps qui pourrait être compté ou battu.


Ex.7a
Dans l'exemple 7b la seconde mesure de 4/4 de l'exemple 7a est raccourcie en une mesure de 5(2+3)/8, par le biais d'un changement de la règle métrique pour cette mesure. Le groupe «n» commence maintenant 3/8e de note plus tôt.

Ex.7b
Ces opérations ont un effet purement local qui n'interrompt en rien la continuité à grands ou petits niveaux. On peut le visualiser en retournant à l'exemple 6. En comparant l'exemple 6b, observez que les noeuds «g» et«i» ne sont pas structurellement affectés par l'opération effectuée sur le noeud «h». Seul l'embranchement au noeud «h» a changé.

3. La structure hiérarchique des hauteurs

3.1 Concepts théoriques

Nous ne nous sommes pas encore préoccupés des structures de hauteurs en tant que telles. Nous n'avons considéré les événements qu'en termes de leur position dans la structure rythmique. Ce chapitre s'attachera à montrer comment le programme aborde le problème des structures de hauteurs dans leur aspect hiérarchique (i.e. réductionnel).

Dans chaque genre musical, l'auditeur sent intuitivement que certains événements sont structurellement importants et que d'autres sont relativement décoratifs. On peut exprimer cette intuition un peu différemment, en disant que des événements sonnent comme l'élaboration de certains autres; ou que certains événements sonnent de façon plus stable que d'autres. On peut dire encore que certains événements peuvent entretenir une relation de domination ou de subordination avec d'autres. Ces relations tendent à être récursives.

Nous représenterons ces relations en donnant une orientation aux embranchements de nos arbres. Une branche de droite, comme celle de l'exemple 8a signifie qu'un événement est subordonné à un événement précédent; une branche de gauche, comme dans l'exemple 8b signifie qu'un événement est subordonné à un événement suivant. Les événements peuvent être dits adjacents à un certain niveau de structure s'ils sont attachés au même noeud de l'arbre. Ainsi, dans l'exemple 8c, e2 est adjacent et subordonné à e1; e3 est adjacent et subordonné à e4, et e4 est adjacent à e1 à un niveau supérieur (après que e2 et e3 ont été réduits), et est subordonné à e1.


Cependant, et il s'agit d'une restriction importante, ces branches ne peuvent pas se croiser, et un événement ne peut être subordonné à plus d'un seul autre événement. Ainsi l'arbre de l'exemple 9 est interdit car la branche de e5 croise celle de e4 et que e3 s'attache à la fois à e2 et à e4. Ces conditions doivent être respectées pour que l'on puisse entendre les structures de hauteurs sur un mode hiérarchique (Il existe des moyens particuliers de résoudre l'interbranchement, ainsi que d'autres exceptions à l'embranchement ordinaire. De plus, nous ne tentons en rien de nier l'existence de relations de hauteurs non hiérarchiques ou d'associations motiviques. Même à l'intérieur d'un seul paramètre, la musique est entendue de façon multidimensionnelle).

Ex.9
Nous considérons ici deux genres de hiérarchies de hauteurs, toutes deux inférées par l'auditeur à partir de la surface musicale. La première, appelée «réduction par portées temporelles» (time-span) représente l'importance structurelle relative d'événements entendus en tant qu'unités rythmiques dérivées du groupement et de la métrique. La seconde, appelée «réduction par prolongation», traduit les formes hiérarchiques de tension et de détente dans les structures de hauteur. Pour bien saisir ce qui suit, il est nécessaire de garder présentes à l'esprit les différentes intuitions qui induisent ces deux genres d'organisation. (7)

3.1.1 La réduction par portées temporelles
Dans les exemples 5 à 7 nous avons confronté des embranchements nonorientés, construits à partir d'unités rythmiques. Dans l'exemple 10, nous reprenons les arbres de l'exemple 5 et donnons une orientation possible aux embranchements: nous créons ainsi des arbres par portées temporelles. Pour rendre plus claire la signification des arbres, nous dupliquons la subordination des événements en une réduction de présentation plus traditionnelle, sous les diagrammes. La dénomination des niveaux de la réduction correspond à celle des noeuds de l'arbre.

Ex.10a

Ex.10b
Les arbres par portées temporelles sont construits analytiquement, de la manière suivante. A l'intérieur de toute unité rythmique, deux événements peuvent survenir et par là être soumis à comparaison (ou un seul ou pas d'événement, du tout, et dans ce cas, il n'y pas de noeud, ou encore trois événements, pour une triple métrique). L'événement le plus stable dans ce contexte est doté de la branche dominante, et se projette sur l'unité rythmique immédiatement supérieure pour continuer la comparaison. Dans certains langages, comme la musique classique tonale, ce processus se poursuit jusqu'à ce qu'un seul événement domine toute la pièce. Dans d'autres langages, comme celui d'une grande partie de la musique du XXe siècle, le sens de la hiérarchie est moins marqué.

Le résultat est qu'à l'écoute, on a l'impression qu'une pièce dispose de plusieurs arbres locaux, provisoires, hiérarchiquement non reliés.

Nombreuses sont les orientations possibles, autres que celles illustrées par l'exemple 10. Elles dépendent de la structure et des relations entre les événements eux-mêmes. Nous laisserons cet aspect de côté pour l'instant, pour envisager les interprétations d'arbres par portées temporelles à des niveaux locaux et globaux.

Aux niveaux locaux les événements dominants et subordonnés ont une relation musicalement importante avec la structure métrique. L'exemple 11 propose les quatre possibilités. Les exemples 11a et 11b appartiennent à la catégorie des contretemps, 11c et 11d à celle des levées.


Ex.11a: La battue domine le contretemps
Ex.11b: Le contretemps domine la battue
Ex.11c: La battue domine la levée
Ex.11d: La levée domine la battue
Au niveau global, c'est la relation à la structure de groupement qui est le point critique. On peut dire d'une phrase ou d'une section qu'elle est articulée par un début structurel et une fin structurelle (ou cadence). Le mouvement essentiel de cette phrase ou section a lieu entre ces deux points. Le début structurel (dit désormais «ds»), est tout simplement l'élément le plus stable intervenant tôt dans le groupe, mais la fin structurelle (dite désormais «fs») est le plus souvent une formule de deux événements constituée de l'événement placé en deuxième position pour sa stabilité, se résolvant dans l'événement le plus stable.

Ces caractéristiques ne sont pas obligatoirement présentes, de même que certains langages ne comportent pas de structure métrique. Cependant, la généralisation s'adapte à de nombreux langages musicaux, et, dans le contexte où nous nous trouvons, elle vaut donc la peine d'être approfondie.

L'importance structurelle d'un «ds» ou d'une «fs» dépend de sa position dans la structure de groupement englobante. Prenez par exemple deux phrases, l'une de longueur m et l'autre de longueur n, rattachées au niveau immédiatement supérieur de groupement, Ici, le «ds» de la première phrase et le «fs» de la seconde phrase fonctionnent pour la longueur m+n, alors que la «fs» de la première phrase et le «ds» de la deuxième phrase fonctionnent seulement pour leurs propres phrases. L'exemple 12a illustre cette situation sous forme d'«arches de mouvement». L'exemple 12b traduit l'exemple 12b en notation d'arbre (la «fs» finale étant arbitrairement choisie comme dominant la structure toute entière.


Ex.12a

Ex.12b
Pourtant, puisqu'une «fs» a normalement deux membres, l'exemple 12 b devrait ressembler à l'exemple 13. Ici, la fin structurelle est traitée comme une unité, jusqu'à un niveau structurel local, où elle se sépare en deux feuilles, une pour chaque événement. Le second membre de la fin structurelle domine le premier car il est le but rythmique du groupe.

Ex.13
En principe, on peut construire un arbre global à peu près automatiquement, à partir du «ds» et de la «fs» pour des phrases individuelles, jusqu'au «ds» et à la «fs» d'une pièce entière. C'est une autre affaire, cependant, de rendre cette structure signifiante à l'oreille; des niveaux locaux de structure, particulièrement la phrase et la sous phrase, sont plus faciles à construire. On peut définir la phrase comme le plus petit niveau de groupement à posséder un «ds» et une «fs».
3.1.2 La réduction par prolongation
L'une des intuitions les plus importantes à l'audition d'une pièce est celle de sentir les mouvements de tension ou de détente parmi les événements. Si l'on entend deux événements comme reliés par prolongation (à la surface musicale ou à un niveau réductionnel sous-jacent), et si le second événement est entendu comme moins stable que le premier, la progression générale est ressentie comme une tension. Si le second événement est ressenti comme plus stable que le premier, la progression marque une détente. Mieux encore, le degré de tension ou de détente entre deux événements peut être défini par le degré de continuité qui existe entre eux. Si un événement est suivi de sa réplique, on ressent peu de tension ou de détente. Si un événement est suivi de son double sous une forme moins stable, le sentiment de tension ou de détente (l'un ou l'autre, selon le cas) apparaît. Si un événement est suivi d'un événement complètement différent, le sentiment de tension ou de détente s'impose tout à fait.

Dans l'arbre par prolongation, nous représenterons une forme de tension par un embranchement vers la droite et une forme de détente par un embranchement vers la gauche. Les exemples 14a à c donnent les formes d'embranchements vers la droite et les exemples 14d à f des formes d'embranchements vers la gauche. Les différents noeuds dans les arbres indiquent les différents degrés de continuité, que ce soit de tension ou de détente. Un cercle ouvert, comme dans les ex.14a et 14b décrit l'attachement d'un événement et de sa réplique.

Ceci est appelé «prolongation forte». Un cercle plein, comme dans les exemples 14b et 14e décrit le cas où un événement progresse jusqu'à une forme moins stable de lui-même. Ceci est appelé «prolongation faible». Un noeud sans aucun cercle, comme dans les ex.14c et 14f, décrit le cas ou un événement progresse jusqu'à un tout autre événement. Ceci est appelé une «progression».


Ex.14a

Ex.14b
L'exemple 15 propose quatre brèves illustrations d'embranchements par prolongation. Dans l'ex.15a, e1 est prolongé jusqu'à sa répétition e4. Dans cette hypothèse, e2 marque une tension par rapport à e1 et e3 se détend en e4. L'exemple 15b montre un cas de croissance aiguë de la tension. 15c démontre un modèle banal de tension-détente, le dernier événement répétant le premier, mais sous une forme moins stable.

Ex.15
A la différence des arbres par portées temporelles, les arbres par prolongation sont construits analytiquement, des niveaux globaux aux niveaux locaux. Ceci est nécessaire, car l'importance d'un événement du point de vue de la prolongation ne peut être déterminée que par le contexte le plus englobant.

De plus, l'importance d'un événement vis-à-vis de la prolongation ne peut pas être déterminée seulement par son contenu de hauteurs; une information rythmique est également nécessaire. Donc, l'input à un niveau de prolongation donné est pris en partie des niveaux globaux à locaux de l'arbre par portées temporelles qui lui est associé, avec toute l'information rythmique dérivée du groupement et de la métrique. L'autre point critique pour la construction d'un arbre par prolongation est la stabilité de connexion entre deux événements. Dans une forme marquant une tension, la plus petite augmentation de la tension est la connexion la plus stable; donc une prolongation forte par la droite (ex.14a) est hautement favorisée. Dans une forme marquant la détente, la plus grande augmentation de la détente est la connexion la plus stable; donc une progression par la gauche (ex.14f) est hautement favorisée.

La relation entre les deux sortes de réduction peut être très révélatrice. Pour l'illustrer brièvement, l'exemple 16 propose un arbre par prolongation possible dérivé de l'ex.13. Les «ds» et les «fs», ainsi que leurs structures de groupement associées, y sont inclus; et nous avons ajouté deux événements relativement décoratifs, e(j) et e(k). Dans l'exemple 16, [ds(n)] peut être vu comme une répétition par prolongation de [fs(m+n)]. Donc la structure globale est plutôt répétitive. A de plus petits niveaux, des événements comme e(j) et e(k) procurent les modèles de tension et de détente nécessaires pour que la musique sonne de façon suffisamment riche. Dans une véritable pièce, bien évidemment, les formes de tension et de détente sont infiniment plus complexes que dans cet exemple.


Ex.16
Dans l'exemple 16, il est intéressant de remarquer que [ds(n)] appartient au groupe «n» mais se rattache sur l'arbre à [ds(m)] qui se trouve dans le groupe «m». De tels conflits de structure entre les structures de groupement et les structures prolongationnelles surviennent fréquemment dans les véritables pièces. Ils permettent à la musique à la fois d'articuler (réduction par portées temporelles) et de continuer (réduction par prolongation). L'équilibre entre les deux est crucial, car une musique qui se contente d'articuler devient statique, et une musique qui ne fait que continuer est dénuée de cohérence.

3.2 L'utilisation compositionnelle

Ce survol des hiérarchies de hauteurs, bien que partiel, devrait remplir sa fonction qui est de décrire la composition assistée par ordinateur. Il nous fallait en premier lieu laisser de la place dans le programme pour les compositeurs qui ne s'intéresseraient pas à la hiérarchie des hauteurs. Après tout, depuis une trentaine d'années, les compositeurs ne se sont guère penchés sur ce genre de structure de hauteurs; ce n'est qu'aujourd'hui qu'un véritable intérêt se manifeste à nouveau.

Un compositeur qui ne voudrait utiliser le programme qu'à des fins d'esquisse ou d'édition pourrait simplement spécifier des arbres nonorientés, comme dans l'ex.5. De plus, s'il n'était pas intéressé par la structure métrique, il pourrait spécifier un seul niveau de points, et travailler avec des événements à l'intérieur d'une structure de groupement. On voit dans l'ex.17 à quoi pourrait rassembler une telle structure. Non seulement il n'y a pas d'embranchements droite au gauche, mais à certains endroits de la structure, plus de deux branches se rejoignent à un seul noeud. Si en outre il désirait peu de structure de groupement, un nombre infini d'événements pourrait s'attacher au même noeud; mais alors, il n'aurait probablement aucune raison de se servir de ce programme.


Ex.17
Le programme propose trois utilisations principales aux compositeurs intéressés par les hiérarchies de hauteurs. L'esquisse et l'édition, tout d'abord, que nous avons mentionnées plus haut, et que nous approfondirons maintenant en termes de spécification des fonctions de hauteur (et d'esquisse de haut en bas). Deuxièmement, on peut explorer, dans un cadre musicalement et psychologiquement acceptable, les possibilités structurelles des nouveaux sons. Par nouveaux sons nous entendons aussi bien l'infinie variété de timbres offerts par les moyens électroniques que toute grammaire de hauteurs non conventionnelle imaginée par le compositeur pour des instruments acoustiques ou synthétisés. Troisièmement, la capacité de construire d'une manière efficace des formes structurelles complexes mais auditivement pertinentes. Étudions les l'une après l'autre.
3.2.1 Spécifier des propriétés sur les noeuds
Lorsqu'un compositeur esquisse, les idées lui viennent soit précisément, soit anarchiquement. Parfois, le timbre et la dynamique seront évidents, mais pas la hauteur. Ou encore la hauteur peut être évidente, mais pas sa position dans la structure temporelle; ou vice-versa. Il est donc souhaitable dans un programme d'esquisse d'être capable de générer des événements de différentes manières, à travers divers paramètres musicaux, et avec un degré de spécification variable.

Nous répondons à ces exigences grâce à des listes de propriétés assignées aux noeuds des arbres par portées temporelles. Ces listes éclatent en sous catégories de hauteur, timbre, amplitude, métrique, longueur d'une portée temporelle (métrique ou groupement) et position. Si une catégorie n'est pas spécifiée, le programme poursuit, selon les informations dont il dispose. S'il le désire, le compositeur peut donc esquisser en termes d'un seul paramètre.

Pour un paramètre donné, on peut préciser un événement de noeud en noeud. Par exemple on peut tout d'abord positionner les événements structurellement importants sur les battues et en déplacer ensuite certains lorsqu'ils se retrouvent entourés d'événements plus décoratifs. Ou bien l'on peut spécifier une famille de timbres pour un événement à un niveau global et déléguer le raffinement du timbre à un niveau local. On peut encore, comme dans l'exemple 18, prévoir la hauteur d'un événement par sa fonction générale d'abord, puis par ses notes basse et mélodique, et enfin dans tous ses détails. Dans cet exemple, e2 est généré au niveau «f» seulement par sa fonction «x» à un certain niveau de transposition; au niveau «9», il acquiert ses notes basse et mélodique; et, au niveau «h», les


Ex.18
voix internes sont ajoutées et complètent le contenu de hauteur de l'événement. La signification de «fonction x» doit être établie à l'avance; elle pourrait être un ensemble de hauteurs ou un type d'accord. La représentation graphique et la facilité d'écoute sont liées à la manifestation la plus locale de l'événement, mais l'histoire de sa dérivation reste en mémoire. Donc, si la réalisation de l'événement se révèle insatisfaisante, l'utilisateur peut faire marche arrière, disons jusqu'au niveau «c», conserver l'information fonctionnelle et transpositionnelle, et recomposer les détails. (8)
3.2.2 Une approche de la fonction d'esquisse de haut en bas
Supposons que nous ayons généré un certain nombre d'événements et que les ayons situés dans une structure de groupement englobante, comme dans l'exemple 19. L'orientation de l'arbre par portées temporelles découle de la position et de la fonction de ces événements dans la structure de groupement. Nous pouvons ne pas connaître tous les détails de ces événements, mais nous leur avons donné assez d'information de hauteurs à leurs différents noeuds pour avoir une idée générale de la structure globale de hauteurs de la pièce. Bien que n'ayons encore inscrit aucune marque métrique et que nous ne connaissions donc pas encore la longueur des groupes, nous pouvons écouter cette structure dans une version raccourcie. Pour donner l'idée du groupement, de brèves pauses marquent les limites des groupements.

Pour faciliter l'évaluation de la structure globale de hauteurs, il est utile de convertir l'arbre par portées temporelles dans l'arbre par prolongation associé: les modèles de tension et de détente sont ainsi représentés directement. Une telle conversion ne présente en principe aucune difficulté, car il n'y a que deux facteurs principaux: l'importance de la portée temporelle et la stabilité de la connexion par prolongation (voir paragraphe 3.1.2). Il est envisageable de développer un algorithme pour cette conversion.


Ex.19
Supposons que, dans l'exemple 19, e1 soit une version quelque peu instable de e14, que e10 soit la répétition de e1, que e12 soit une version quelque peu instable de e10, que e3 et e6 soient des versions instables de e5 et que e7 et e8 soient les éléments les moins stables de cette séquence. Par prolongation on obtient l'arbre de l'ex.20. Les liaisons de groupement de l'exemple 19 sont incluses pour mettre en exergue le contrepoint structurel entre les composants des deux structures.

Ex.20
Se pose maintenant la question cruciale: la structure entendue reflète-t-elle la signification des arbres. Si leurs modèles de domination et de subordination, de tension et de détente, ne sont pas entendus, c'est que le résultat obtenu ne correspond pas au but recherché; il faut changer l'un ou l'autre. Des expériences successives confrontant les arbres aux sons entendus permettront au compositeur de construire progressivement une structure de hauteurs globale, cohérente et solide.

Supposons maintenant que la structure de hauteurs globale soit en place jusqu'aux niveaux des «ds» et «fs» des phrases. Ce niveau est assez local pour que le compositeur ait une notion provisionnelle de la structure métrique et de la longueur de chaque phrase (Si la structure métrique est relativement invariante, il peut souhaiter la spécifier à un noeud plus global). Voyons dans l'exemple 21 un détail de l'analyse par portées temporelles des deux premières phrases de l'exemple 19. Nous avons deux niveaux d'une structure métrique régulière mais les longueurs et les relations de phase de ces deux phrases présentent quelques différences. Duels que soient les détails, la situation locale est maintenant assez claire pour que le compositeur puisse générer de nouveaux événements comme e(j) et e(k) à l'intérieur de chaque phrase et les localiser précisément sur la grille métrique. Il peut alors désirer, comme plus haut, examiner ce matériau nouveau dans l'arbre par prolongation associé; et ainsi de suite, jusqu'à ce que les phrases puissent être considérées comme complètes. A ce stade, il peut vouloir confronter le résultat sonore non seulement aux arbres mais aussi à la métrique, pour savoir s'il est parvenu à obtenir la structure métrique assignée, et, si ce n'est pas le cas, quelles modifications il peut apporter. (9)


Ex.21
Le scénario est une simplification extrême non seulement d'un comportement créatif réel, mais aussi des possibilités du programme. Il est évident que l'utilisateur voudra générer certains de ses matériaux de façon locale, et les intégrer dans un projet général. Nous n'entrerons pas ici dans cette discussion.
3.2.3 Fonctions structurelles pour des sons nouveaux
Nous avons laissé entendre jusqu'ici que l'orientation des arbres n'est pas un problème purement systématique. Expliquons-nous: La domination et la subordination, la tension et la détente proviennent en fait de deux sources; l'une est le contexte compositionnel, où les contraintes systémiques sont hautement pertinentes; l'autre est la nature des sons utilisés.

Pour comprendre l'interaction de ces deux facteurs, examinons ce qui suit. Il est facile d'imaginer un système dans lequel la quarte est plus stable que la tierce majeure et réciproquement. Mais il est plus difficile d'imaginer un système où une septième majeure est plus stable qu'une tierce mineur. Pour prendre un exemple plus radical encore: les octaves et les quintes sonnent de manière plus stable que les inharmoniques, quel que soit le contexte. Il semblerait, pour résumer, qu'il existe une sorte de hiérarchie naturelle dans la stabilité des sons, basée sur des facteurs psycho-acoustiques, et qui serait malléable. Le degré de malléabilité semble dépendre à la fois du contexte musical et du degré d'éloignement des sons comparés dans la hiérarchie naturelle. (10)

Ce domaine est resté relativement inexploré, peut-être pour trois raisons: D'abord, les compositeurs du XXe siècle ont généralement cherché d'autres façons d'organiser leur matériau que sur des critères de stabilité/instabilité. Ensuite, les compositeurs de musique électronique se sont en général préoccupés davantage de la qualité des sons que de la façon dont iIs pourraient être organisés. Enfin, il n'existait pas, jusqu'ici, de théorie de la stabilité/instabilité qui soit indépendante du style, et dans laquelle on pourrait tester les différents facteurs contextuels.

Ce programme est idéal pour explorer ce domaine. Voyons l'exemple 22 qui montre un arbre de prolongation simple et une structure de groupement. Supposons que les événements terminaux soient des constructions familières et qu'ils satisfassent l'analyse arborescente sans difficulté; c'est-à-dire que e6 sonne comme une version instable de e1, e4 sonne comme une version instable de e1, e4 sonne comme la répétition (ou le retour) de e1, e2 se résolve en e3 et e5 se résolve en e6. Voici le test: nous remplaçons ces événements familiers par des événements qui ne le sont pas mais nous essayons de conserver la signification de l'arbre. La seconde série d'événements pourrait faire partie d'une nouvelle grammaire, basée sur l'échelle chromatique habituelle, ou elle pourrait être fondée sur des échelles en 19 ou en 31 tons. Les nouveaux événements pourraient également être un ensemble de sons électroniques, peut-être de hauteur indéfinie, au sein duquel le timbre contribuerait autant que la hauteur au sentiment de stabilité. Quels que soient les détails, la nécessité d'exprimer les relations décrites dans les arbres fixe une importante contrainte sur l'emploi des matériaux: si des événements ne se relient pas comme le dit l'arbre, il faut les modifier jusqu'à ce qu'ils le fassent. En substituant, en réécoutant et en comparant, on peut explorer les possibilités structurelles des nouveaux sons de manière cohérente.


Ex.22
L'importance potentielle de cette procédure devrait être particulièrement évidente dans le domaine de la musique électronique, où s'est ouverte une riche et fascinante palette de nouveaux sons. C'est cette richesse même qui en rend l'organisation difficile. Il va sans dire que toute oeuvre d'art durable doit posséder non seulement une grande beauté de surface mais aussi une structure affirmée, et nous ne voulons pas seulement parler d'une quelconque organisation idiosynchratique avec laquelle l'artiste travaille, mais d'une structure perçue. Dans la plupart des cas, la musique électronique s'est arrêtée à la beauté de surface. La méthode proposée ici permet de dépasser ce stade. Il s'agit d'une structure qui n'est ni arbitraire, ni périphérique: l'organisation hiérarchique et les modèles de tension et de détente sont au centre du fonctionnement cognitif.
3.2.4 La construction d'une structure musicale
Les différents concepts et techniques que nous avons exposés peuvent être mis en pratique par le compositeur de bien des façons. En plus de cette variété, le programme offre un avantage global: celui de construire une structure musicale de manière efficace et auditivement pertinente. Il est bien entendu que de nombreux compositeurs le font sans avoir recours aux ordinateurs. Mais l'organisation de ce programme, les graphiques et la facilité d'écoute immédiate devraient permettre aux compositeurs de développer leur raisonnement plus rapidement et peut-être plus rigoureusement. Il est également probable que la logique du programme suggérera au compositeur des façons d'organiser la structure auxquelles il n'aurait peut-être pas pensé.

Prenons deux exemples simples, l'un utilisant un arbre par prolongation et l'autre un arbre par portées temporelles. Les deux arbres par prolongation de l'exemple 23 expriment chacun une construction répétée de tension et de détente. Les groupes «m» et «n» de l'ex.23a montrent une tension progressive suivie d'une détente progressive. Comme. dans chaque groupe, l'équilibre est maintenu entre la tension et la détente et comme le contexte plus large est répétitif par prolongation, le passage entier sonnera comme plutôt stable et fermé. En revanche, dans l'ex.23b, les groupes «m» et «n» illustrent une tension affirmée. De plus, e6, le point le plus stable du groupe «n» marque une tension par rapport à e1, le point le plus stable du groupe «m». Le passage commence d'une manière relativement stable et acquiert progressivement une double et forte tension. L'effet général sera non pas fermé mais dynamique.


Ex.23a

Ex.23b
Dans le second exemple, il s'agit de situer des événements dominants et subordonnés dans un contexte métrique et de groupement. Dans l'ex.24 la mesure en 3/4 interagit avec le groupement de telle manière que les 3emes temps sont presque toujours des levées pour les temps forts qui suivent.

L'arbre par portées temporelles montre autre chose: dans chaque mesure l'événement le plus stable a lieu au deuxième temps, les événements des troisième et premier temps précédents étant relativement décoratifs. Ainsi la métrique, le groupement et la hiérarchie des hauteurs forment des accentuations croisés. En outre, aux niveaux supérieurs le modèle se reproduit d'une manière différente. Les événements dominants des groupes a sont subordonnés aux événements dominants du groupe a1, et ces derniers événements sont à côté des temps les plus forts au niveau de la mesure. Il en va de même pour les groupes b et b1, et, partiellement, pour les groupes c et c1. Finalement, toute cette accentuation croisée se résout, au moyen d'une superposition de groupe, et d'une battue «structurelle», en e(z).


Ex.24
Dans une véritable pièce, les structures des exemples 23 et 24 peuvent se multiplier en des structures infiniment plus complexes. Grâce à des instructions récursives aux noeuds relativement globaux, il devrait être possible de bâtir efficacement des proliférations élaborées de tels matériaux.

Il ressort de ces exemples que ces modèles structurels n'impliquent pas nécessairement de répétitions de surface. Toutes sortes d'événements peuvent parvenir à satisfaire ces motifs. Les répétitions structurelles sont dans l'arbre abstrait: elles sont invisibles, à l'oeil mais évidentes à l'oreille.

4. Problèmes de programmation

4.1 La description linéaire dans un programme hiérarchique

Une caractérisation purement linéaire de la structure musicale présente des limites évidentes, mais une structure purement hiérarchique pose aussi quelques problèmes. Regardons les structures métriques, de groupement et par portées temporelles de l'ex.25. Supposons d'abord que nous voulions ajouter un temps au niveau de la noire, entre e3 et e4, pour que e3 soit plus long d'un temps. Bien que nous puissions spécifier cette information au noeud «c», comment le programme établira-t-il correctement l'intervalle entre le nouveau temps et le temps de e4? La difficulté réside dans le fait qu'une information donnée à un certain noeud n'appartient qu'au module sous le noeud. Or l'expansion métrique traverse les modules. Ou, pour examiner un autre cas, supposons que nous voulions spécifier une certaine relation - disons une connexion de prolongation ou une transformation timbrale, - entre e3 et e4. Ce serait facile à faire entre e1 et e2, puisque ces deux événements sont sous le noeud «d». Mais le seul moyen de communication entre e3 et e4 est le noeud «b» qui est relativement global et ne domine directement aucun de ces événements.

Ex.25
Ces cas sont cependant assez simples. Imaginez qu'il faille décrire de telles connexions entre la «fs» terminant une section et le «ds» commençant la suivante. Bien que ces événements soient adjacents dans la surface musicale, ils sont très éloignés dans l'arbre. Il ne serait ni efficace ni naturel de spécifier des relations linéaires locales aux noeuds globaux. Il faut en quelque sorte ajouter une approche linéaire à l'approche hiérarchique.

Il existe trois solutions possibles à ce problème. Premièrement, développer une approche linéaire sans aucune relation avec l'approche hiérarchique Elle est inacceptable, car elle n'établit aucune connexion entre les deux modes de description. Les deux autres solutions, utilisant la continuité métrique et des descriptions multiples de l'arbre vont être examinées dans les paragraphes suivants.

4.1.1 La continuité métrique
La différence entre la métrique et les autres composantes hiérarchiques est qu'elle «boucle», i.e. qu'elle se répète suivant un certain motif, indéfiniment. Lorsque cela arrive, la métrique peut être définie à un niveau global et les frontières de groupement peuvent être placées à des temps spécifiques. Mais on désire souvent faire le contraire, c'est-à-dire définir la métrique à des niveaux relativement locaux de groupement, soit à cause d'irrégularités locales de la métrique, soit à cause de doutes sur la longueur des groupes à des niveaux globaux. Il y a donc, comme nous l'avons vu dans l'ex.25, des difficultés pour établir une continuité métrique de groupe à groupe (ou de noeud à noeud).

Pour résoudre ce problème, il nous faut quelques définitions métriques. Premièrement (voir la note 9) le «tactus», le niveau le plus frappant perceptuellement de la structure métrique, le niveau auquel le chef bat, et l'auditeur tape du pied. Deuxièmement «le tempus», un petit niveau métrique fait d'intervalles de temps égaux. Troisièmement, un «niveau fonctionnel de temps», un niveau métrique qui retient une fonction similaire malgré les irrégularités métriques environnantes. Tels sont les moyens pour établir une liaison métrique à travers les frontières de la façon la plus régulière possible. (11)

Les applications de ces concepts se recouvrent, notamment dans un idiome métriquement régulier comme la musique classique tonale. Pour avoir une idée de comment ces concepts s'appliquent aux différents niveaux métriques, regardons l'ex.26, où une mesure 3/4 succède à une mesure 5(2+3)/3. Le plus petit niveau métrique, celui de la croche, est le tempus, puisqu'il est le seul niveau totalement régulier de ce passage. Le niveau immédiatement supérieur, bien qu'irrégulier dans la mesure 5/8 est le plus frappant perceptivement, c'est donc le tactus. Le niveau le plus grand est le niveau fonctionnel de temps car, même s'il a une durée différente dans les passages 5/8 et 3/4, il garde sa fonction de niveau de mesure tout du long (Les deux autres niveaux pourraient aussi être appelés niveaux fonctionnels de temps).

La validité psychologique de la notion de niveau fonctionnel de temps est peut-être plus manifeste dans l'exemple 27a, où elle est signalée par «+»; il faut trois niveaux métriques pour décrire le modèle 4/4; deux seulement pour le modèle 3/4. Dans un passage ou 3/4 suit 4/4, le niveau de la blanche pointée de 3/4 est-il équivalent au niveau de la blanche de 4/4 ou à celui de la ronde?


Ex.26
L'exemple 27a illustre le premier terme de l'alternative; dans ce cas, le niveau fonctionnel de temps semble sauter un niveau. Le second terme est illustré par l'exemple 27b, où le niveau fonctionnel de temps opère à un niveau 6/4 hypermétrique. On peut choisir l'une ou l'autre solutions. Chacune a sens, suivant le contexte.

Nous pouvons désormais utiliser ces concepts pour résoudre le problème de la continuité métrique. Envisageons premièrement de lier la structure métrique en traversant des frontières de groupement. Dans l'exemple 28, il s'agit de faire correspondre


un modèle métrique du groupe droit à un le dernier temps à ce niveau dans le groupe gauche modèle métrique du groupe gauche («nm» signifiant et le premier temps à ce niveau dans le groupe droit niveau métrique). On y parvient en assignant une équivalence de fonction à un niveau métrique particulier d'un segment à un autre. C'est ici représenté par la flèche. Une certaine relation est alors spécifier entre les niveaux corellés. Normalement, la relation sera la suivante: l'intervalle entre le dernier temps à ce niveau dans le groupe gauche et le premier temps à ce niveau dans le groupe droit est le même que les autres intervalles entre les temps à ce dit niveau. La relation pourrait aussi être: le dernier temps à ce niveau du groupe gauche est confondu avec le premier temps à ce niveau du groupe droit. On peut alors calculer à l'aide d'un algorithme la bonne liaison des autres niveaux métriques à la jonction.

Ex.28
L'exemple 29 montre des segments en phase et déphasés. Dans l'ex.29a deux groupes en phase, le premier en 3/4 et le second en 6/8, doivent être reliés. Ici on peut dire que le tempus (ou dans ce cas le niveau de mesure) est le niveau fonctionnel de temps où les intervalles sont égaux d'un temps à un autre.

Ex.29a

Ex.29b
Dans l'exemple 29b, au contraire, le segment 6/8 a une levée d'une croche, il est donc légèrement déphasé. Comment relier ces segments ? Les exemples 30a à 30c démontrent trois possibilités, correspondant à trois niveaux fonctionnels de temps différents. Dans 30a, les deux segments sont simplement rejoints tels quel, le tempus servant de niveau fonctionnel de temps. Résultat, la mesure 3/4 est étendue jusqu'à 7/8. Dans 30b le tactus est considéré comme un niveau fonctionnel de temps irrégulier, le troisième temps de tactus dans le segment 3/4 étant rendu identique à la battue du segment 6/8. La mesure en 3/4 est transformée en mesure 2/4. Dans 30c, on arrive à la configuration la plus normale en prenant le niveau de mesure comme niveau fonctionnel de temps. Cette information est passée jusqu'aux niveaux métriques inférieurs, produisant une transition sans aspérités; au cours du traitement, le premier groupe a été raccourci d'un temps pour permettre l'insertion de la levée qui suit. La transition est douce parce que précisément, le niveau métrique global n'est l'objet d'aucune rupture.

Ex.30 a, b, c
Les modulations rythmiques à l'intérieur d'un groupe sont rendues non par référence à un niveau métrique fonctionnel mais à des niveaux multiples de tempus. Considérez l'ex.31 dans lequel «+» représente désormais le tempus. Au début, le tempus doit être le tactus de façon à ce que les triolets s'insèrent dans un schéma métrique lors de leur apparition dans la seconde mesure. Puis ce niveau des triolets, plus petit, doit devenir le tempus car c'est le moyen d'établir le nouveau tempo dans la troisième mesure.

Ex.31
Les modulations métriques à travers groupes impliqueraient aussi, bien sûr, le concept de niveau fonctionnel. Nous n'illustrerons pas ce cas, ni les complications supplémentaires de la continuité métrique, car les principes qui s'y impliqueraient seraient les mêmes que ceux précédemment discutés. Des transitions réellement complexes pourraient toutefois requérir la spécification d'un rapport autre que 1:1 pour le tempus.
4.1.2 Descriptions par arbres multiples
Il existe une seconde solution viable pour parvenir à une description linéaire: Elle dérive de la capacité du programme à générer des propriétés progressivement des noeuds globaux aux noeuds locaux (voir 3.2.1). Nous allons maintenant élargir ce concept à la génération d'arbres secondaires aux noeuds. On pourrait inclure n'importe quel paramètre musical dans l'information qui est transmise aux arbres secondaires; nous ne parlerons cependant de cette possibilité qu'en termes de lignes polyphoniques.

Dans les arbres que nous avons décrits jusqu'à présent, les branches descendaient des noeuds jusqu'à des feuilles uniques. De ce point de vue, une pièce consiste en une séquence d'événements discrets. Bien que nous puissions évidemment comprendre la musique de cette manière verticale, nous percevons également des lignes d'événements horizontales et simultanées. Cette perception horizontale peut être partiellement représentée par un arbre unique, mais via un compromis. L'exemple 32a le montre en assignant une branche à chaque point d'attaque dans un passage d'un contrepoint sur deux voix. Bien que chaque événement reçoive une valeur, cette valeur doit être intégrée dans un schéma vertical.


Ex.32a
L'autre solution consisterait à assigner des arbres séparés à chaque voix, comme dans l'ex.32b. Mais une telle description ne met pas les deux voix en relation directe, alors qu'il existe une relation apparente. Le bon contrepoint, on le sait, réconcilie les contraintes verticales et horizontales.

Ex.32b
La bonne solution est donc de représenter les relations contrapunctiques par un arbre unique qui devient multiple aux niveaux appropriés. Le programme peut réaliser cela car les relations de subordination sont également, en un sens, des propriétés des événements. Une relation de subordination peut donc être générée à n'importe quel noeud, et créer un nouvel arbre à partir de l'arbre-mère. On le voit dans l'ex.32c ou deux ensembles de branches commencent au noeud «q», un par voix (l'arbre-mère est représenté comme d'habitude, l'arbre secondaire par «+»). Le noeud «q» doit être pris comme un noeud relativement local dans la pièce entière, mais dominant dans le contexte du passage cité.

Ex.32c
Observez que dans l'exemple 32c les portées temporelles des deux voix sont approximativement identiques. Cela n'est pas nécessaire. Une analyse par arbre multiple offre la possibilité de représenter des segments contrapunctiques dont les portées générales divergent largement. Une représentation en trois dimensions le montrerait plus clairement, mais cette représentation-ci n'enfreindrait pas l'interdiction de superposition, comme montré dans l'ex.9. Il s'agissait alors de recouvrement dans un seul arbre. Ici, il s'agit d'arbres qui ne se recouvrent en eux-mêmes mais l'un par rapport à l'autre.

Etant donné que, dans la musique polyphonique, les articulations supérieures impliquent la coopération de toutes les voix, les noeuds supérieurs de l'arbre par portées temporelles tendent à générer un arbre unique. Les arbres multiples sont plutôt locaux. Plus le noeud est local là où l'arbre diverge, plus il existe de contrôle sur la dimension verticale.

Si l'on considère que des arbres multiples pourraient aussi inclure des organisations telles qu'une polyphonie globale, métrique ou timbrale, l'on s'aperçoit de la possibilité de descriptions structurelles multiples d'une considérable perplexité, y compris des représentations en plus de trois dimensions. L'ordinateur manipule ce genre d'informations plus facilement que le cerveau. Permettre des organisations aussi multiples n'est pas le seul avantage de cette technique: elle permet de le contrôler et de les relier de la manière choisie, par le biais des noeuds. Dans l'optique de la composition, cet aspect du programme pourrait se révéler comme le plus riche. (12)

4.2 Remarques sur la construction du programme

On peut se faire une idée de l'organisation du programme dans l'ex.33 (nous utilisons à nouveau le temps présent, bien que le programme ne soit que très partiellement implanté). Le compositeur travaille à son terminal avec le «langage utilisateur». Ce langage, qui est aussi simple et aussi musicalement naturel que les conditions le permettent, dérive de la représentation interne, écrite en langage LISP. Il en résulte en sortie les graphiques et la possibilité d'une écoute sonore. Le compositeur n'a donc aucun besoin de se confronter avec la représentation interne, même si celle-ci contrôle le programme en tant que tel.

Ex.33
La représentation interne est écrite en des termes similaires à l'arbre par portées temporelles, puisque ce dernier codifie non seulement la réduction par portées temporelles mais aussi les structures métriques et de groupement. Les structures déduites de la représentation interne sont la surface musicale, les structures métriques et de groupement et les deux arbres. On peut choisir de les faire apparaître sur l'écran un à un ou tous ensemble. La synthèse sonore nécessaire à l'écoute dépend de la surface musicale.

Nous avons choisi de programmer en LISP pour deux raisons: premièrement, parce que c'est un langage extrêmement flexible et extensible. Deuxièmement parce qu'il est particulièrement adapté à la manipulation de structures hiérarchiques récursives, le type d'organisations auxquelles appartiennent toutes les structures musicales auxquelles s'adresse le programme.

Deux problèmes se sont posés à nous de façon cruciale, celui de la centralisation et celui du contrôle... En mettant le groupement, la métrique et la réduction par portées temporelles dans l'arbre par portées temporelles, nous avons choisi de centraliser l'entrée de l'information autant que possible, afin d'assurer une cohérence maximale entre les composants. D'autre part, les sorties des composants doivent être représentés de façon indépendante et l'utilisateur doit pouvoir choisir de travailler avec des paramètres individuels et de différents niveaux de structure. L'entrée centralisée doit être canalisée en des représentations séparées, sans perte de contrôle. (13)

Autrement dit, comment pouvons-nous construire la surface musicale, les structures métriques et de groupement et les arbres sans qu'ils ne se contredisent mutuellement ? L'entrée d'informations de ce type est souvent éclatée sur plusieurs noeuds d'intervalles de temps, qui doivent tous être reliés de la meilleure façon possible. Le problème est de réunir et de transmettre les informations. Généralement, deux possibilités s'offrent d'elles mêmes. Premièrement le programme pourrait envoyer l'information toute entière à tous les noeuds concernés, puis filtrer a posteriori pour n'obtenir que l'information nécessaire à une sortie donnée. Deuxièmement, le programme pourrait choisir de ne réunir et transmettre à priori que l'information nécessaire pour une opération. Bien que plus esthétique, cette seconde possibilité est aussi plus difficile à programmer. Ces problèmes, typiques de la recherche en intelligence artificielle, ne connaissent pas encore de solution satisfaisante.

La décision que nous avons prise de ne pas implanter la totalité de la grammaire de «A Generative Theory...» s'est avérée essentielle. Cette grammaire se décompose en deux parties: les règles de syntaxe et les règles de transformations procurent les organisations possibles à partir desquelles des règles de préférence sélectionnent les organisations spécifiques que les auditeurs inféreront des oeuvres. Il n'est pas difficile d'implanter les parties syntaxiques et transformationnelles de la grammaire. (En fait, la structure de LISP nous a quasiment offert la structure de groupement puisqu'on peut considérer les groupes comme des listes d'atomes).

Les règles de préférence sont une autre affaire. En prenant en compte tous les facteurs qui interviennent dans la perception d'une pièce, ces règles manipulent des comportements notoirement difficiles à quantifier. Pour se rendre mieux compte de ce que cela implique, considérez ce qui suit: l'esprit musical fonctionne d'au moins trois manières différentes, en procédant à des traitements massifs en parallèle.

Premièrement, comme nous l'avons vu dans les chapitres 2.1 et 4.1, nous écoutons la musique de manière à la fois linéaire et hiérarchique. Deuxièmement, comme nous l'avons vu dans les chapitres 2.1 et 3.1, nous écoutons la musique de quatre façons hiérarchiques, simultanément. Troisièmement, comme nous l'avons vu dans les chapitres 2.2 et 3.2, l'esprit saute aisément des niveaux locaux aux niveaux globaux de la structure hiérarchique. Ces différents processus s'interpénètrent de façon extraordinairement complexe. C'est par le biais de toutes ces différentes opérations mentales que nous parvenons aux décisions structurelles nécessaires à la cohérence maximale du signal musical.

Tenter d'implanter les règles de préférence signifierait que l'on essaye de définir ces processus, un objectif aujourd'hui beaucoup trop ambitieux. Il est préférable de n'implanter que les règles syntaxiques et transformationnelles et de s'en remettre au compositeur pour appliquer des règles de préférence tacites. Nous supposons que ce dernier utilisera toute son intuition musicale dans ce but et que nous aurons ainsi un exemple parfait d'interaction entre l'ordinateur et l'utilisateur.

Cet objectif une fois atteint, on pourra essayer d'implanter les règles de préférence (voir le chapitre 5.1 et l'annexe II pour des compléments).

Telle est l'attitude implicite que nous avons adoptée pour présenter ce programme: nous avons décrit les organisations possibles mises à la disposition du compositeur, mais nous n'avons imposé aucune règle du jeu. Nous avons, de bonne foi, pris pour acquis que le compositeur essayerait de faire correspondre le sens des sons qu'il a créés aux hiérarchies de groupement, de métrique et de hauteurs qu'il a construites.

Il existe cependant une étape intermédiaire: Supposons que le compositeur essaye de jouer le jeu mais que, par inadvertance, il assigne une structure qui ne corresponde pas à la structure entendue. Il pourrait par exemple assigner une structure métrique ou de groupement qui ne serait pas projetée comme telle; il pourrait encore rendre un événement dominant dans l'arbre même si, dans son contexte, il devait obligatoirement sonner comme l'élaboration d'un autre événement. Pour de tels cas, nous proposons d'installer un système d'avertissement. Le programme afficherait par exemple: «la structure `x' viole la règle de préférence `y'. Le compositeur aurait le choix entre observer ou ignorer cet avertissement. Cette étape intermédiaire est possible car elle n'oblige pas à quantifier toutes les règles de préférence les unes par rapport aux autres et dans tous les genres de contexte: elle se contente de provoquer certaines réponses dans certaines situations.

5. Utilisations non-compositionnelles du programme

Le programme que nous décrivons offre d'autres possibilités que celle d'aide à la composition. Étudions les brièvement.

5.1 Le programme en tant qu'outil expérimental en psychologie de la musique

Les musiciens ont tendance à considérer comme musicalement triviale la recherche musicale expérimentale courante. Les matériaux musicaux utilisés et surtout le genre de questions posées leur semblent ignorants et naïfs. Cette situation provient à la fois de la nouveauté de la psychologie de la musique et de la difficulté éprouvée par les chercheurs à dominer deux disciplines aussi différentes. Cependant, la théorie de la musique est également fautive. Vu de l'extérieur la théorisation de la musique ressemble à une activité hermétique qui ne justifie pas rationnellement ses assertions et qui s'accroche à une idéologie dépassée. La théorie de la musique doit faire coïncider ses objectifs et ses concepts avec les courants scientifiques et intellectuels vitaux de notre époque.

En s'attaquant à des problèmes musicaux très sophistiqués en des termes essentiellement psychologiques et en proposant une formalisation qui permette une avancée empirique, «A Generative Theory...», est une tentative majeure de construction d'un pont entre la musique et la science. Mais il ne suffit pas de produire une théorie, il faut la tester expérimentalement. On utilise souvent l'ordinateur pour la recherche expérimentale en psychologie de la musique, car il offre des conditions de travail contrôlées. Il a donc semblé raisonnable de tester la grammaire de «A Generative Theory» avec un ordinateur. Le programme décrit ici le permet.

Supposons par exemple que nous voulions tester les facteurs qui conduisent au jugement des frontières de groupement. Dans la grammaire, ces facteurs sont nommés «règles de préférence de groupement» (voir annexe II). On imagine facilement des expériences qui isoleraient et testeraient les effets de règles individuelles et qui ensuite compareraient les poids relatifs de ces règles dans divers contextes et idiomes. A l'aide de ce programme, l'expérimentateur pourrait manipuler les variables sur le moment. Les sujets pourraient écouter grâce à la facilité d'écoute et enregistrer leurs jugements intuitifs. Ce procédé pourrait conduire à la reformulation de certaines règles, ou à l'ajout de règles additionnelles. On pourrait en outre espérer ainsi quantifier les règles de préférence des groupements d'une manière plus satisfaisante qu'actuellement.

On pourrait se livrer à des expériences similaires sur des composants plus sophistiqués de la théorie, qui pourrait ainsi conduire les chercheurs sur des chemins musicalement signifiants. Le but ultime serait de donner aux règles une forte capacité de prédiction et de rendre le programme si complet qu'il pourrait générer de lui même des analyses représentant la façon dont les gens entendent la musique. Il ne s'agit évidemment pas de supprimer l'analyse musicale traditionnelle, mais de parvenir à une meilleure connaissance de la compréhension musicale.

Le programme pourrait également se révéler utile dans le domaine de la pédagogie de la musique. Il pourrait être bon pour les étudiants de s'initier aux structures musicales en créant directement sur un terminal, en écoutant et en évaluant les résultats. Une telle méthode pédagogique présenterait l'avantage, à une époque où notre esprit est conditionné par l'écrit, de démontrer que ce qui compte réellement en musique, en fait, n'existe pas sur la page.

5.2 Pertinence du programme pour l'interprétation par ordinateur

On se heurte souvent au problème de donner une bonne «représentation» d'une pièce composée par synthèse numérique. Ce problème se pose de façon particulièrement aiguë pour des programmes de musique stochastique ou de composition automatique (voir le paragraphe 5.3), dont l'ordinateur donne une interprétation totalement mécanique, sans aucune intelligence musicale, quelles que soient leurs qualités intrinsèques. Dans la musique vivante, toute bonne interprétation dépend d'une compréhension, même inconsciente, de la structure. Le problème est donc de créer un programme informatique qui tienne compte des facteurs structurels pertinents et permette une «interprétation» du matériau donné. Outre qu'il améliorerait la «représentation», un tel programme augmenterait notre compréhension des facteurs mis en jeu dans l'interprétation humaine.

A cet égard, le programme décrit ici est plein de promesses. Les interprètes dessinent surtout la structure musicale grâce à de subtiles déviations rythmiques. (Les autres moyens, comme l'accentuation des hauteurs structurellement importantes, sont trop grossiers). Dans notre programme, la réduction par portées temporelles convient parfaitement pour exprimer cette information, puisque son objectif est de décrire les fonctions des événements en termes de structure rythmique.

Par exemple, dans l'interprétation, on met souvent la structure de groupement locale en évidence en rallongeant légèrement le dernier événement d'un groupe ou en s'arrêtant un instant entre les groupes. Le dessin de groupes cadencés de plus haut niveau dépend souvent de stratégies similaires. L'information de groupement étant représentée aux noeuds de l'arbre par portées temporelles et les cadences étant décrites comme une partie de cet arbre, les variables rythmiques nécessaires dans ces cas peuvent être placées aux noeuds appropriés de l'analyse par portées temporelles. On peut supposer que les noeuds les plus locaux de l'arbre par portées temporelles - ceux qui décrivent des intervalles purement métriques - provoqueraient aussi une déviation rythmique, puisque l'interprétation sensible respecte rarement une métricité absolue.

Une recherche détaillée est nécessaire pour connaître exactement la déviation rythmique d'un passage donné. Bien que ce problème soit extrêmement complexe, il est évident que les déviations nécessaires ne sont pas dues au hasard mais obéissent à des règles. Si tel n'était pas le cas, on ne pourrait pas parler de la connaissance implicite que possède l'interprète de la structure musicale, et l'arbre par portées temporelles ne serait pas un moyen pertinent pour coder ce genre d'informations. (14)

Bien qu'il n'en ait pas tiré les conséquences, on peut déduire de ses données que ces déviations obéissent à des règles, partiellement dans l'esprit que nous avons suggéré ici.

Nous espérons que cette utilisation du programme portera ses fruits à l'IRCAM dans le programme «CHANT» partiellement développé par le second auteur de cet article.

5.3 Pertinence du programme pour la composition stochastique

Jusqu'il y a peu, la recherche musicale au niveau cognitif a pris presque exclusivement la forme de la composition stochastique. Dans ce genre de composition, le musicien développe un programme qui génère des événements selon les algorithmes de probabilité appropriés (ou stochastiques). Un tel travail peut bien sûr avoir des objectifs esthétiques. Mais on peut également le considérer comme une recherche en cognition de la musique, puisque ces algorithmes doivent produire une musique intéressante et intelligible, et coïncider avec la manière dont les gens reçoivent la musique. Ceci conduit à construire une grammaire qui utilise les paramètres musicaux pertinents et qui décrive les relations exactes possibles entre les évènements. (15)

Mis à part les aspects esthétiques, nous ne sommes pas convaincus par cette manière d'explorer la cognition de la musique. Le sujet est trop complexe pour être abordé par cette méthode d'approximation. La méthodologie est trop frustre pour conduire le chercheur à des concepts nouveaux et plus sophistiqués. Même s'il parvient à créer quelque chose de satisfaisant à l'intérieur d'un cadre limité, le chercheur risque d'échouer à conceptualiser une généralisation théorique qui incluerait son cadre, tout en le dépassant. Par exemple, un programme stochastique peut générer des rythmes sans leur donner leur cadre en termes de composantes métriques et de groupement indépendants mais cependant interagissants. Conséquemment, la musique produite aurait tendance à ne pas comporter de passages hors phase, donc il n'y aurait pas de levées. Ou, plus grave encore, il pourrait ne pas y avoir de structure de groupement clairement construite.

Le résultat ne serait alors qu'une sorte de texture musicale. On ne voit pas comment le chercheur pourrait pallier ces inconvénients, car il ne saurait pas exactement ce qui ne fonctionne pas. Pour résoudre le problème, il faudrait qu'il soit en possession de concepts théoriques indispensables.

Malgré ces remarques, le programme décrit dans cet article peut aider à la composition stochastique. Il comporte un certain nombre de distinctions théoriques signifiantes (par exemple entre le groupement et la métrique), et, d'un point de vue cognitif ses arbres permettent de contrôler valablement les probabilités. Par exemple, il arrive fréquemment que des événements de hauteur, que l'on peut qualifier de structurellement importants, proviennent d'un répertoire d'événements plus limité, et surviennent plus souvent que des événements de hauteurs relativement décoratifs. Si ce n'était pas le cas, la grammaire serait instable au niveau de la perception. (16)

De plus, des événements de hauteurs structurellement importants n'ont pas de probabilités égales d'apparaître aux divers moments de la pièce mais ont plutôt lieu aux frontières des groupements ou tout près d'elles. Donc, une phrase tend à commencer par l'un des nombreux possibles, à continuer par l'une des très nombreuses alternatives (chacune imposant les choix suivants, selon ce qui s'est passé et le contexte général de la phrase), et à finir sur trois ou quatre possibilités seulement. Ces différents éléments peuvent être représentés grâce à un arbre par portées temporelles. (17)

Le programme offre d'autres possibilités pour l'aide à la composition stochastique. Nous n'entrerons pas ici dans le détail.

6. Conclusion

Plutôt que d'essayer d'égaler l'intelligence humaine par un programme de composition automatique, nous poursuivons le but plus modeste et plus réaliste de développer un programme d'aide à la composition. En un sens, nous tentons de donner à l'ordinateur un peu d'intelligence musicale, complémentaire de la nôtre. Une telle approche ne peut être valide que parce qu'elle est basée sur une théorie cognitive de la musique. Nous pensons qu'elle se révélera utile dans les domaines de la psychologie de la musique, de l'interprétation par ordinateur et de la composition stochastique.

L'importance accordée actuellement à l'acoustique dans la recherche en musique informatique est trop orientée dans une seule direction. Aidé par une théorie pertinente, l'ordinateur est un bon outil de spécification et de manipulation des organisations musicales entendues par les gens. Nous pensons qu'un jour, les compositeurs ne demanderont pas seulement à l'ordinateur de leur créer des sons, mais aussi des structures.

Références

  1. Fred Lerdhal et Ray Jackendoff «A Generative theory of Tonal Music», MIT Press, Cambridge, 1983. Voir aussi, des mêmes auteurs, les articles suivants: Toward a Formal Theory of Tonal Music «Journal of Music Theory, Printemps 1977, pp. 111-171; «Generative Music Theory and its Relation to Psychology» Journal of Music Theory «Printemps 1981, pp.45-90; on the Theory of Grouping and Meter» the Musical quarterly, Automne 1981, pp.479-506; et «A Grammatical Parallel between Music and Language, dans «Music, Mind and Brain», ed. Manfred Clynes, Plenum, New York 1982.

  2. Ce projet fut entrepris à l'IRCAM durant la seconde moitié de 1981, sur une proposition de Tod Machover. Il nous faut aussi remercier Jean-Baptiste Barrière, Pierre Cointe, Patrick Greussay et Xavier Rodet pour leur aide et leurs suggestions, ainsi que David Wessel qui a supervisé la recherche et beaucoup aidé à la conception de cet article.

  3. Voir les chapitres 2-4 de «A Generative Theory...» (op. cit.) ou «On the Theory of Grouping and Meter» (op. cit.) pour des discussions complémentaires.

  4. Pour des raisons de place, tous les exemples cités dans cet essai seront hypothétiques plutôt que pris dans des oeuvres. Ce choix, qui conduit à une certaine abstraction, présente l'avantage de mettre l'accent sur la neutralité stylistique de ce programme.

  5. Voir les chapitres 6 et 7 de «A Generative Theoty...» (op. cit.) ou «A Grammatical Parallel...» (op. cit.) pour approfondir le sujet.

  6. Une exception intéressante: William Buxton (et al.), «Scope in interactive score editor», Computer Music Journal, vol.5 n°3 pp.50-56. Notre impression est que leur projet est plus avancé que le nôtre en termes de graphiques, et moins avancé en ce qui concerne les problèmes musicaux et théoriques.

  7. Voir les chapitres 5 à 9 de «A Generative Theory...» pour une présentation complète des deux genres de réduction. Voir également sur les portées temporelles». A Grammatical Parallel...» et «Toward a Formal Theory ...» Dans ce dernier ouvrage on trouve une présentation de réduction par prolongation aujourd'hui dépassée.

  8. Cette notion de spécifier certains traits sur les noeuds peut se révéler utile au niveau théorique. Dans «A Generative Theory...» on pourrait objecter aux arbres que leurs branches retiennent la surface musicale d'un évènement à des niveaux globaux d'analyse. Perceptuellement, ceci n'est pas juste. Dans le premier mouvement de la symphonie en sol mineur de Mozart, par exemple, on peut entendre tous les détails du début de la recapitulation à des niveaux locaux d'analyse alors qu'à des niveaux globaux la seule chose qui aurait un sens serait de dire que nous entendons un accord de tonique en position fondamentale avec un ré au sommet. Assigner des listes de propriétés aux noeuds résout ce problème. En outre la spécification de détails à certains noeuds ne serait pas artitraire, mais serait déterminée par le contexte donné par les autres évènements survenant à un quelconque niveau donné. Au fur et à mesure que les niveaux locaux sont réduits, les détails d'un évènement subsistant sont progressivement éliminés).

  9. Cette idée de générer la structure métrique et les longueurs des groupes au niveau précisément de la phrase peut présenter un intérêt théorique. Jusqu'ici, dans notre approche de la métrique, nous n'avons rien dit des différences de perception des niveaux métriques. En vérité, nous percevons un ou deux niveaux métriques comme particulièrement frappants; c'est le niveau de la battue du chef d'orchestre, etc. Comme dans «A Generative Theory...», appelons ce niveau «tactus». En revanche, des niveaux métriques très grands ou très petits sont moins frappants et proportionnellement plus susceptibles d'être irréguliers. Nous n'avons pas tenté la même distinction en ce qui concerne les structures de groupement. On peut cependant estimer que la phrase est perceptuellement plus frappante que les autres niveaux de groupements. En revanche des niveaux de groupements très grands ou très petits sont souvent difficiles à déterminer. Ainsi, la position de la phrase dans la structure de groupement présente-t-elle une certaine analogie avec le «tactus» de la structure métrique, et il est sensé de générer le tactus au niveau de la phrase plutôt qu'à n'importe quel autre niveau de groupement.

  10. En dehors du contexte, la stabilité d'un son musical (simple ou complexe) semble dériver de deux facteurs reliés: la relative «rugosité» du son et la relative simplicité des rapports de fréquence () qui fabriquent le son. La rugosité dépend en premier lieu du phénomène de bande critique, produit par le système auditif périphérique. La mesure des rapports de fréquence semble impliquer de plus hautes fonctions du cerveau, peut-être sous la forme d'une «grille harmonique». Pour approfondir cette question, voir «Psychoacoustic Evaluation of Musical Sounds», de Ernst Terhardt, «Perception and Psychophysics» 1978, vol.23 (6), pp.483-492. Un troisième facteur peut provenir des «prototypes» psychologiques, étudiés par A. Tversky dans «Features of Similarity» Psychological Review, 1977, n°84, pp.327 à 352.

  11. Les notions de «tempus» et de «niveau fonctionnel de temps» n'apparaissent pas dans «A Generative Theory...» car elles ne sont pas nécessaires dans l'idiome métriquement régulier de la musique classique tonale.

  12. Le traitement des relations polyphoniques grâce à l'analyse par arbres par portées temporelles multiples permettra peut-être de faire reculer les limites de «A Generative Theory...». Il y était assumé que la musique est une suite d'événements discrets, comme dans l'ex.19a (Voir le Chapitre 5). Pour éviter toute confusion il faut faire remarquer qu'un arbre par prolongation ne donnent pas, à eux deux, une analyse par arbre multiple telle que nous l'avons décrite. Ils représentent plutôt deux structures différentes que l'auditeur infère simultanément de la surface musicale lorsqu'il comprend une pièce.

  13. Ces problèmes ne sont pas apparus dans «A Generative Theory...» qui décompose analytiquement la musique en quatre composants (voir annexe 2). De telles difficultés surgissent dans l'acte synthétique de la composition.

  14. Alf Gabrielsson a démontré expérimentalement à quel point les interprètes dévient des rythmes écrits, même dans les passages les plus simples (voir «Perception and Performance of Musical Rythm,» in «Music, Mind and Brain», ed. Manfred Clynes, New-York, 1982.

  15. Dans «Experimental Music», de Hiller et Isaacson, McGraw Hill, New York, 1958 et «La Musique Formalisée» de Iannis Xenakis, 1971, on trouvera de nombreux et célèbres exposés sur la grammaire stochastique. Plus récent, l'article de Keven Jones paru dans Computer Music Journal, vol.5 n°2 «Computer Applications of Stochastic Processes». On se référera également à l'article de Curtis Roads sur la composition stochastique paru dans Computer Music Journal, vol.4 n°3, «Interview with Marvin Minsky».

  16. C'est ce qui arrive dans la musique romantique tardive, ou la tonique est rarement présente mais plutôt inférée par des fonctions dominantes et subdominantes. Pour admirable que puisse être un art aussi allusif, il ne représente pas un modèle réaliste de construction d'une nouvelle grammaire. Le pouvoir de l'allusion dépend d'une grammaire préalablement bien comprise.

  17. David Lewin et Ljarlen Hiller (pour ses dernières oeuvres) sont deux compositeurs stochastiques qui ont utilisé des considérations structurelles de ce type).

Annexe 1

Résumé de la perspective théorique de «A Generative Theory...»

«A Generative Theory of Tonal Music» développe une grammaire de la musique tonale fondée en partie sur les buts et la méthodologie, mais non sur le contenu, de la linguistique générative. Cette grammaire se présente sous la forme de règles explicites qui précisent les structures entendues à partir des surfaces musicales. Par surface musicale nous entendons surtout le signal physique de l'oeuvre jouée. Par structure entendue nous exprimons toute la structure inférée par un auditeur lorsqu'il écoute et comprend une oeuvre, au- delà des données du signal physique. La plupart des discussions sur la musique ont pour sujet les structures inférées.

Dans son intention, cette théorie diffère des théories précédentes en deux points. D'abord, elle est psychologique, en cela qu'elle tente de modéliser une capacité cognitive. L'auditeur entend certaines structures plutôt que d'autres. Comment les caractériser, et comment l'auditeur en arrive-t-il à ce point ? Il est extrêmement souhaitable de définir ces principes cognitifs, qui sous-tendent toute l'écoute de la musique, indépendamment du style musical ou des facteurs culturels. On dit habituellement de ces principes qu'ils sont psychologiquement universels.

Ensuite, la théorie tente de produire des descriptions formelles au sens scientifique. Il ne s'agit pas uniquement de décrire des relations formelles, comme c'est le cas dans les mathématiques et dans certaines théories de la musique récentes. Ici, la description formelle relève du monde «réel», même si, dans ce cas, la réalité est mentale.

La théorie est donc capable de prévoir. En plus des critères de cohérence interne et d'économie, ses principes peuvent être vérifiés ou infirmés par des expériences rigoureuses.

Deux principes de simplification, qu'on retrouve communément en psychologie cognitive, sont implicites dans ce programme de recherche. Le premier est l'auditeur expérimenté. Il est évident que deux auditeurs ne seront jamais exactement identiques, pas plus que ne le sont deux écoutes différentes par le même auditeur. Mais lorsqu'un auditeur est familiarisé avec un idiome musical, sa façon d'écouter une oeuvre dans cet idiome est hautement contrainte. Une théorie scientifique de la compréhension de la musique doit d'abord caractériser ces contraintes communes avant de s'engager dans une étude des différentes écoutes individuelles.

Le second principe est que la théorie procure des descriptions structurelles du stade final de la compréhension musicale d'un auditeur, et non de la façon dont il y est parvenu. Dans le vocabulaire linguistique, notre théorie traite de la «compétence» non de la «performance». Dans le domaine de la recherche en intelligence artificielle, il existe une distinction semblable entre la connaissance déclarative et procédurale. Il s'agit d'un choix méthodologique: il serait douteux d'élaborer une théorie sur la construction d'un «quelque chose» dont on ignore ce qu'il est exactement.

Nous pensons que cette approche favorisera une théorie de la «performance» plus substantielle que cela n'a été possible jusqu'à aujourd'hui. L'importance d'une telle théorie est encore accrue par le fait que l'auditeur construit sa perception de la pièce dans la durée, c'est-à-dire pendant qu'il écoute, plutôt que dans l'instant.

Il existe deux restrictions dans le champ de cette théorie: Premièrement, elle n'assigne de structure qu'aux aspects hiérarchiques de la structure entendue. Cette catégorie comprend la structure de groupement, la structure métrique, et deux aspects de réduction de hauteur. Les autres catégories de structures musicales, comme les procédés motiviques/thématiques ou les relations timbrales sont plutôt de nature associative que hiérarchique, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent être spécifiées en termes d'objets contenant ou subordonnant d'autres objets.

Deuxièmement, cette théorie ne s'applique directement qu'à la musique classique tonale. On ne peut en effet espérer approfondir des questions universelles avant d'avoir développé une théorie précise sur l'un ou moins des idiomes musicaux complexes. Certaines des propriétés abstraites d'une telle théorie se révéleront peut-être comme universelles, mais une telle hypothèse doit évidemment être vérifiée empiriquement.

Ajoutons quelques mots sur le concept des universels psychologiques, souvent mal compris. Un universel ne doit pas obligatoirement apparaître dans tous les phénomènes étudiés. Ainsi, un universel n'est pas une caractéristique stylistique, il représente une opération cognitive.

Considérons un cas de métrique simple: un accent est toujours un repère pour un temps fort; réciproquement, un accent n'est jamais le repère d'un temps faible. Dans quelque situation que ce soit, le temps qui est accentué peut ou non devenir un temps fort. Si non, c'est parce que d'autres principes, souvent de nature plus globale, se sont révélés plus forts que ce repère. L'accent, alors devient une syncope. Donc, l'universalité de l'accent en temps que repère pour un temps fort subsiste et produit son effet, quel que soit le résultat métrique particulier. Et si le passage musical n'est pas métrique du tout, l'accent en question a toujours une fonction de repère d'un temps fort. C'est le contexte général et non l'accent qui empêche l'inférence de la forme métrique. Enfin, si l'on devait se trouver devant un langage musical sans aucun accent, l'universalité de la règle de l'accent n'en serait pas remise en cause; elle n'aurait simplement pas l'occasion de s'appliquer.

Pourquoi, en développant une théorie de la perception cognitive de la musique, s'être limité à la musique classique tonale? N'existe-t-il pas le risque de décrire comme «universels» des principes qui ne sont pertinents que dans cet idiome ? Si, évidemment. Le même risque surviendrait quel que soit l'idiome choisi pour commencer. La comparaison croisée ethno-musicologique est donc indispensable à l'étude des principes cognitifs de la musique. En revanche trois raisons principales nous ont poussés à nous attacher à la musique classique tonale. Premièrement, on ne pourrait faire aucun progrès sans le choix d'un idiome; on se contenterait d'établir des généralités faciles. Deuxièmement, les deux auteurs connaissent bien cet idiome, c'est-à-dire qu'ils sont des «auditeurs expérimentés». Le troisième point est peut-être moins évident: l'idiome classique tonal est déjà bien connu. Il serait pour le moins stratégiquement hasardeux de commencer par exemple par la musique contemporaine, un domaine où les professionnels eux-mêmes ne parviennent pas à se mettre d'accord. Au contraire, en musique classique, les intuitions sont devenues relativement stables au sein d'un large public d'auditeurs. Elle possède en outre une littérature théorique standard, qui peut servir de base à l'élaboration d'une théorie cognitive. Il n'est pas nécessaire de partir de rien.

Il est important, dans la discussion de ces questions méthodologiques, de souligner que ce qui compte, en fait, c'est la théorie, donc la grammaire musicale, c'est-à-dire le système de règles prédisant les structures entendues. Sa conception représente-t-elle l'intuition musicale de façon appropriée ? Offre-t-elle une meilleure approche d'une pièce en particulier ou de la musique en général ? Son organisation coïncide-t-elle avec ce que l'on connaît des autres champs de la cognition humaine? Peut-elle faire avancer la compréhension de la musique ? L'on pourrait, sans aucun doute, choisir d'autres critères et parvenir à d'autres résultats, tout aussi signifiants. D'autre part, en l'absence d'une vraie théorie, toute discussion de problèmes métathéoriques n'est probablement pas très utile.

Annexe 2

Résumé du système de règles de «A Generative Theory...»

La grammaire de cette théorie consiste en un jeu de règles qui, ensemble, prédisent les structures hiérarchiques qu'un auditeur infère à l'écoute d'une surface musicale. La grammaire se divise en 4 composants: la «structure de groupement» décrit la segmentation de la musique en des unités de tailles variées, la «structure métrique» décrit la hiérarchie des temps que l'auditeur attribue à la musique, la «réduction par portées temporelles» établit l'importance structurelle relative des événements de hauteur à l'intérieur des unités rythmiques perçues d'une oeuvre, la «réduction par prolongation» développe une hiérarchie de la stabilité des hauteurs en termes de motifs de tension et de détente.

Chaque composant comporte trois types de règles. Les règles «de conformité» procurent les conditions d'une structure hiérarchique pour chaque composant. Les règles «transformationnelles» permettent une classe limitée de modifications de la surface musicale donnant la possibilité de traiter comme conformes des phénomènes apparemment non conformes. Les règles de préférence établissent quelles structures formellement possibles seront réellement entendues à l'audition d'une oeuvre donnée. Ainsi les règles de conformité et transformationnelles décrivent les conditions formelles et les règles de préférence relient les conditions formelles à des surfaces musicales particulières.

Pour rendre ces concepts plus concrets, présentons un fragment de la grammaire. Comme il n'y a pas de place ici pour une justification quelconque de ces règles nous traiterons uniquement la structure de groupement qui est le composant grammatical le plus simple et le plus évident intuitivement. Voici donc les règles de conformité de groupement (RCG).

RCG1: Toute succession continue d'événements est nécessaire et suffisante à la constitution d'un groupe.

RCG2: Une pièce est un groupe.

RCG3: Un groupe peut contenir des sous-groupes.

RCG4: Si un groupe G1 contient une partie d'un groupe G2, il doit contenir G2 en entier.

RCG5: Si un groupe G1 contient un sous-groupe G2, G1 doit être exhaustivement partitionné en sous-groupes.

Il y a des exceptions à RCG4, précisément les recouvrements de groupes et les élisions. En cas de recouvrement, on entend le même événement comme la fin d'un groupe et le début du suivant. En cas d'élision, on entend l'événement de fin de groupe comme coupé par l'événement débutant le groupe suivant; ou bien, réciproquement, on entend l'événement débutant le second groupe comme masqué par l'événement final du premier groupe. Il serait cependant inapproprié d'écarter RCG4 car ces exceptions sont reliées par une loi à cette règle. Pour rendre compte de ce phénomène, nous introduisons deux règles transformationnelles de groupement.

REGLE DE RECOUVREMENT DE GROUPE: Étant donné une structure de groupement conforme G contenant deux groupes adjacents g1 et g2 tels que:

  1. g1 se termine par l'événement e1;

  2. g2 commence par l'événement e2;

  3. e1 = e2

Alors une structure de groupement de surface G' conforme peut être formée à l'identique de G à ceci près que:

  1. Elle contient un événement e' là ou G contenait la séquence e1-e2

  2. e'=e1=e2

  3. Tous les groupes se terminant par e1 dans G se terminent par e' dans G';

  4. Tous les groupes commençant avec e2 dans G commençant avec e' dans G'.

REGLE DE RECOUVREMENT DE GROUPES: Étant donné une structure de groupement conforme contenant deux groupes adjacents G1 et G2 tels que:

  1. g1 se termine par l'événement e1;

  2. g2 commence par l'événement e2;

    1. (élision gauche) e1 est fonctionnellement identique à e2 et inférieur à e2 dans sa dynamique et sa tessiture;

    2. (élision droite) e2 est fonctionnellement identique à e1 et inférieur à e1 en dynamique et en tessiture.

Alors une structure conforme de groupement G' peut être formée à l'identique de G à ceci près:

  1. Elle contient un événement e' là où G avait la séquence e1-e2

    1. (élision gauche) e'=-e2 ou

    2. (élision droite) e'=e1;

  2. Tous les groupes se terminant par e1 dans G se terminent avec e' dans G';

  3. Tous les groupes commençant avec e2 dans G commencent avec e' dans G';

LES REGLES DE GROUPEMENT DE PREFERENCE (RGP) extraient des formes dans les passages musicaux réels et assignent des groupements conformes correspondant aux intuitions de l'auditeur. L'application d'une règle ne constitue pas en elle-même une prédiction définie; la décision pour choisir tel groupement particulier repose plutôt sur l'effet total de toutes les règles. Lorsque les diverses règles de préférence se renforcent mutuellement pour le placement des frontières de groupe, la structure de groupe frappe l'auditeur par sa clarté ou son aspect stéréotypé. Lorsque les règles entrent en conflit, la structure de groupement semble vague et ambiguë. Voici les règles de préférence pour le groupement:

RPG 1: Evitez des groupes très petits (d'un ou deux événements)

RPG2: (Proximité): Considérez une séquence de 4 notes n1-n2-n3-n4- le reste étant égal par ailleurs, la transition n2-n3 peut être entendue comme une frontière de groupe si:

RPG4 (Changement): Considérez une séquence de 4 notes n1-n2-n3-n4- Le reste étant égal par ailleurs, la transition n2-n3 peut être entendue comme une frontière de groupe si:

RPG4 (Intensification): Une frontière de groupe de plus haut niveau peut être placée là où les effets décrits dans les règles RPG2 et RPG3 sont le plus prononcé.

RPG5 (Symétrie): Préférez des analyses de groupement qui approchent au mieux la subdivision idéale en deux parties de longueur égale.

RPG6 (Parallélisme): Lorsque deux segments de musique, ou plus, peuvent être analysés comme parallèles, ils forment de préférence des parties parallèles de groupe.

RPG7 (Stabilité de la réduction): Préférez une structure de groupe qui résulte en des réductions des portées temporelles ou des prolongations plus stables.

Observez que les phénomènes concernés par les RPG ne sont pas nécessairement comparables. Par exemple, comment confronter l'effet relatif d'un parallélisme de motifs avec un changement local dans l'articulation? Similairement, les règles RPG1 à RPG3 s'appliquent aux détails locaux de la structure musicale; RPG4 à 6 sont relativement globales dans leurs effets, puisqu'elles induisent des comparaisons à travers des frontières potentielles de groupes qui peuvent être fort éloignés sur la surface musicale; et RPG7 corrèle la structure de groupement avec la structure optimale pour les autres composants de la grammaire.

Enfin, l'effet d'une règle particulière peut être plus ou moins grand suivant le contexte, c'est-à-dire suivant la force du repère concerné ou suivant l'effet relatif des autres règles. Pour toutes ces raisons, il est extrêmement difficile de proposer un algorithme donnant aux règles de préférence un pouvoir de complète prédiction. Utiliser de simples «poids» numériques n'est satisfaisant ni théoriquement ni empiriquement. Heureusement, ce problème ne relève pas uniquement des théories musicales mais rappelle les problèmes d'échelles multidimensionnelles rencontrés dans la psychologie cognitive. Dans tous les cas, la grammaire de «A Generative Theory...» apporte des prédictions même si elles ne sont pas aussi qualitatives qu'on pourrait le souhaiter. Ce problème est en bonne place dans la liste des développements futurs de la grammaire (avec celui de la description plus complète des structures polyphoniques et celui d'élargir la grammaire aux dimensions non-hiérarchiques de la musique).

Incidemment, toutes les règles de groupement sont universelles (dans le sens défini dans l'annexe 1). Cela se retrouve dans le fait qu'un auditeur confronté à un idiome inconnu est capable de diviser la musique en phrases et en sections bien avant qu'il ne comprenne ou même ne remarque les aspects les plus subtils de l'idiome. Les autres composants de la grammaire, eux, contiennent tous au moins quelques règles spécifiques à l'idiome.

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