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Les cahiers de l'Ircam: Compositeurs d'aujourd'hui: Magnus Lindberg, n° 3, juin 1993
Copyright © Ircam - Centre Georges-Pompidou 1993
Jusqu'à maintenant, j'ai surtout été
préoccupé par des problèmes strictement musicaux.
Composers write notes, disait Stravinsky. Je n'ai pas ressenti le besoin
d'avoir recours à des structures extramusicales - ni comme
modèles ni comme stimulants. Je ne crois pas à la fusion
des arts, et ce qui me gêne avant tout, ce sont les tentatives de
traduction : la musique est un langage, non une langue - elle ne souffre
pas de traduction.
Cela dit, il peut arriver qu'une expérience architecturale, par exemple,
provoque chez moi des sensations d'équilibre et d'espace semblables
à celles produites par la musique. Et, dans Action - situation -
signification, un des points de départ de l'élaboration de
l'oeuvre fut la lecture de Masse und Macht (Masse et puissance [1]), un
livre d'Elias Canetti qui décrit certaines analogies entre les
phénomènes naturels et les comportements humains. Mais je ne
tisse jamais consciemment de liens cryptiques entre ces domaines.
Je dirais la même chose de la biographie : s'il est évident que
notre vie transparaît d'une certaine manière dans les oeuvres, je
pense toutefois que la musique est un médium suffisamment
raffiné pour filtrer ces expériences ; on ne peut pas
assigner telle section de telle pièce à un moment euphorique ou
à un moment dysphorique. La musique n'est pas à ce point
programmatique.
Je dois dire, d'ailleurs, que les expériences qui entraînent de
véritables ruptures dans ma pensée compositionnelle viennent le
plus souvent de mes activités avec l'ensemble Toimii, que j'ai
créé au printemps 1980 avec des amis compositeurs et
interprètes
[2]. Nous donnons des concerts qui, du point de vue du
style, sont assez éloignés de ce qui se fait d'habitude. Nous
avons joué des pièces futuristes et, récemment, nous avons
monté des oeuvres de Kurt Schwitters, des pièces radiophoniques,
du théâtre musical. Et ces éléments étrangers
à mon travail ont souvent eu une influence très féconde
sur mon écriture. Ainsi, sans Toimii, je n'aurais jamais pu
écrire des partitions telles que Kraft ou Action - situation -
signification.
Quels ont été vos premiers essais compositionnels ?
J'avais essayé d'écrire quelques petites pièces sans
importance, vers l'âge de 7 ou 8 ans. Mais ma première
composition, entreprise en 1974-1975, fut Donor, pour orchestre, dont le
titre provenait de la chimie ! Elle n'a jamais été
interprétée : ma première oeuvre que j'ai pu entendre en
concert est Tre stycken (Trois pièces), pour cor et trio à
cordes, de 1976. Je jouais à l'époque au sein d'un duo avec le
pianiste Risto Väisänen, qui était également mon
professeur de contrepoint, d'analyse et de théorie musicale à
l'académie Sibelius.
Nous accordions une large place à la musique
contemporaine : les Structures de Boulez, des oeuvres de Zimmermann, de
Stockhausen. Nous donnions beaucoup de concerts et, tous les samedis, nous nous
rencontrions pour filer le répertoire, mais aussi pour déchiffrer
à quatre mains des quatuors à cordes, des symphonies, des
partitions de tout genre. En tant que pianiste, j'ai également
créé beaucoup de pièces de compositeurs finlandais de ma
génération. Je tenais aussi souvent la partie de claviers dans
des orchestres et, lorsqu'il s'agissait du répertoire contemporain, je
demandais toujours à être là. Je suis donc venu à ce
métier de compositeur en quelque sorte par le côté des
cuisines !
J'étais très attiré par le sérialisme et, pour mes
propres pièces, je développais toutes sortes de tableaux et de
grilles sérielles. J'écrivais vraiment des pièces
«hyper-sérielles». J'avais entrepris, en 1977, un cycle de
chants sur des textes du poète finlandais Gunnar Björling. Mais ma
méthode était si contraignante et complexe que, après
plusieurs mois de calculs, seul l'un des chants projetés fut
achevé : Jag vill breda vingar ut, (Je vaux étendre mes ailes)
pour mezzo-soprano et piano. Je me sentais très proche de la musique
de Stockhausen, de pièces comme Kontakte, Mikrophonie I, mais
aussi de l'école sérielle américaine - du compositeur
Milton Babbitt, notamment.
En 1977, j'ai commencé à étudier la composition, toujours
à l'académie Sibelius, avec Einojuhani Rautavaara, puis avec
Paavo Heininen, tout en suivant les cours d'Osmo Lindeman sur la musique
électro-acoustique. J'ai également travaillé au Studio de
musique électronique de Stockholm (EMS), d'abord en 1977 et 1978, puis
de nouveau en 1980 : c'était à l'époque un centre
important pour l'informatique musicale - le seul, d'ailleurs, dans les pays
nordiques. Ce fut mon premier véritable contact avec l'informatique,
bien que, mon père travaillant chez IBM, nous avions toujours des
ordinateurs à la maison.
Heininen a étudié avec Vincent Persichetti
[3] aux Etats-Unis,
puis avec Zimmermann en Allemagne. Il était très ouvert et il
avait une profonde connaissance du répertoire contemporain, qu'il
faisait rayonner par son enseignement. Il est un des premiers compositeurs
finlandais à avoir adopté un style dodécaphonique
cohérent. Il nous a fait découvrir des compositeurs qui
comptaient beaucoup pour lui : Roberto Gerhard, Karl Amadeus Hartmann, Michael
Tippett, Elliott Carter... Il était et reste une figure importante pour
les musiciens de ma génération.
Quelle était la situation musicale en Finlande ?
Alors que, dans les années 60, la Radio ou des festivals tels que celui de Jyväskylä avaient invité des compositeurs comme Ligeti, Nono ou Stockhausen, il était décourageant de voir que, dans les années 70, les oeuvres marquantes de l'après-guerre n'étaient quasiment pas jouées à Helsinki. En 1977, nous avons formé une association, qui s'appelait «Korvat auki» (Ouvrir les oreilles), afin de réunir des compositeurs et des interprètes. Et nous organisions des concerts parfois assez irréalistes - Mikrophonie I de Stockhausen dans une salle de deux mille places ! -, ainsi que des séminaires, des conférences. Du fait de notre attitude très critique, nous étions considérés comme assez arrogants. Mais au cours de ces réunions presque hebdomadaires, de ces longs week-ends autour des thèmes les plus divers - Berio, Zimmermann, l'opéra, la tradition vocale, la musique américaine... -, il s'est créé un dialogue fécond entre des compositeurs qui, s'ils ne pratiquaient pas nécessairement des styles identiques, avaient certainement plus de points communs qu'aujourd'hui : Esa-Pekka Salonen, Kaija Saariaho, Jouni Kaipainen...
Vous avez ensuite beaucoup voyagé en Europe.
Comme bien d'autres compositeurs, j'ai participé aux cours
d'été de Darmstadt. J'y ai rencontré Helmut Lachenmann -
un compositeur dont la pensée m'a beaucoup marqué - et Brian
Ferneyhough. Puis je suis allé à Sienne, pour suivre
l'enseignement de Franco Donatoni, dont l'approche très
différente fut pour moi un choc stimulant. En 1981, j'ai commencé
à étudier avec Vinko Globokar à Paris ; il avait une
vision plus ouverte de la création musicale : pour lui, il ne s'agissait
pas seulement de structures, mais aussi d'une conscience aiguë de
l'univers instrumental. Et, parallèlement à mes études
avec Globokar, j'ai travaillé avec Gérard Grisey.
Tous ces pôles d'attraction, assez éloignés, ont
constitué une somme d'influences assez heureuses. Et je recherchais
cette diversité de références comme autant de langages,
car à cette époque, d'un point de vue stylistique, je n'avais pas
de véritable inquiétude, je savais assez exactement ce que je
voulais. Ce qui n'a pas toujours été le cas par la suite !
Face à ces influences si diverses, vous sentez-vous appartenir à une tradition finlandaise ?
On n'échappe jamais à son passé. Mais il est vrai que, durant ces douze dernières années, je résidais beaucoup plus souvent à l'étranger qu'en Finlande. Et, tout en me sentant finlandais, je suis aussi quelque peu à l'écart du climat culturel de ce pays. Du reste, en tant que compositeur, il me paraît essentiel de ne pas être trop lié à un lieu ou à une esthétique déterminée, d'avoir une certaine indépendance.
Vous avez parlé, à plusieurs reprises, de Sibelius, à propos de certaines de vos oeuvres. Ressentez-vous une affinité particulière avec sa musique ?
J'ai souvent dit qu'il est dommage que Sibelius ait été
finlandais ! Sa musique a été très mal comprise. Son
langage n'était certes pas moderne, mais sa pensée, quant
à la forme et au traitement du matériau, était en avance
sur son temps. S'il revient à Varèse d'avoir ouvert des voies aux
nouvelles sonorités, Sibelius, quant à lui, était
allé très loin dans une réflexion sur les problèmes
formels et structurels de la composition. Je ne trouve pas très juste
qu'il ait été considéré comme conservateur,
même si la surface de sa musique reste très dépendante
d'une pensée tonale traditionnelle.
Dans ses dernières oeuvres symphoniques, le développement et le
travail thématique sont vraiment dignes d'intérêt. Chaque
thème donne naissance à un autre, selon de véritables
cycles de métamorphoses. L'oeuvre - toute l'oeuvre - est en
perpétuelle évolution. En même temps, cette façon de
procéder par associations successives est très liée
à une conception narrative. Ses harmonies, bien que tonales, ont un
côté très sonore, pour ainsi dire presque spectral. Il
existe chez Sibelius un travail sur la sonorité qui est finalement assez
proche de ce qui apparaîtra bien plus tard chez Gérard Grisey ou
Tristan Murail, qui étaient très intéressés par la
musique de Sibelius il y a dix ans. Peut-être le sont-ils encore ?
Toujours est-il qu'à l'époque la Septième
Symphonie, notamment, faisait l'objet d'un véritable culte !
L'aspect le plus essentiel de son oeuvre demeure pour moi sa conception de la
continuité. Dans Tapiola, surtout, la manière de
créer de véritables processus à partir d'un
matériau très limité est assez exceptionnelle. Peu de
compositeurs, que ce soit avant ou après lui, ont travaillé dans
ce sens.
Il me semble que ce souci d'une évolution continue et ce rapport à une dimension mythique ont également des résonances très wagnériennes.
Certainement. Toutefois, mon propre rapport à l'oeuvre de Wagner est
longtemps resté assez distant, peut-être du fait que j'ai
très peu d'expérience avec l'écriture vocale. Et,
curieusement, j'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour Brahms, un
compositeur qu'il était très à la mode de détester,
à l'époque où j'étudiais à l'académie
Sibelius.
Aujourd'hui, au contraire, Wagner m'est devenu très important. Son
oeuvre est un modèle de fusion de tous les paramètres du discours
musical - le rythme, l'harmonie, la mélodie... - au sein d'un
perpétuel devenir. Et je réfléchis beaucoup, en ce moment,
à ce que devrait être l'opéra aujourd'hui. J'ai en effet
des projets, mais rien n'est encore arrêté : il va falloir que je
prenne bientôt une décision, ce qui m'effraye un peu. Et, sur
cette voie de l'opéra, l'oeuvre wagnérienne est
inévitable.
La continuité narrative est-elle pour vous un aspect important de la composition ?
La musique est un art de l'expression dramatique. Je n'ai rien contre la
musique narrative, considérée aujourd'hui comme une sorte de
tabou. La façon dont Witold Lutoslawski parvient à incarner le
travail thématique dans de véritables personnages, presque
comme dans une pièce de théâtre, est extraordinaire. J'aime
qu'il y ait une direction dans une oeuvre, un développement, une
évolution entre le début et la fin. Mes concepts sont comparables
- mais non identiques - à ceux de la pensée tonale : je
considère la musique en termes de tensions, de relations de suspension -
voire de suspens -, et je trouve dommage que l'on ait oublié tout
ce qui fait la richesse de la musique tonale, au profit de structures statiques
qui relèvent plutôt du moment, de l'instant isolés.
Aujourd'hui s'écrivent beaucoup de pièces qui ne sont que
l'investigation d'une seule idée. Si l'on travaille avec des
oppositions, avec des idées contrastées, on est taxé de
classicisme du fait d'une proximité avec la pensée
bithématique de la sonate. Quant à moi, je souscris volontiers
à ce classicisme, s'il veut dire que l'on admet les tensions et le
caractère narratif comme composantes de l'écriture.
Lorsque vous étiez invité au centre Acanthes en 1992, vous avez analysé les Noces de Stravinsky.
Ces dernières années, Stravinsky m'a en effet à nouveau
beaucoup influencé. J'ai toujours eu à proximité de ma
table de travail la partition du Sacre du printemps. Mais les
Noces sont une oeuvre très particulière, par la
façon d'utiliser un matériau sauvage avec une technique
raffinée. Et ce qui m'a intéressé, c'était de
dégager la conception thématique qui s'y fait jour : les
thèmes ou les motifs des Noces sont travaillés non pas
dans un sens linéaire, mais de manière à créer une
sorte de gravitation.
D'un certain point de vue, on pourrait presque dire que je suis à ma
manière le développement de l'oeuvre de Stravinsky. J'ai d'abord
été très attiré par ce style sauvage. Mais j'ai
maintenant une égale admiration pour les pièces dites
néo-classiques, souvent déconsidérées et mal
comprises. Leur légèreté, leur allure sont
très stimulantes : Stravinsky a vraiment su créer une sensation
de mouvement qui tranche avec les harmonies gelées de nombre
d'oeuvres contemporaines. C'est cette vivacité qui m'attire, beaucoup
plus que des structures statiques.
On a parfois comparé la technique de Stravinsky à celle du montage cinématographique.
Le cinéma est un art qui me semble très proche de la musique, à cause justement de cette technique de montage, de coupures. De plus, le timing y est toujours exact, contrairement au théâtre où il reste un élément moins déterminé. En tant que compositeur, je pense que l'on peut apprendre beaucoup du septième art : et j'ai certainement beaucoup plus appris en réfléchissant au montage que dans tous les traités sur la forme musicale. Les théories de Tarkovsky - notamment dans Sculpting in time (Le Temps scellé) - ou encore celles d'Eisenstein m'ont fortement influencé.
Si j'ai pu être dogmatique par le passé, je me définirais maintenant plutôt comme un empiriste, un pragmatique : je mêle la combinatoire, les idées spectrales, voire certains aspects que l'on considère comme minimalistes ou encore des éléments de la musique tonale. Le langage doit avant tout être riche. Et, si je pense que la structure doit être forte et cohérente, je ne vois pas pourquoi l'on devrait éliminer pour autant ces éléments qui contribuent à l'expression. Le langage, dans sa diversité même, est fertile et l'on doit le laisser fleurir. Même si j'emploie des éléments consonants, même s'il y a parfois des citations dans mes oeuvres, je ne me suis cependant jamais reconnu comme post-moderne. Du reste, c'est un terme qui, s'il peut avoir un certain sens en architecture, est employé à tort et à travers en musique. Ainsi, je ne sache pas que Zimmermann ait été post-moderne, lorsqu'il cite soudain Beethoven et Scriabine dans Photoptosis.
Quel rôle les citations ont-elles dans votre écriture ?
Il existe des citations dans toute musique. Je ne vois pas comment pourrait-on totalement éviter de répéter une part, aussi infime soit-elle, de ce qui a déjà été fait. Cela dit, pour moi, les citations, ou plutôt les allusions, viennent le plus souvent du fait que le matériau avec lequel je travaille révèle des aspects qui y sont cachés - dans les structures harmoniques, notamment. Le matériau n'est pas neutre. Dès que l'on combine trois ou quatre notes, des ramifications se créent vers toutes les musiques. Quoi que l'on fasse, ces ramifications sont là, présentes, même si elles peuvent être cachées et je ne vois pas le danger qu'il y aurait à les montrer. Il peut arriver que, parmi les accords que je développe, certains ressemblent à ceux de Purcell, par exemple. Ces références sont tellement fortes qu'elles s'imposent à l'audition. Et je n'ai pas peur qu'elles sautent aux yeux !
Ces allusions sont donc en quelque sorte découvertes au cours de votre travail, plutôt que pensées a priori comme telles ?
Tout à fait : je ne les recherche pas pour elles-mêmes. Je tracerais peut-être une limite avant le moment où la musique devient spéculative : j'aime trop la musique pour spéculer avec ! Travailler avec des citations afin de donner plus de sens aux choses qu'elles n'en contiennent, cela ne m'intéresse pas. De fait, j'ai de moins en moins peur des idées simples, univoques : elles doivent elles aussi trouver leur place dans l'écriture, être intégrées à l'expression.
Vous avez beaucoup parlé d'harmonie, de ce que l'on désigne comme étant la dimension verticale de l'écriture musicale. Comment concevez-vous la relation entre cette dimension et le développement horizontal - «mélodique» - du discours ? Ou encore, ce que Pierre Boulez a pu qualifier de dimension «oblique» ?
Je n'ai jamais vraiment pensé la musique en termes de mélodie. Je
ne peux pas nier qu'il existe des mélodies dans mes oeuvres, mais je
n'ai jamais travaillé cette dimension pour elle-même. J'ai
toujours essayé d'éviter les phrases. Dans une oeuvre
comme Kraft, j'étais avant tout préoccupé par des
problèmes d'ordre rythmique. En revanche, à partir d'UR,
de Kinetics, de Joy, ou dans des pièces plus
récentes comme Corrente, s'il existe un travail théorique,
celui-ci porte principalement sur la structuration de l'harmonie, et ce en
mêlant deux esthétiques : d'une part, une visée
combinatoire, issue de la set theory telle qu'elle est formulée
chez Allen Forte - c'est-à-dire une pensée dodécaphonique
qui, plutôt que sur l'emploi de séries, repose sur une
classification des accords et de leurs rapports ; et, d'autre part, une
démarche orientée vers l'expérience spectrale, qui
conçoit un accord comme un ensemble de partiels d'une fondamentale. Je
considère l'harmonie en partie comme un phénomène
empirique, d'un point de vue coloriste, et en partie comme l'objet d'un travail
contrapuntique.
Certes, Kinetics, Marea ou Joy relevaient encore d'une
écriture très gestuelle, que j'ai abondonnée avec
Corrente, au profit d'une plus grande continuité. Je
m'intéresse aussi de plus en plus au contrepoint, à ce que, en
allemand, on appelle le Satz - et c'est peut-être, de ma part, une
façon d'approcher l'écriture vocale. Mais l'harmonie reste pour
moi le problème fondamental de la musique.
Vous avez mentionné, notamment à propos de Joy, le principe de la chaconne. Comment employez-vous ce principe ?
J'ai bâti une suite d'accords, qui constituent en quelque sorte le
squelette de toute l'oeuvre. Ils sont omniprésents, ils donnent forme et
identité à l'oeuvre. Ils représentent également les
points de départ ou d'arrivée des processus évolutifs. Je
les emploie à la fois comme des catalyseurs et comme des points de
repère. Il s'agit peut-être, en définitive, d'une
manière de substitut thématique [4].
Joy est une pièce qui, malgré une certaine
complexité de surface, est assez homophonique. Jusqu'à
maintenant, je n'ai pas vraiment recherché la polyphonie, à part,
peut-être, dans des compositions plus anciennes - comme Sculpture
II, de 1981, qui se fondait sur des strates
hétérogènes.
Comment naît l'idée d'une oeuvre ? Vos nouveaux projets compositionnels ont-ils des points d'ancrage dans des pièces précédentes ?
Je vois mon travail comme un parcours continu - une idée que l'on
retrouve chez Luciano Berio, par exemple. Ce que l'on compose fait toujours
partie d'un work in progress. Je n'ai jamais pensé que chaque
nouvelle pièce était un point de rupture radical : une vision des
choses très répandue il y a une vingtaine d'années.
Même si la composition reste une recherche, même si elle
relève d'un désir de découverte, il existe une
continuité «organique» entre les oeuvres.
Il est vrai que, d'une pièce à l'autre, on procède
à des focalisations sur certains aspects. Mon travail a toujours
été orienté par une volonté de compréhension
de certaines dimensions spécifiques du langage : le paramètre
rythmique, le paramètre harmonique... Ce n'est que depuis peu que je me
détourne de ces polarisations volontaires, pour tenter au contraire une
synthèse des différents paramètres au sein d'un discours
aussi continu que possible.
Quoi qu'il en soit, mes oeuvres sont comme des îles, autour d'un projet
majeur. Ce fut le cas avec Kraft, dans les années 1980-1985 :
lorsque j'ai écrit Action - situation - signification en 1982, je
voyais cette oeuvre comme une sorte de musique concrète avec des
instruments - presque dans le sens où Helmut Lachenmann parle de
«musique concrète instrumentale» ; en 1983, avec
Zona, je me suis pour ainsi dire livré à une étude
d'écriture instrumentale soliste au sein d'un ensemble ; puis avec
Metal Work, en 1984, j'ai voulu explorer les sonorités
métalliques. Tous ces éléments sont réunis dans
Kraft. J'ai également toujours considéré UR - mon
premier projet à l'Ircam - comme l'équivalent de Kraft
avec un effectif de musique de chambre. A ce groupe d'oeuvres appartient aussi
Faust (1985-1986), une pièce radiophonique.
Un autre archipel serait celui formé par le triptyque orchestral
Kinetic, Marea et Joy.
Retravaillez-vous vos oeuvres après leur création ?
Ritratto aura été, de ce point de vue, une
expérience difficile. J'ai travaillé à cette pièce
pendant quatre ans. La première version, qui durait une quarantaine de
minutes, comprenait cinq mouvements ; petit à petit, au cours des
années, elle s'est transformée en un seul mouvement continu, par
suite d'une réduction drastique (la version finale ne dure que treize
minutes). Ce qui est étrange, c'est que je n'avais supprimé que
très peu de musique : il s'agissait plutôt d'une contraction,
d'une immense compression.
Récemment, pour l'enregistrement de Zona en 1991, je suis revenu
sur cette partition que j'avais écrite en 1983, me retrouvant huit ans
après face à des idées que j'avais oubliées. De
plus en plus, je ressens le désir de retoucher mes pièces. Ce
peut être dangeureux, mais je pense que cela tient aussi au fait que j'ai
une vision de plus en plus claire de ce que je veux faire. Mon Concerto pour
piano de 1991 me pose beaucoup de problèmes dans son état
actuel ; mais je ne sais pas si je réussirai à
déchirer la pièce pour la recomposer de manière
plus cohérente.
J'aime trop l'orchestration pour ne pas être prudent : on ne peut pas
tout savoir a priori ; il faut être capable de revenir sur ce que
l'on a fait et d'admettre que tout ce que l'on imagine ne fonctionne pas
nécessairement de façon heureuse.
Corrente II, pour orchestre, aura également été un
projet particulièrement intéressant dans cette perspective : j'ai
véritablement réécrit la pièce (Corrente est
conçu pour seize instruments) ; j'ai tout modifié - aucune
mesure n'est identique - et cependant la musique reste la même.
Entre l'idée d'une pièce, telle que vous pouvez la formuler dans des esquisses ou des projets formels, et sa réalisation, y a-t-il beaucoup de modifications ?
Si j'ai pu faire partie de ces compositeurs qui préparaient un
schéma formel séduisant qu'ils réalisaient ensuite
soigneusement, je dois dire que, aujourd'hui, je n'écris plus du tout
ainsi. Il m'arrive d'établir un plan pour la forme, mais, quand le
matériau avec lequel je travaille commence à gagner plus de
substance, je m'efforce d'être très sensible aux tendances
qui s'y font jour, à son caractère organique - ce qui me conduit
souvent à modifier la structure en retour.
Cette démarche me semble précieuse par sa fragilité
même : la structure entraîne le matériau dans une certaine
direction, qui n'est pas nécessairement la sienne propre ; de cette
collision émergent des idées nouvelles, des énergies qui
ne sont pas toujours des synergies. C'est là pour moi l'aspect vraiment
mystérieux de la composition. Pour pouvoir trouver quelque chose, je
dois donc avoir une structure a priori : lorsque je travaille avec
l'ordinateur, par exemple, je crée quelques contraintes qui vont
régler tel passage harmonique ; puis, en analysant le processus
ainsi engendré, j'y découvre des aspects cachés. En
ce sens, ma démarche est certainement plus déductive
qu'inductive.
Et c'est dans ce cadre que la spontanéité et l'intuition peuvent
jouer un rôle : je trouve des choses, mais je ne les invente pas.
Comment concevez-vous la fin d'une oeuvre ?
Si je n'ai jamais eu de problèmes avec le début d'une
pièce, en revanche, j'ai souvent du mal à en définir la
fin. Est-ce le moment où l'on n'a rien de plus à dire, rien
à ajouter ? Est-ce un point d'interrogation, de suspension ? Est-ce le
moment où l'on doit dénouer le drame ? Je ne saurais vraiment
dire.
Kraft a certainement été la pièce dont la fin m'a
posé le plus de difficultés. J'étais très sceptique
vis-à-vis de cette coda ; cependant, a posteriori, je peux dire
qu'elle est peut-être parmi les solutions les plus simples et les plus
efficaces que j'aie su formuler.
On pourrait s'interroger sur le concept de cadence. On ne travaille plus
avec ce concept, à l'exception, peut-être, de Messiaen qui
employait volontiers l'accord majeur avec sixte ajoutée - l'accord
cadentiel par excellence. J'ai beaucoup réfléchi à cette
question : que pourrait être une cadence aujourd'hui ? Et bien sûr,
la cadence la plus importante, c'est toujours la fin d'une pièce.
Vous arrive-t-il de laisser certaines réalisations à la discrétion de l'interprète ?
Si j'ai pu écrire des formes ouvertes - ce fut le cas avec Drama,
pour orchestre, en 1981, ainsi qu'avec Play 1, pour deux pianos, en 1979
-, cela ne m'intéresse plus guère. Dans le cours de mon travail
compositionnel, la forme est, bien entendu, ouverte ; mais le choix et la
définition restent finalement de mon ressort.
En revanche, il m'est arrivé, en travaillant à mon Duo
concertante avec Anssi Karttunen ou Kari Kriikku, qui me sont très
proches, de leur donner une partition qui ne comportait aucune indication quant
à la dynamique, au phrasé ou à l'articulation. Comme
peuvent l'être les éditions Urtext de Bach ! Et
c'était fantastique de voir comment - après avoir, il est vrai,
travaillé avec moi pendant des années - ils cherchaient et
trouvaient une certaine expression. Nous avons alors passé quelques
jours ensemble à noter ce qu'ils avaient développé.
Le problème, avec beaucoup de pièces contemporaines, est leur
surnotation. On n'a pas assez confiance dans ce que l'on écrit :
on surcharge la notation pour finir par noter ce qui est évident, en
laissant de côté ce qui ne l'est pas. Finalement, loin de
l'enrichir, on affaiblit plutôt la notation.
Cela concernait surtout cette période autour de Kraft. Les
timbres que j'utilisais - proches, parfois, de ceux de la musique
concrète - ont pu rappeler les sonorités des groupes de rock et
de punk, que j'avais découverts à Berlin en 1984 et 1985. J'ai
été très attiré par cette musique que j'ignorais.
Mais ce point de convergence ne concernait que l'aspect sonore et non - du
moins je l'espère - la structure !
A présent, je parlerais plutôt, dans mes oeuvres récentes,
d'un certain classicisme.
Qu'entendez-vous par classicisme ?
C'est une question difficile ! Peut-être une certaine pureté -
surtout dans les sonorités avec lesquelles je travaille. Il y a
également beaucoup d'aspects de la musique classique que la pratique
contemporaine a négligés : notamment la différenciation
fonctionnelle des strates, telle qu'elle pouvait exister entre la
mélodie et l'accompagnement. Je ne veux pas dire par là que l'on
pourrait tout simplement revenir à des mélodies
accompagnées, mais il est dommage de se priver d'établir des
hiérarchies entre un premier plan et un arrière-plan.
Ma propre musique, malgré une certaine complexité de surface, est
longtemps restée très homogène. J'ai actuellement un grand
besoin de polyphonie, d'un véritable contrepoint. Et cela relève,
à l'évidence, d'une technique classique. Je n'aime pas que la
musique contemporaine se définisse uniquement par négation : je
souhaite que le style soit doté d'un plus grand pouvoir
d'intégration. Et pour y arriver, il faut purifier, diminuer les
saillies de certains aspects, de manière à ouvrir le style,
à ouvrir l'écriture. Je ne pourrais pas travailler
actuellement avec une sonorité aussi sauvage que dans Kraft, par
exemple.
Le classicisme est aussi certainement un goût pour l'équilibre.
Pour le drame dans l'équilibre de la forme.
Cet équilibre de la forme, le réalisez-vous avec des proportions spécifiques?
J'ai beaucoup travaillé avec des proportions, mais, actuellement, il est
rare que je définisse de tels rapports de durées. J'emploierais
volontiers une métaphore thermodynamique : j'ai des liquides que je
mélange et qui créent toutes sortes de turbulences et
d'interactions.
Je ne conçois plus la composition comme un agencement de blocs de
durées proportionnés et je pense que l'écriture a
plutôt à voir avec des phénomènes fluides.
Vous parlez de mélodie et d'accompagnement, de premier plan et d'arrière-plan. Comment pouvez-vous réaliser ces catégories sans avoir recours à un langage tonal ?
Je me suis attaché à réaliser ces catégories dans
Kinetics. Le point de départ de cette pièce était
une sorte de dualité dans la pensée harmonique. Le premier
plan avait une forte tendance à la combinatoire, tandis que le second
plan, constitué par des harmonies spectrales aux irisations
infrachromatiques, venait en quelque sorte le colorer.
Dans une pièce comme Sculpture II, j'avais tenté de
détruire à tout prix les hiérarchies établies au
sein de l'orchestre. Je voulais éviter les contrastes classiques entre
les pupitres - entre les cordes, les bois, les cuivres -, des contrastes qui
aujourd'hui ne m'effrayent plus. L'équilibre de l'orchestre est à
la fois parfait et bancal - on ne peut pas éternellement lutter
contre.
Steamboat Bill Jr. est en effet une sorte d'hommage à Buster
Keaton. C'est une pièce virtuose et j'ai toujours eu beaucoup
d'admiration pour la virtuosité de Buster Keaton.
A l'époque, mon ami violoncelliste Anssi Karttunen m'avait fait
connaître une version de Pulcinella pour violon et violoncelle
réalisée par un compositeur suisse - version que Stravinsky
lui-même, lorsqu'il l'avait entendue, avait trouvée très
bonne. Cela m'avait fasciné de penser qu'une pièce comme
Pulcinella restait présente quand bien même on la jouait
uniquement sur ces deux instruments. C'était pour moi comme la pointe
d'un iceberg.
Et c'est cette impression qui m'a conduit à essayer d'écrire
cette pièce pour clarinette et violoncelle avec une pensée
proprement orchestrale. Comme Buster Keaton, qui navigue seul sur un grand
bateau, les deux musiciens sur scène représentent tout
l'orchestre.
Cette pièce en duo est également conçue avec des harmonies
que l'on imaginerait plus volontiers dans une pièce pour orchestre. Il
s'agit d'une sorte de faux contrepoint, les deux instruments essayant de
couvrir la totalité des champs harmoniques, de manière à
donner l'impression que c'est un orchestre qui joue, alors que seules deux ou
trois voix sont présentes. Ce sont des structures qui changent assez
rapidement - un peu comme chez Bach : on passe très vite de l'une
à l'autre. Et cette vitesse même crée une texture
kaléidoscopique, selon un enchaînement harmonique
récurrent. Comme si l'on tournait autour d'une statue, en en
découvrant chaque fois des facettes différentes.
La vitesse, justement, joue-t-elle un rôle important dans vos oeuvres ?
Je suis très attaché à la vitesse. C'est pour moi une obsession. Et je pense que très peu d'oeuvres contemporaines sont véritablement rapides, au sens de l'allegro de la sonate classique. Il peut y avoir beaucoup de notes, mais cela ne constitue pas encore une rapidité au niveau de l'écriture. J'aime avoir une grande quantité de mouvements et j'aime également la virtuosité instrumentale. Je recherche une sorte de structure stroboscopique, une vivacité musicale, que j'essaie de créer par le degré de mobilité de l'harmonie. Même si je travaille avec des accords qui sont gelés dans un registre, j'y reste très peu de temps : au sein d'une minute de musique, je peux changer l'harmonie une soixantaine de fois. Je travaille donc bien entendu sur le contenu de ces accords, mais surtout sur leurs rapports, sur leurs enchaînements et sur leurs contrastes. Il m'arrive aussi de créer des bouclages de longueurs différentes, de manière à engendrer une continuité avec des structures irrégulières.
Dans quelle mesure cette vitesse que vous venez de décrire - et qui me semble avoir trait à ce que l'on aimerait appeler le «rythme harmonique» - est-elle liée à votre travail avec l'ordinateur ?
Il est certain que les outils que j'ai développés pour la composition assistée par ordinateur (la CAO) me permettent de générer, selon des règles bien définies, des transformations harmoniques qui seraient assez difficiles à calculer à la main.
Il y aurait donc une adéquation entre la technique et le langage ?
Absolument. Du reste, lorsque j'ai commencé à travailler avec l'ordinateur, les outils dont nous disposons aujourd'hui n'existaient pas. J'ai donc développé mes propres outils pour des problèmes musicaux que je n'arrivais pas à résoudre à la main. J'ai commencé à programmer moi-même, si bien qu'il s'est toujours trouvé une nécessité musicale derrière mon travail avec l'ordinateur.
Composez-vous également au piano ?
En partie. A l'époque où je jouais en duo avec Risto Väisänen, je ne le faisais pas, mais, ces derniers temps, je partage mon travail de composition entre l'ordinateur, la table et le piano. Je vérifie certaines idées au clavier, mais, pour ce qui est de chercher, je préfère l'ordinateur. Ce sont des éléments qui se complètent très bien.
L'outil informatique que vous avez développé semble remarquablement continu, en ce sens qu'il a traversé des mutations stylistiques importantes dans votre musique.
Pour le meilleur et pour le pire : c'est un environnement avec lequel j'ai travaillé pour la première fois en 1983 et, même s'il m'est arrivé de le modifier, certaines parties commencent à être obsolètes. Il faudrait un jour le réécrire entièrement, mais la quantité de codes est considérable : je n'ai cessé d'en ajouter au fil des années. J'y suis très à l'aise, j'y navigue avec facilité - si bien que j'ai du mal à en sortir.
Là encore, c'est vraiment une sorte de work in progress : tout est en quelque sorte sédimenté dans les fichiers, mais rien n'est véritablement classé, documenté. Je travaille souvent à la manière d'un archéologue : parfois, je me souviens avoir fait quelque chose de semblable il y a des années, alors je cherche, je fouille...
Vous avez beaucoup travaillé avec l'idée d'interpolation, de transition graduelle d'un objet à un autre. Diriez-vous que l'ordinateur est un outil pour construire une certaine continuité ?
C'était en tout cas longtemps mon but : relier des événements éloignés. Ou peut-être, plutôt que de continuité, il faudrait parler d'une certaine plasticité. Avant d'employer l'ordinateur, je travaillais en quelque sorte avec du marbre ; l'informatique m'a offert un matériau plus aisément modelable.
Cela dit, l'idée de processus continus m'intéresse beaucoup moins qu'il y a quelques années : on est trop souvent dans des situations où le point de départ et le point d'arrivée sont intéressants, alors que, entre les deux, il existe un terrain vague. Je préfère travailler avec des briques, avec des relations plus définies et plus locales.
Je définirais plutôt Keaton comme un acrobate, et Chaplin comme un
joueur de pantomime, attaché aux sentiments. Et l'acrobatie est
certainement une des manières de penser l'instrumentalité.
Mais, pour en revenir à cet aspect purement «machinique»,
un passage comme le second scherzo de Joy, fondé sur
l'ostinato rythmique, me semble relever à la fois d'une technique
minimaliste et d'un effet «mécaniste». Je suis très
stimulé par les machines, par les mécanismes qui suivent chacun
un certain mouvement, un certain pattern.
Un peu comme les sculptures de Tinguely !
Absolument. Du reste, il me semble que la répétition en soi est une ressource extraordinaire dans l'art. J'aime passionnément les tapis orientaux, ainsi que tout ce qui est ornemental dans l'architecture arabe. Je me demande parfois pourquoi nous avons exclu cet aspect de notre expression. En ce sens, si je disais tout à l'heure que je recherchais un certain classicisme, je me dirais aussi volontiers attiré par le baroque, voire par le rococo. Non pas le baroque lourd, mais la légèreté de l'ornement, de la broderie.
Diriez-vous que vous écrivez facilement ?
Je peux très bien écrire dans des endroits bruyants ; je n'ai pas
besoin de splendid isolation. Du reste, je ne suis pas comme certains
écrivains - je pense à Gabriel Garcia Marquez, que j'aime
beaucoup, d'ailleurs - qui ne retouchent jamais rien, mais qui avancent pas
à pas, avec une extrême méticulosité. Dans ma
méthode de travail, je suis plutôt rapide et bavard, et c'est
seulement dans un second temps que je commence à préciser de plus
en plus, à affiner mes idées.
Je suis parfois agacé par cette attitude qui se plaît à
exagérer la difficulté, la souffrance, la crise de l'acte
compositionnel. Si l'on se dit compositeur, alors il faut composer, ou bien
changer de métier. Cela dit, écrire une oeuvre réussie
peut déjà constituer un projet qui occupe toute une vie. Mais je
ne crois pas à un tel volontarisme : vouloir faire des
chefs-d'oeuvre. Il faut vivre avec ses idées, essayer de les
réaliser le mieux possible, de manière efficace, pragmatique. Et
si la composition devient vraiment trop difficile, il vaut peut-être
mieux arrêter.
Entretien réalisé à Paris, les 26 janvier et 8 avril 1993
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