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En attendant Roger Reynolds

Risto Nieminen

Résonance nº 4, juin 1993
Copyright © Ircam - Centre Georges-Pompidou 1993


Roger Reynolds aime les compléments. Compositeur, il doit à sa formation scientifique des orientations artistiques singulières. Américain, il observe que les Etats-Unis se trouvent à mi-chemin entre l'Europe et l'Asie, et sait puiser à ces deux sources. Musicien, il n'a pas oublié que la danse est l'autre face de la musique et que la langue, celle des poètes tout particulièrement, est d'abord une suite de sons significative.

Délaissant quelque temps San Diego, en Californie, Roger Reynolds est de retour à Paris. On se souvient que Pierre Boulez l'avait invité à l'Ircam en 1982 : le compositeur y avait composé Archipelago pour 32 musiciens et électronique. Voilà plusieurs années que Roger Reynolds songeait à réaliser un second projet pour l'Ircam, basée cette fois sur certains textes de jeunesse de Samuel Beckett. C'est la création de cette nouvelle pièce, intitulée Entre le galet et la dune, qui sera présentée le 17 juin prochain au centre Georges-Pompidou.

Une oeuvre en forme

Roger Reynolds fait partie de ces compositeurs qui possèdent une double formation musicale et scientifique. Malgré de solides études de piano, il opte après ses années de lycée pour une spécialisation d'ingénieur, poussé par sa famille. Pourtant, après une courte et malheureuse expérience dans l'industrie de l'armement, il revient rapidement à la musique, sa passion première. Ce détour ne sera pourtant pas pure perte : il lui permettra de définir des objectifs créatifs personnels. Pour Roger Reynolds, faire de la musique, c'est d'abord marcher vers l'inconnu, c'est se lancer à la quête de sons inouïs et de formes inédites. Cette conviction l'a amené à la musique électroacoustique, qui propose un élargissement du monde instrumental traditionnel.

" Un ingénieur est tenu d'anticiper, de définir préalablement ses objectifs... sinon, l'édifice s'écroule ", se plait-il à dire. Et le fait est que, pour Reynolds lui-même, la forme semble être sa préoccupation majeure. La conception d'une nouvelle pièce passe d'abord chez lui par une réflexion sur la forme globale. Vient ensuite le choix du matériau musical. Sa troisième préoccupation, qui relie les deux premières, vise à déterminer les méthodes qui lui permettront de modeler les différents matériaux, afin qu'ils s'intègrent au tout et que, du microcosme, on aboutisse au macrocosme.

Roger Reynolds partage l'idée que Beckett se faisait de la forme. Selon Beckett, la forme, pour être artistiquement pertinente, doit comprendre un certain degré de chaos. " Trouver une forme qui accommode le chaos, voilà la tâche d'un artiste d'aujourd'hui ", disait l'écrivain. Rejetant les formes préétablies ou fondées sur une simple périodicité, Reynolds a cherché de nouveaux modèles dans les théories du chaos. C'est ainsi que pour Entre le galet et la dune, sa nouvelle oeuvre, il s'est inspiré de l'attracteur de Hénon, qui lui a donné de nouvelles proportions géométriques.

Depuis plus de vingt ans, Reynolds appuie ses formes musicales sur des proportions logarithmiques souvent apériodiques. Archipelago présentait déjà une nouvelle technique : l'ensemble du matériau de la pièce se décline en effet en quinze thèmes développés simultanément en diverses configurations instrumentales (solos, duos, trios, quintettes...). Après une exécution de Archipelago au Canada, John Cage avait prédit au compositeur : " Cette orientation devrait vous permettre de composer jusqu'à la fin de vos jours. " Il suffit de considérer la production de Reynolds de ces dernières années pour en conclure que Cage avait vu juste. En quelques années, suivant ce schéma, ce sont en effet succédées Visions, quatuor à cordes écrit pour le quatuor Arditti, trois symphonies (Myths, écrite pour le Suntory Hall à Tokyo, The Stages of live, composée pour l'Orchestre philharmonique de Los Angeles, et Vertigo, pour l'Orchestre symphonique de San Francisco), Dreaming, créé au Carnegie Hall à New York, trois concertos écrits respectivement pour flûte, violoncelle et violon, ainsi que Whispers Out of Time, pour orchestre à cordes, qui valut à Reynolds le Prix Pulitzer, en 1989.

Vers d'autres horizons

Pour Roger Reynolds, l'activité musicale ne doit pas se limiter à la conception de nouvelles oeuvres dans l'intimité du studio. Bien au contraire, il s'implique activement dans l'organisation de festivals, tel le festival ONCE, à Ann Arbor, à la création duquel il a participé. C'est également sur son impulsion que s'est ouvert le Centre d'expérimentation musicale et de recherche appliquée de l'université de Californie, à San Diego, où il enseigne la composition.

Dans une conférence prononcée récemment aux Etats-Unis, Reynolds analysait l'évolution des rapports qui lient le musicien à son public et à la société tout entière. Il constatait en particulier que la spécialisation et la diversification du public avaient radicalement transformé le rôle du compositeur, la coexistence de phénomènes culturels parallèles (world music, baroque, rap, opéra, musique contemporaine, etc.) le plaçant dans un contexte inédit régi par les lois commerciales. Pour répondre à cette évolution, Reynolds a fait appel à plusieurs reprises à des artistes travaillant dans des ères d'activité variées, collaborant ainsi de façon régulière avec le metteur en scène japonais Tadashi Suzuki (notons la récente production multilingue basée sur Ivanov de Tchékhov) et la chorégraphe Lucinda Childs. " Il est enrichissant de s'associer à quelqu'un venant d'un autre horizon que le vôtre. J'ai remarqué qu'en travaillant avec Tadashi Suzuki, j'écrivais une musique très différente des pièces écrites précédemment. Lui-même m'a confié avoir fait le même constat. Parce qu'elle offre l'occasion de puiser à de nouvelles sources, une telle collaboration oblige toujours un artiste à se renouveler. "

Autre horizon : la littérature. Une grande partie de l'oeuvre de Roger Reynolds témoigne de l'attention que le compositeur américain porte à Jorge Luis Borges, Wallace Stevens, Milan Kundera, John Ashbery ou Samuel Beckett. Depuis 1975, Roger Reynolds a composé les cinq premiers volets d'un cycle intitulé Voicespace. Chacun de ces volets explore la langue (parlée, chantée, chuchotée...) dans un espace multidimensionnel où le texte, dirigé par les techniques électroniques de spatialisation, se déplace de façon à ce que l'auditeur assiste à une sorte de ballet aux mouvements expressifs. Entre le galet et la dune fait ainsi alterner les fragments de textes de Beckett (récités en français ou en anglais) avec la musique instrumentale. Par les techniques de spatialisation et de transformations par ordinateur employées dans cette oeuvre, l'auditeur peut suivre simultanément deux versions du même texte.

Sans rien renier de son identité américaine, Roger Reynolds, qui est toujours demeuré à l'écoute des autres cultures, dialogue sans obstacle avec Beckett, l'Européen. Il a d'ailleurs passé sept années à l'extérieur des Etats-Unis peu après avoir achevé ses études, travaillant entre autre au célèbre studio de la WDR à Cologne. Reynolds a également été fortement influencé par le Japon, qu'il a visité à plusieurs reprises.

" Etant parti des Etats-Unis après avoir achevé mes études secondaires, dit-il, je me suis par conséquent retrouvé en dehors des divers courants musicaux américains. Bien entendu, je beignais alors dans un environnement musical essentiellement américain : j'ai très bien connu Cage et Nancarrow, j'ai approché Varèse et Partch et ai beaucoup entendu les oeuvres de Ives, de Ruggles et d'autres musiciens américains. Mais j'étais l'élève de Roberto Gerhard, un anglo-espagnol qui avait étudié la composition avec Schönberg à Vienne avant la Seconde guerre mondiale. " Il semble que la multiplicité de ses références culturelles ait permis à Roger Reynolds de garder sa liberté artistique.

Entre le galet et la dune, oeuvre de Roger Reynolds interprétée par Marie Kobayashi (soprano), Philip Larson (baryton) et l'Ensemble InterContemporain dirigé par David Robertson. Technique Ircam (Grande salle, les 17 et 18 juin à 20h30).

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