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Résonance n° 11, janvier 1997
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« C'est à l'opéra que, paradoxalement, je dirais que tend toute mon oeuvre instrumentale. » Ces propos, Michaël Levinas les tenait déjà avant La Conférence des oiseaux, sa première oeuvre scénique en 1986 ; ils prennent aujourd'hui tout leur sens avec l'opéra GO-gol, dont les parties électroniques ont été réalisées dans les studios de l'Ircam. Le musicologue Michel Rigoni en retrace la genèse, depuis 1991 jusqu'à la création, le 21 septembre dernier, à La Filature de Mulhouse, dans le cadre du festival Musica.
Dans sa vision de l'instrumental, Levinas pense le son comme « prolongeant immédiatement un mouvement du corps ». Et dans la généalogie qui mène à l'opéra, on trouve une série d'oeuvres instrumentales qui cherchent à façonner de nouvelles images sonores. Un trait fondamental du compositeur est sa méfiance à l'égard du caractère connoté des timbres orchestraux traditionnels. Il recherche un univers constitué de textures originales. Pour ce faire, depuis plusieurs années, il s'est attaché à redéfinir son rapport à l'instrumentarium de l'orchestre.
Par ailleurs, en 1991, Préfixes avait aussi représenté une étape décisive vers l'opéra, en ce sens que les instruments y étaient mélangés à des sons électroniques obtenus par hybridation, par exemple entre une voix humaine et un trombone. D'où une nouvelle génération de sons de synthèse, qui a pu voir le jour grâce aux technologies de l'Ircam. Cette notion de préfixes explique aussi l'orthographe du titre.
Enfin, certaines répliques du personnage principal de l'opéra ont été préenregistrées par une chanteuse pour être transformées électroniquement et traitées suivant le principe de l'hybridation. Un rire, par exemple, peut se mélanger au son de la chute de cymbales tournoyantes, particulièrement cher au compositeur.
Levinas s'est depuis longtemps illustré par la recherche de la dimension du souffle dans le timbre instrumental. Le travail de studio lui permet ici de déformer le son d'une flûte jouant une valse qui tourne sur elle-même jusqu'à devenir l'écho bruiteux d'une musique de manège. Mais une des réalisations les plus saisissantes pour GO-gol est certainement ce registre timbral que le compositeur a baptisé fontaines tournantes. C'est une nouvelle image sonore de la famille de ces sons tournants récurrents chez Levinas : une texture tremblée située dans le registre aigu évolue dans l'espace de la salle en mouvements giratoires.
Akaki Akakiévitch est fonctionnaire dans un ministère où il exerce sans relâche sa modeste tâche de copiste. C'est un personnage étriqué qui ne sait pas formuler de phrase complète, se contentant de sybillins « n'est-ce pas... ». Souffre-douleur du personnel, sa seule défense est « Laissez-moi en paix ! Que vous ai-je fait ? » Son manteau élimé est un objet de risée pour ses collègues. Il finit par se faire confectionner un manteau neuf par son tailleur. Un de ses collègues de bureau l'invite à une réception pour fêter la nouvelle acquisition. Akaki déroge à ses habitudes et se rend dans les beaux quartiers petersbourgeois, lieux de résidence de ses collègues plus fortunés.
Dérisoire prétexte de la réception, le pâle fonctionnaire est fêté puis bien vite délaissé. Il doit regagner après minuit son pauvre logis en parcourant des rues désertes. Des malandrins lui volent son précieux manteau. Une relation avisée recommande à Akaki de soumettre son cas à un personnage important, bien plus efficace qu'un incompétent commissaire de quartier. La démarche d'un copiste insignifiant paraît si incongrue aux yeux de l'important personnage que ce dernier le congédie en vociférant un terrible comprenez-vous devant qui vous êtes ? ». Le pauvre hère finit par contracter une maladie qui va l'emporter. Il réapparaît en spectre qui détrousse les passants de Saint-Petersbourg de leurs manteaux.
Les scènes de l'opéra font alterner subtilement l'instrumental pur et les divers mélanges entre l'orchestre et l'électronique. L'auditeur est toujours sollicité de manière différente. Ainsi, dans l'épisode de la traversée de la ville au crépuscule » , moment purement instrumental, le compositeur se livre à un travail polyrythmique de strates tournantes à base de flûte et de cordes, du plus saisissant effet. Lorsqu'ensuite Akaki va rejoindre sa demeure tout à la joie de penser à son manteau neuf, la musique des fontaines tournantes » s'élève peu à peu, créant un climat hypnotique. C'est une vision onirique qui se crée, par le mélange avec un accordéoniste jouant des bribes de valse de la sérénade de Tchaïkovski. On retrouvera cette valse dans la rumeur de la scène de la réception, où l'orchestre, dans une polyphonie très complexe, mêle la trivialité des flonflons à des textures particulièrement ramifiées.
La scène de la déclaration du vol du manteau donne lieu, entre les différents commissaires, à un travail de superposition élaboré. Ce moment clé, qui va mener à la mise à mort de l'antihéros de l'histoire, est ponctué par les interventions d'un pianiste jouant sur scène des fragments improvisés à partir d'un impromptu de Schubert. Ainsi, tout au long de l'opéra, Levinas convoque certaines références musicales, comme la valse tournoyante qui sert presque de leitmotiv. Il faut pourtant rappeler que le geste citationnel n'est d'ordinaire guère son fait. C'est donc que l'opéra, par ses exigences propres, nécessite une relation au langage musical autre que celle de l'instrumental pur.
Enfin, l'épilogue de GO-gol, où apparaît le fantôme d'Akaki, est un choeur a capella dans lequel les chanteurs soufflent dans des kazous et des appeaux, ce qui donne un son nasillard étonnant, dans la lignée fertile du timbre vibrant de la caisse claire d'Appels.
Au lever du rideau, Akaki est relié aux cintres par un réseau de fils tel un pantin et, à la fin de l'oeuvre, les manteaux volés par le spectre montent vers le ciel. Dans la scène de l'achat du manteau, la femme du tailleur dirige l'atelier juchée sur une robe géante. Lorsqu'Akaki se fait voler son vêtement, il n'a pas affaire à une ou deux personnes, mais à tout un groupe qui écrase le malheureux copiste.
Dans la composition musicale, Michaël Levinas a cherché systématiquement à formaliser chaque scène au moyen d'un concept fondamental qui se rapporte chaque fois à l'idée du mouvement tournant, des strates giratoires ou des continuums polyrythmiques superposant des vitesses différentes. Daniel Mesguich a développé cette dimension en utilisant des éléments de décor, sortes de tours cylindriques qui tournent souvent sur elles-mêmes. La scène de la traversée au crépuscule est caractéristique de cette obsession giratoire, avec une cohorte de passants anonymes tournant sur eux-mêmes. Mais c'est peut-être l'image du double électronique d'Akaki qui a inspiré l'idée la plus forte de la mise en scène : le personnage est constamment accompagné d'un contrepoint sur la scène, d'un sosie à l'image du double musical.
Il faut enfin décerner une mention spéciale à la performance du haute-contre Alain Zaepfel, qui a la responsabilité du rôle principal, et saluer le travail de l'Orchestre philharmonique et des Choeurs de l'Opéra de Montpellier, sous la conduite efficace de Pascal Rophé. Tous ces éléments ont concouru au succès public sans équivoque remporté par GO-gol le soir de la première.
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