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in Lire l'Ircam (n° spécial des Cahiers de l'Ircam), pp. 20-40, 1996
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CONSÉQUENCES (elles sont innombrables, mais on en dénombre certaines qui passent pour acquises). Schoenberg suspend les relations fonctionnelles qui caractérisaient la tonalité. Il a du mal, dit-on, avec les formes longues : ou bien il écrit des pièces aphoristiques, ou bien il a recours à un prétexte littéraire pour articuler lesdites formes. Schoenberg tente de noter les inflexions de la voix parlée-chantée (Sprechgesang). Il fait du timbre (de la couleur) un élément structurant, à l'image de la mélodie (Klangfarbenmelodie).
REMARQUE. Parmi les nombreux élèves d'Arnold Schoenberg, on distingue généralement Alban Berg et Anton Webern, qui forment avec lui ce qu'il est convenu d'appeler une trinité : celle des trois Viennois. Certains historiens de la musique filent la métaphore, en parlant du Père, du Fils et du Saint-Esprit. On s'accorde alors généralement sur l'ordre suivant : Schoenberg, Berg, Webern.
PRÉMISSE. « Tout véritable artiste désire garder le contrôle conscient de ses moyens d'expression nouveaux, de ses formes nouvelles; il voudra analyser consciemment les lois et les règles qui gouvernent les formes qu'il a conçues "comme dans un rêve". »
CONSÉQUENCES (parmi d'autres). Au début des années 20, et après une évolution « nécessaire » , Schoenberg (qui préféra toujours le mot « méthode » au mot « système » ) jette les fondations d'un système musical nouveau. Il le définit par une périphrase (« composition avec douze sons n'ayant de rapports qu'entre eux » ), que l'on remplacera plus tard par le baptême plus économique de « dodécaphonisme » . Certains parleront aussi de « sérialisme » , car ce système est construit sur la notion de « série » . (Quelques-uns, enfin, tenteront de mettre de l'ordre dans ces dénominations.)
DÉFINITION. La série schoenberguienne est l'ensemble des douze notes de la gamme chromatique prises dans un ordre déterminé, ensemble dont dérivent toutes les figures harmoniques ou mélodiques de la composition.
PRÉMISSE (mineure et moins connue). « En 1944 [c'est Olivier Messiaen qui parle], j'avais montré à mes élèves le Pierrot lunaire de Schoenberg et la Suite lyrique de Berg... Je m'étais vivement élevé, et à voix très forte, contre la tendance unilatérale qui poussait ces musiciens à prospecter dans le domaine de la hauteur sonore seulement. Et j'avais déjà proposé les mots : "série de timbres", "série d'intensités" et surtout "série de durées« ; en tant que rythmicien, c'est ce qui me tenait le plus à coeur... »
PRÉMISSE (dont il faudrait voir comment elle découle elle-même de la précédente). En 1951, Pierre Boulez relève minutieusement les réseaux de structures rythmiques dans Le Sacre du printemps (son analyse sera publiée en 1953 sous le titre Stravinsky demeure, dans le premier tome de Musique russe aux Presses universitaires de France).
CONSÉQUENCES. En février 1952, un an après la mort de Schoenberg, Boulez publie dans la revue The Score un article intitulé Schönberg is dead. Il y propose de « dissocier le phénomène sériel de l'oeuvre de Schönberg » et de suivre le chemin plus rigoureux frayé par Webern. « Peut-être pourrait-on généraliser le principe de la série aux quatre composantes sonores : hauteur, durée, intensité et attaque, timbre. Peut-être... Peut-être... »
PRÉMISSE (mineure). Darmstadt, petite ville d'Allemagne, voit en 1946 la naissance d'un centre international de musique contemporaine (fondé par Wolfgang Steinecke).
CONSÉQUENCES (proches). En 1949, accueilli à Darmstadt en tant qu'invité d'honneur, Olivier Messiaen compose son Mode de valeurs et d'intensités, qui sera régulièrement analysé et commenté comme premier exemple de généralisation du principe sériel. Pierre Boulez, Karel Goeyvaerts, Karlheinz Stockhausen (entre autres) poursuivront un temps cette voie.
CONSÉQUENCES (lointaines). On parle encore de « Darmstadt » , sans vraiment savoir où ça commence et où ça s'arrête (voir §6). Et parler de « Darmstadt » , c'est toujours parler d'une théorisation, voire d'une formalisation de la musique. « Approche résolument intellectuelle, prépondérance accordée aux arrangements systématiques » , tels étaient pour Lévi-Strauss les « traits communs » de l'« école sérielle » et du « structuralisme » .
Tel est le titre de l'article que publie Iannis Xenakis dans les Gravesaner Blätter en 1955. Il écrit : « La polyphonie linéaire [sérielle] se détruit elle-même par sa complexité actuelle. Ce qu'on entend n'est en réalité qu'amas de notes à des registres variés. La complexité énorme empêche à l'audition de suivre l'enchevêtrement des lignes [...]. Il y a par conséquent contradiction entre le système polyphonique linéaire et le résultat entendu qui est surface, masse. »
Dont acte. Xenakis se détournera du détail (notes et motifs) au profit de l'ensemble, qu'il traitera comme une masse, précisément. Employant pour ce faire des méthodes de calcul statistique et probabiliste (la « musique stochastique » ), à la manière dont « on observe les nuages et leurs formations dans un film accéléré » .
AXIOME : toute musicographie doit (c'est indissociable) retenir et laisser tomber des noms. EXEMPLES : jusqu'ici, on a « oublié » (au moins) Bartók, Dallapiccola, Debussy, Ives, Ravel, Satie, Varèse... COROLLAIRE : tôt ou tard, certains de ces noms reviennent.
CONSÉQUENCES. John Cage, qui avait étroitement partagé les préoccupations de Pierre Boulez au début des années 50, rompt avec l'avant-garde sérielle (« Darmstadt » au sens du §4) en invoquant notamment Satie : « Pour s'intéresser à Satie, on doit commencer par être désintéressé, par accepter qu'un son est un son et qu'un homme est un homme, par renoncer aux illusions quant aux idées d'ordre, quant aux expressions du sentiment et autres baratins esthétiques hérités... »
CONSÉQUENCES (suite). Invité à Darmstadt par Wolfgang Steinecke, Cage publiera en 1959, dans les Darmstädter Beiträge, une Histoire de la musique expérimentale aux États-Unis. Il y est question (pêle-mêle) de Virgil Thomson, Edgar Varèse, Charles Ives, Henry Cowell, Christian Wolff, Earle Brown, Morton Feldman. Il y est aussi question des précédents séjours de Cage à Darmstadt : « Quand j'ai dit récemment à Darmstadt que l'on pouvait écrire de la musique en observant les imperfections du papier, un étudiant -- qui n'avait pas compris car il était plein d'idées musicales -- demanda : "Est-ce qu'un bout de papier serait meilleur qu'un autre ? Par exemple un papier qui aurait plus d'imperfections ?" Il était attaché aux sons, et à cause de son attachement, il ne pouvait laisser les sons n'être que des sons. Ce qui lui manquait, c'était de s'attacher au vide, au silence. Car c'est ainsi que les choses -- c'est-à-dire les sons -- adviennent à l'être par elles-mêmes. »
CONSÉQUENCES (fin). Il y est question, enfin, d'un changement à venir, en forme de bilan sur ce qu'aura été « Darmstadt » (et c'est encore une liste ouverte de noms) : « La vitalité qui caractérise la scène musicale actuelle en Europe découle des activités de Boulez, Stockhausen, Nono, Maderna, Pousseur, Berio, etc. Il y a dans toute cette activité un élément de tradition, de continuité avec le passé... Pourtant, cette scène va changer. Les silences de la musique expérimentale américaine, et même son souci technique des opérations aléatoires, sont en train de s'introduire dans la nouvelle musique européenne. Bien que l'Europe ne renoncera pas facilement à être l'Europe... »
NOTA BENE. Si, dans la résonance des propos cagiens, c'est bien « Darmstadt » au sens du §4 qui s'achève, il faut souligner que Darmstadt -- petite ville d'Allemagne dotée d'un centre international de musique contemporaine particulièrement actif depuis sa fondation en 1946 -- existe encore bel et bien jusqu'à aujourd'hui.
REMARQUE. Plus ça va, plus il faut condenser, plus on s'éloigne d'un point de départ (§1) lui-même injustifiable absolument, plus les prémisses s'accumulent, plus les oublis deviennent des béances, plus la tension augmente entre la rigueur d'une déduction (ou de son simulacre) et les objections, les remarques qui jaillissent de toutes parts...
PRÉMISSE (bruitée). Cage toujours : « Les bruits sont aussi utiles à la nouvelle musique que les sons dits musicaux, pour la simple raison qu'il s'agit de sons. Cette décision change la vision de l'histoire, si bien qu'on ne se préoccupe plus de la tonalité ou de l'atonalité, de Schoenberg ou de Stravinsky, de la consonance ou de la dissonance, mais plutôt d'Edgar Varèse, qui imposa le bruit dans la musique du vingtième siècle. » Les klaxons, les sirènes, les percussions de Varèse...
PRÉMISSE (concrète). Pierre Schaeffer avait proposé en 1948 le terme de « musique concrète » . De nombreux compositeurs s'intéresseront à cette démarche qui, « au lieu de noter les idées musicales par les symboles du solfège » , commence par « recueillir le concret sonore, d'où qu'il vienne » .
Parmi eux, Pierre Boulez. Dans une lettre à John Cage (décembre 1951), il décrit ses recherches « sous le patronage » de Schaeffer : « Nous avons comme instruments de travail : des micros pour pouvoir enregistrer, des graveurs de disques ; deux magnétophones à vitesse variable... Enfin un magnétophone à trois pistes, ce qui permet de pouvoir mixer trois bandes à la fois. Il y a des filtres, pour modifier les sonorités. Nous nous sommes livrés à un travail théorique sur les catégories sonores pour pouvoir -- comme on se sert des instruments normaux -- travailler plus clairement à partir de fonctions sonores clairement définies. »
PRÉMISSE (électronique). Parmi eux encore, Karlheinz Stockhausen : « Dès les années 1952-1953, je concentrai les travaux que j'effectuais au sein du groupe "Musique concrète" de Paris sur l'analyse de divers sons instrumentaux -- tels ceux des percussions, qui avaient été enregistrés au musée de l'Homme --, sur celle des sons de la parole ainsi que des bruits de toute sorte... L'analyse des sons effectuée par les filtres électroniques est tout à fait comparable à celle de la lumière par des prismes. »
Mais après cette expérience « analytique » , Stockhausen s'essaye à la démarche inverse -- la « synthèse du son » . Il procède alors avec des appareils électriques baptisés « oscillateurs » , qui génèrent les sons dits « purs » entrant dans la composition microscopique de la plupart des sons « complexes » que nous connaissons. C'est ainsi que, à partir de 1953, il collabore avec le Westdeutscher Rundfunk (WDR) de Cologne, où Herbert Eimert dirige le « Studio de musique électronique » récemment fondé. Année qui marque donc, selon Stockhausen, la « naissance de la musique électronique » .
CONSÉQUENCES (pêle-mêle).
(1) Plutôt que « musique concrète » , Pierre
Schaeffer préférera par la suite « un très ancien
néologisme » (sic) : acousmatique. Schaeffer cite le
Larousse : « Nom donné aux disciples de Pythagore qui,
pendant cinq années, écoutaient ses leçons cachés
derrière un rideau, sans le voir, et en observant le silence le plus
rigoureux. » Ce (paléo)néologisme décrira donc
« un bruit que l'on entend sans voir les causes dont il provient » .
C'est, par excellence, l'expérience du haut-parleur qui donne des
images de son. Schaeffer peut dès lors renvoyer dos à dos
« les deux musiques antagonistes de 1950-1955, la concrète et
l'électronique « : « Toutes deux trop ambitieuses,
dit-il, l'une de songer à conquérir le sonore d'un seul coup,
l'autre de vouloir produire tout le musical par synthèse. »
Ce qui fut d'abord le Club d'essai, puis le Groupe de recherche de musique concrète, perd donc en 1958 ce dernier qualificatif, pour devenir simplement le Groupe de Recherches Musicales (GRM).
(2) En 1954, les démarches de Luciano Berio et Bruno Maderna aboutissent à un « Projet pour la constitution d'un Centre expérimental de recherches radiophoniques » à la RAI de Milan -- centre qui deviendra bientôt le Studio di Fonologia.
Lettres de Maderna à Luigi Rognoni : « Je pense, mais nous en parlerons mieux de vive voix, que nous autres, Italiens, nous pourrions réellement parvenir à une synthèse fructueuse des possibilités des musiques concrètes et de l'elektrische Klangerzeugung » , c'est-à-dire de la production sonore électr(on)ique pratiquée à Cologne. « Nous n'avons besoin que de 4 magnétophones de 4 ou 3 vitesses différentes et d'un générateur que le Studio de Cologne pourrait nous obtenir au maximum pour 5 000 DM... »
(3) Pierre Boulez (lettre à John Cage en 1953) : « Je te raconterai toutes les engueulades que j'ai eues avec Schaeffer : ce serait matière à un énorme in-folio ! [...] Je compte bientôt travailler avec Stockhausen au studio de musique électronique de Radio-Cologne. »
Stockhausen travaille avec le hasard. Celui du Klavierstück XI (1957) : « L'interprète regarde sans intention la feuille de papier et commence par n'importe quel groupe qu'il aperçoit en premier ; il joue celui-ci avec une vitesse au choix [...], et il choisit aussi une intensité de base et une forme d'attaque. Lorsqu'il arrive à la fin du premier groupe, il lit les indications de jeu qui lui font suite quant à la vitesse, l'intensité de base et la forme d'attaque, puis regarde sans intention n'importe lequel des autres groupes, et le joue suivant ces trois indications. »
Boulez travaille avec le hasard. Celui des bifurcations, des itinéraires choisis en suivant le plan (soigneusement tracé) d'une « ville inconnue » .
Boucourechliev travaille avec le hasard. Celui des Archipels (écrits de 1967 à 1971), où « la mobilité de l'oeuvre résulte à la fois de la souplesse interne propre à chaque structure (hauteurs toujours variables, schémas aux durées approximatives, marges de choix de tempi, d'intensités, etc.) et de la libre combinaison des structures entre elles » .
Y aurait-il, par hasard, quelque commune mesure entre ces différentes manières (plus ou moins hospitalières) d'accueillir le hasard ?
(ET Y AURAIT-IL, dans certaines utilisations actuelles du temps réel informatique, comme un écho de ces hasards ? C'est ce que donnerait à penser l'oeuvre de Philippe Manoury, avec ses « partitions virtuelles » qui permettraient de concevoir « une frontière mobile entre composants fixés par la notation et composants en temps réel engendrés par l'interprète » . Il s'agit en effet de détecter, grâce à un appareillage approprié, certaines informations fournies par le jeu de l'interprète. Manoury donne l'exemple de capteurs mesurant l'intensité avec laquelle le pianiste enfonce les touches : plus celle-ci sera grande, plus les voix d'accompagnement générées par le système informatique seront nombreuses. Ainsi, les nuances de l'interprétation sont amplifiées, magnifiées par les variations dans la densité. « Désormais, conclut Manoury, l'interprétation peut faire partie de la composition. » )
SÉQUENCE. Berio parlant de sa troisième Sequenza, et de (la voix de) Cathy Berberian : « [Elle] a été pour moi une sorte de second Studio de phonologie. En effet, Sequenza III est non seulement écrite pour Cathy, mais sur Cathy... Comme on l'a souvent dit déjà, la voix d'un grand chanteur "classique" est un peu comme un instrument précieux que l'on range, après en avoir joué, dans son étui, une voix qui n'a donc rien en commun avec celle dont le même chanteur se sert pour communiquer dans la vie courante. La musique de notre siècle a cherché à assimiler et à contrôler non seulement tous les aspects de la vocalité "classique", mais aussi ceux qui, aussi bien du point de vue acoustique que de celui de la perturbation du message, étaient obligatoirement exclus de la musique tonale. »
MONTAGE. François-Bernard Mâche parlant de Korwar (1972) : « La langue xhosa [...] a emprunté aux langues des Hottentots les phonèmes claquants qu'on appelle des clicks, [produisant] à l'intérieur de la chaîne parlée une sorte de percussion des plus intéressantes, dont on dirait qu'elle appartient à une autre source sonore... Je me suis livré à un montage intercalant entre certaines de ces phrases de courtes sections de bruits percussifs émis par un shama, oiseau qui se retrouve ailleurs dans la même oeuvre. Ces percussions, proches des clicks, introduisent une ambiguïté supplémentaire qui brouille les limites entre l'instrumental et le vocal, entre cri animal et parole humaine... »
(UN TROISIÈME ENCORE. En 1970, Dieter Schnebel compose ses Maulwerke, qu'il décrira plus tard comme « une composition de processus d'émission phonique : mouvements de la langue et des lèvres, de la bouche, travail du larynx -- tout cela nourri par le souffle » .
Et puis tant d'autres. À un certain niveau de généralité, les noms ne semblent être plus que des indices, susceptibles de migrer. C'est cette perte d'ancrage qui attend et inquiète toute tentative de déduction, qui multiplie les remarques et les digressions. C'est ce flottement que l'on retrouvera en quelque sorte généralisé dans une hypothèse finale sur la mondialisation.)
Dès lors, pour créer ce qu'Aperghis appelle le « phrasé » du théâtre musical, « pas de livret mais une partition « : « La partition organise tout. Elle régit les événements principaux et secondaires (leur intensité, leur devenir), les textes abstraits ou porteurs de sens, les éclairages, les gestes. La partition n'ordonne pas seulement le "sonore" mais toutes les composantes de la représentation jusqu'aux comportements, histoires, objets... Ainsi, on l'aura deviné, le Théâtre Musical équivaudrait pour moi à l'envahissement du temple théâtral par le pouvoir abstrait de l'organisation musicale... »
SÉQUENCE KAGEL (à mettre quelque part parmi les précédentes, peut-être en 1964, lorsqu'Aperghis entend Sur scène aux concerts du Domaine musical). Non pas le théâtre musical, mais « un "théâtre instrumental" naissant » , dont Kagel présente en 1963 quelques « éléments constitutifs « : « 1. Le podium sur lequel l'instrumentiste joue ne se distingue théoriquement pas de celui d'un théâtre... 2. Le mouvement est l'élément fondamental du théâtre instrumental... L'idée, c'est de mettre la source sonore dans un état de modification : tourner, voltiger, glisser, cogner, faire de la gymnastique, se promener, remuer, pousser, bref, tout est permis, qui influence le son sur le plan dynamique et rythmique ou qui provoque la naissance de nouveaux sons. »
Et ce théâtre, Kagel le crée même en l'absence d'instrumentistes. C'est alors le concert qui se représente. Ainsi dans Antithese, une pièce de 1962 pour « sons électroniques et publics « : « Les sons électroniques émanent de la scène ; le public sur la bande applaudit et rejette, siffle, excité, et commente à haute voix... Le véritable auditeur de cette oeuvre est déjà largement représenté par le faux... »
(1) En 1968, Steve Reich publie un essai intitulé La Musique comme processus graduel. « Je ne veux pas parler du processus de composition, écrit-il, mais plutôt de morceaux de musique qui sont, littéralement, des processus... Le processus qui consiste en l'utilisation du I Ching ou des imperfections d'une feuille de papier afin de déterminer des paramètres musicaux n'est pas transparent à l'écoute... De la même façon, en musique sérielle, on peut rarement entendre la série elle-même. » Ni Cage, ni Boulez, donc, mais plutôt « certaines musiques modales qui jouissent actuellement d'une certaine popularité, telles que la musique indienne ou le rock "planant"... »
C'est une « comparaison » qui illustre ce qu'il faut entendre par processus : « Mettre une balançoire en mouvement, la lâcher et observer son retour graduel à l'immobilité. » Comme c'est effectivement le cas dans Pendulum Music (1968), pour micros se balançant devant des amplificateurs : « Les exécutants relâchent tous les micros au même moment. On entend alors une série de feedbacks sous forme de pulsations, lesquelles peuvent être ou non à l'unisson, selon le déphasage graduel affectant le balancement des micros. Les exécutants vont alors s'asseoir avec le reste du public pour regarder et écouter le déroulement du processus. »
NOTA BENE. Ce serait donc, à en croire Reich et quelques autres, une tout autre histoire de la musique qui se dessinerait ici -- les §1 à 10 n'étant pour ainsi dire qu'une sombre parenthèse. Lisons : « Sa musique [celle de Schoenberg] (et toute musique qui ressemble à la sienne) habitera toujours une sorte de "petit coin sombre", isolé dans l'histoire de toutes les musiques du Monde... Après Schoenberg, Berg et Webern : une pause, suivie de Stockhausen, Boulez et Berio ; puis vinrent moi-même, Riley, Glass, Young, et d'autres plus tard. Ce groupe de compositeurs récemment apparus, auquel j'appartiens, a engagé quelque chose qui, d'une part, est tout à fait nouveau -- au niveau de la structure musicale de la répétition et de la lenteur du changement harmonique --, et qui, d'autre part, est un processus de restauration. Restauration de la mélodie, du contrepoint et de l'harmonie dans un contexte que l'on peut reconnaître, mais qui est totalement nouveau. Cela ne surprendra personne que cette musique ait été écoutée avec intérêt dans le monde entier, et particulièrement chez les jeunes. Cela ne surprendra non plus personne que cette musique soit née -- au moins partiellement -- en se détournant complètement de Schoenberg et de ses idées. »
(2) L'oeuvre de Brian Ferneyhough est devenue emblématique d'une certaine complexité. Préface à la partition de Cassandra's Dream Song, pour flûte seule (1970) : « Le choix de la notation fut ici principalement dicté par le désir de définir la qualité du son final en la rapportant consciemment au degré de complexité présent dans la partition... La notation ne représente pas le résultat requis : c'est la tentative de réaliser dans la pratique les spécifications écrites qui est destinée à produire la qualité sonore désirée (mais impossible à noter). » Autrement dit, la partition n'existe que dans une distance obstinément maintenue entre la notation et son impossible réalisation instrumentale. L'interprète ne peut que tendre vers celle-ci, mais, précisément, cette tension ne saurait être obtenue par d'autres moyens.
C'est ce que Ferneyhough a pu appeler une « notation paramétrique déconstructive » . En surchargeant délibérément la partition d'« idéogrammes sonores biaisés et violemment contrastés » , le compositeur tente une « déconstruction consciente et systématique » du geste de l'interprète en « constellations de figures sémantiquement mobiles » .
REMARQUE. Sur quelle(s) base(s), sur quelle(s) prémisse(s) décide-t-on de ne retenir que les expériences-touchant-aux-limites ? Et qui plus est : les expériences-touchant-aux-limites-en-les-formulant-explicitement-comme-teles ?
D'autre part : il y a bien d'autres limites 1. que celles du minimalisme et de l'hypercomplexité ; 2. que celles qui ressemblent à des limites. (Indices : Elliott Carter, Franco Donatoni, Heinz Holliger, Emmanuel Nunes...)
SUBSÉQUENCES (sub specie aeternitatis).
En 1968, dans Musik für ein Haus, Stockhausen fait entendre
« les compositions de quatorze auteurs différents,
exécutées simultanément dans quatre salles, pendant
plusieurs heures » . Ainsi, écrit-il, « chaque auditeur va et
vient comme il veut dans le temps, et change librement sa perspective auditive
au sein de la maison » .
Musik für ein Haus prolongeait l'expérience d'Ensemble, autre collection musicale dans laquelle l'écoute plurielle et simultanée créait, selon Stockhausen, « une "verticalisation" de la perception des événements » .
De la maison au parc : en 1971, ce sera Sternklang, véritable Parkmusik « pour cinq groupes de chanteurs et d'instrumentistes très éloignés les uns des autres dans l'espace » . Mais Sternklang vise surtout « l'écoute concentrée dans la méditation et l'immersion de l'individu dans le Tout du cosmos » .
Comme Stockhausen, La Monte Young fonde en 1967 son propre ensemble, baptisé The Theatre of Eternal Music. Et pour ce « théâtre de la musique éternelle » , Young envisage une « maison de rêve » (Dream House) où l'on vit en jouant de la musique (ou inversement). La musique que l'on y joue ou vit, c'est notamment celle de la Tortue, de ses voyages et de ses rêves (The Tortoise, His Dreams and Journeys). Des notes tenues à l'infini, une sorte de bourdon éternel (drone), fait de « sonorités primitives qui ne se souviennent pas d'avoir jamais commencé » .
OBJECTION. Même s'il y a partout à boire et à manger, comment peut-on comparer Stockhausen et La Monte Young ? Peut-être y aurait-il une esquisse de réponse dans l'ouvrage de Wim Mertens, American Minimal Music : « De 1956 à 1958, La Monte Young a écrit de la musique sérielle ; de 1959 à 1961, son oeuvre faisait partie du mouvement Fluxus ; et c'est en 1962 que commence ce que l'on pourrait appeler sa période répétitive. "
Mais ce n'est pas une réponse, dira-t-on, la musique sérielle mène à tout (par exemple à « donner à manger et à boire au piano » dans Piano Piece for David Tudor #1). Pourtant, il y a selon Mertens une « extrême continuité » entre les trois périodes de Young, les oeuvres sérielles annonçant « clairement » (sic) ses compositions ultérieures. Young, assure Mertens, est d'ailleurs « particulièrement intéressé » par Webern.
Comme il le fera plus tard avec des choristes, Ligeti avait ici divisé tout l'orchestre en « voix individuelles » (aucun instrument n'étant donc redoublé par un autre, chacun jouant des lignes strictement différentes). Et cette accumulation quantitative donnait naissance à une nouvelle qualité sonore : « C'est une polyphonie qui n'est plus active en tant que telle, car en elle les voix individuelles ne sont plus perceptibles. Il se crée un timbre qui n'est plus celui de la voix humaine, ni celui des cordes ou des vents, mais une sorte de timbre-mouvement ou de timbre rythmique. » Ainsi, le timbre est la résultante de ce que Ligeti appelle une micropolyphonie, de même que, dans la musique électronique, il est obtenu par l'accumulation de sons purs.
Ligeti suivra bien d'autres voies, mais l'épisode aura eu des CONSÉQUENCES (indirectes).
C'est dans la revue Conséquences que Hugues Dufourt publie un article intitulé Musique spectrale, écrit en 1979. Il constate « un changement d'échelle « : grâce aux perfectionnements des techniques d'observation et de représentation du son, on n'accède pas seulement à ses composantes microscopiques (aux « sons purs » qui forment son spectre acoustique), mais aussi au comportement dynamique de ces composantes.
La musique dite spectrale intégrera donc la nécessité d'une « microanalyse du phénomène sonore » , afin de réaliser une « synthèse instrumentale » des spectres observés. Et dès lors, comme l'écrit Gérard Grisey, « la forme musicale devient la révélation à l'échelle humaine, la projection d'un espace naturel microphonique sur un écran artificiel et imaginaire » . L'orchestre.
« Avec une naissance, une vie et une mort, écrit encore Grisey, le son ressemble à un animal. » Le compositeur rêve dès lors d'une « écologie des sons » , prémisse pour ce qu'un des premiers analystes de la musique spectrale appellera une « conception biomorphe de la musique » . Mais celle-ci est aussi bien technomorphe -- biotechnomorphe, pourrait-on dire. En effet, l'écran orchestral est à la fois « miroir déformant, focalisateur, multiplicateur, sélecteur... » . Et si l'instrumentation recrée volontiers les effets des appareillages de la musique électronique (modulation en anneau, filtrages...), elle accueille aussi, comme le souligne Tristan Murail, « des êtres hybrides et ambigus » issus de l'univers informatique et de ses interpolations.
Enfin, pour la musique spectrale, le son n'est pas une forme, mais un champ de forces, « infiniment mobiles et fluctuantes » . « Par définition, note Grisey, le son est transitoire. » Si bien que l'objet sonore observé et le processus temporel orchestré sont « analogues « : « L'objet sonore n'est qu'un processus contracté, le processus n'est qu'un objet sonore dilaté. »
(Helmut Lachenmann, à propos de la musique spectrale : « Là où la "consonance globale" se fonde sur des systèmes de fréquences et d'intervalles issus des formants "classiques" -- là où elle se souvient en même temps des expériences de l'impressionnisme et du sérialisme --, l'idée d'une musique spectrale me semble se cramponner à une sorte de sécurité magique analogue à celle de la tonalité. Et ainsi, elle me semble être pleine d'éléments merveilleux et intéressants, mais aussi régressifs : l'idée d'un jardin séduisant, où l'on se promène en s'oubliant soi-même. Je suis fasciné, mais je me vois sur un autre chemin (ce que nous aurions peut-être en commun, c'est le même malentendu : ce que Marcel Duchamp, dans la peinture, aurait appelé un art rétinien). »
De temA jusqu'à Accanto, Lachenmann parle volontiers de ses oeuvres comme d'une musique concrète instrumentale : « Le son n'[est] plus compris comme un élément à varier sous l'aspect de l'intervalle, de l'harmonie, du rythme, du timbre, etc., mais avant tout comme le résultat de l'application d'une force mécanique sous des conditions physiques qui sont contrôlables et variables par la composition : le son du violon compris et réglé comme résultat d'une friction caractéristique entre deux objets caractéristiques, comme une version particulière parmi d'autres modes de friction et d'autres objets qui, jusqu'alors, n'appartenaient pas à la pratique philharmonique. Ce qui conduit à l'expérience du bruit et du son dénaturé comme partie intégrante d'un continuum caractéristique. » )
Écoutons-les (un spectre et deux vivants) :
-- Le Requiem pour un jeune poète de Bernd Alois Zimmermann porte comme sous-titre : Lingual, « pièce parlée » . Ce qui, pour Zimmermann, signifiait une sorte de « troisième plan entre parole et musique « : « Choeurs et sons électroniques, bruits et montages se rencontrent sur ce plan, comme le font les collages d'événements politiques, les actions des récitants, les chanteurs solistes, l'ensemble de jazz et l'orchestre. » Écrite entre 1967 et 1969, l'oeuvre se divise en quatre parties. Sur la bande magnétique de la dernière (Dona nobis pacem), on entend (entre autres) : la Neuvième Symphonie de Beethoven, Hey Jude des Beatles, le fragment d'un discours radiodiffusé de Staline au peuple russe (3 juillet 1941), le discours de Goebbels au palais des Sports de Berlin (18 février 1943), des montages de manifestations politiques dans différents pays...
-- Avec certaines pièces de ses Jeux, György Kurtág dit avoir « dépassé le domaine des "objets trouvés", et [être] entré dans celui des "objets volés« ". C'est notamment le cas d'un Hymne apocryphe par Alfred Schnittke.
-- Berio, à propos d'un certain « squelette » dans le troisième mouvement de sa Sinfonia : « Le scherzo de la Deuxième Symphonie de Mahler, un squelette qui réémerge souvent en chair et en os et vêtu de pied en cap, puis disparaît et surgit de nouveau... Mais il n'est jamais seul [traduisons : un spectre n'est jamais seul] : l'accompagne une "histoire de la musique" [notons les guillemets] que lui-même éveille en moi, avec toute la multiplicité de niveaux et de références -- celle du moins que j'ai réussie à contrôler... Le scherzo de la symphonie de Mahler devient donc un générateur de fonctions harmoniques et des références musicales qu'elles impliquent, qui apparaissent, disparaissent, s'engagent dans une autre voie, retournent à Mahler et s'y cachent. Les références à Bach, Brahms, Boulez, Berlioz, Schönberg, Stravinsky, Strauss [tiens, on l'avait oublié aussi], Stockhausen, etc., sont donc également des signaux, des panneaux qui signalent ce pays harmonique que nous sommes en train de traverser, comme des marque-pages, comme ces petits drapeaux que l'on fixe sur une carte géographique... »
DES MARQUE-PAGES, des indices, ici aussi, pour économiser des signes...
D'un essai de Rihm (publié en 1980 dans les Darmstädter Beiträge), ces quelques phrases : « Curieusement, la distance -- comme point de départ, comme effet recherché -- est le propre des concepts classicisants aussi bien que des concepts avant-gardistes. On s'en étonne d'abord, puis, à y réfléchir, on s'aperçoit que la conscience classicisante et la conscience avant-gardiste, en tant que présupposés du travail créateur, sont plutôt des stratégies de disposition et de réaction qu'une authentique invention musicale. Pour être sincère : je préfère qu'un compositeur essaye de parler sans présupposés, même si cela paraît impossible. »
(2) John Adams n'hésite pas à se définir comme « un minimaliste qui en a marre du minimalisme » , voire comme « un postmoderne, plutôt qu'un minimaliste » . Question : « Were you composing atonally ? » Il répond, sans hésiter, qu'il a « toujours eu une orientation tonale » . Toujours. Car ce qu'il appelle « la prédisposition de chacun pour la tonalité ou un autre système d'organisation » ne relève pas d'un « simple choix » ni même d'un « goût acquis « : ça vous appartient de naissance (it's something you were born with), vous vivez tonalement ou pas (you experience life tonally or you don't).
Mais là aussi (comme dans un certain discours sur la musique spectrale ou la répétition), le recours à la catégorie de l'inné ou du naturel va de pair avec une « technophilie » prononcée. « La technologie précède l'invention artistique » , affirme Adams. Ainsi, la guitare électrique « fut inventée avant le rock'n'roll » , de même que c'est le magnétophone qui « suggéra » nombre de procédés compositionnels minimalistes.
Enfin, Adams donne voix à une certaine fatigue : « J'ai tendance à penser, dit-il, que l'évolution stylistique arrive désormais à un point où elle va se reposer un moment (it's going to relax for a while), que les compositeurs vont simplement paître comme du bétail dans un grand pâturage (feed like cattle in a great big pasture)... En ce moment, je ne suis pas très intéressé par la musique contemporaine occidentale (Western art music), je la trouve incroyablement ennuyeuse... » Mais, pour sortir de l'ennui, on peut encore aller voir ailleurs, ou à côté, ou avant : « Je ne me nourris pas seulement de minimalisme, explique Adams, mais aussi de Berg, de Stravinsky, du rock'n'roll, du doo-wop, de la musique arabe et juive. It makes it really fun to compose now... »
(Dans le programme du festival Présences organisé par Radio-France en 1996, Li Xi-An présente le cycle consacré à la nouvelle musique chinoise en ces termes : « Aujourd'hui, la culture mondiale fait coexister l'affirmation des différences individuelles, identitaires, et la recherche d'un fonds commun propre à l'humanité entière. La terre, de plus en plus petite, renforce des échanges et des dialogues multiples... De plus en plus d'artistes réalisent qu'aucune culture nationale ne saurait être reconnue comme une partie de la culture mondiale sans se fondre, s'intégrer aux tendances mondiales... » )
(2) « Pour sortir de l'avant-garde » , il y aurait une « voie » . Que tente de frayer Marc-André Dalbavie avec ce qu'il appelle la « conquête progressive » d'un élément « à part « : le timbre. Dans Pour sortir de l'avant-garde, il s'attarde donc à des moments singuliers (Farben de Schoenberg, le prélude de L'Or du Rhin de Wagner) au sein d'un vaste procès, qui « absorbe » aussi le « bouleversement technologique contemporain » . Car ses derniers jalons, Dalbavie les pose notamment avec les oeuvres récentes de Kaija Saariaho, pour y souligner le rôle des analyses et des filtrages numériques dans le jeu entre « fusion » et « fission » des composantes sonores. Il y aurait là, après la musique spectrale, ce que Dalbavie appelle une « phase ultérieure » , à laquelle l'ordinateur « correspond » . Dans les microphonies des timbres, l'infographie intègre en effet « la puissance de l'écriture comme opérateur » .
(3) Magnus Lindberg dit rechercher la « confrontation d'esthétiques différentes » . À propos d'une oeuvre de 1992, pour clarinette, violoncelle et ensemble, il écrit ainsi : « Le style est un aspect de l'écriture musicale auquel j'ai accordé beaucoup d'attention ces dernières années. Duo concertante comprend d'étranges scherzos, des passages d'un sérialisme pur et dur, des effets propres à la musique spectrale, et même des approches minimalistes. » Mais il ajoute aussitôt : « Le pluralisme n'est pas nécessairement intéressant en soi ; pour moi, il s'agit plutôt d'une écriture kaléidoscopique, créant un maximum de variété à partir d'un matériau musical assez limité. »
Dans Joy (1990, pour grand ensemble et électronique), il superpose « des accords spectraux et des accords symétriques » , afin de travailler l'harmonie soit dans le sens de la continuité, soit dans le sens du changement abrupt. Et il y voit « une analogie avec l'harmonie fonctionnelle de la musique tonale » . Mais là aussi, Lindberg précise qu'il travaille « avec des concepts comparables -- mais non identiques -- à ceux de la pensée tonale » .
(4) Pascal Dusapin le rappelle aussi : « Il ne faut pas perdre de vue ce que recouvre le mot avant-garde. C'est un terme utilisé par les militaires... » Et Dusapin décrit « les systèmes en vigueur dans la création artistique depuis les années cinquante » comme générant un mouvement de « recul vers l'avenir » . Vers l'avenir comme « enjeu théorique et dogmatique » .
Dusapin dit qu'il « lutte pour rester dans le présent » et il parle de sa musique en termes de mouvement, de conjonction ou encore d'énergie. Hop est un titre emprunté à Beckett, pour dire la « ligne qui se brise en permanence » , les coudes. Car Dusapin, lecteur du Rhizome de Deleuze et Guattari, est à l'écoute d'un « devenir multiple, fugace » .
(5) Plutôt que par le développement d'un matériau abstrait (« pré-compositionnel » ), Marco Stroppa se dit sollicité en premier lieu par la naissance d'un « organisme d'information musicale » (Organismo di Informazione Musicale). Et dans ce moment historique où, pour lui comme pour tant d'autres, « les langages et les modèles communs » font défaut, Stroppa développe avec conséquence son paradigme biologique : ses organismes sont actifs, ils ont une durée de vie, une évolution. Et si chacun d'eux est à lui seul une véritable société microscopique, le compositeur n'envisage pas pour autant cette « activité interne » de manière analytique : l'identité d'un tel organisme est un fait global (holistic) qui tient à des comportements (behaviors).
Ce paradigme informe nombre de techniques d'écriture mises en oeuvre par Stroppa. Ainsi, tel ou tel élément musical subira des expansions locales en forme de « tumeurs » , des « proliférations anormales » (une structure verticale qui se gonfle en cluster, par exemple). On assiste également à des phénomènes de parasitisme musical : ce sont parfois des virus qui affectent, de manière sélective ou non, un organisme donné.
POST-SCRIPTUM.
Les textes que Benedict Mason a lui-même écrits pour ses Self-referential songs and realistic virelais sont « délibérément (et parfois ironiquement) liés à ce qui arrive dans la musique » . La soprano chante « une note de programme sur la texture instrumentale » , des onomatopées, ou encore des « questions d'harmonie » , ou enfin, en ancien français, « un texte sur l'acte même de noter la musique » . Et avec ces phrases choisies pour leur valeur « documentaire » , le compositeur renverse la situation traditionnelle où la musique figure (peint) les mots. Reverse word-painting, dit-il, en constatant que l'autoréférence est omniprésente.
Dès lors, il est difficile de savoir -- ici, ici-même et en ce moment -- si c'est le texte qui lit la musique ou la musique qui lit le texte.
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