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Vers les studios en ligne -
L'Ircam sur les autoroutes de l'information

Peter Szendy

Résonance n° 11, janvier 1997
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Le 23 octobre 1994, le ministère de l'Industrie lançait un appel d'offres pour les « autoroutes de l'information » . L'Ircam, avec le soutien de la mission Recherche et technologie du ministère de la Culture, y a répondu à sa manière, par deux propositions : le projet Studio en ligne et le projet Serveur musical. Les expérimentations menées dans ce cadre jusqu'en 1998 préfigurent sans doute les modes d'accès futurs aux outils de création sonore et au patrimoine musical. Se dirigerait-on vers le télétravail des compositeurs, ainsi que vers de nouvelles pratiques mélomanes ?

L'Ircam existe sur l'Internet depuis 1989. Il s'agissait surtout, à l'époque, de faciliter l'échange de documents scientifiques entre chercheurs, via le protocole FTP (File Transfer Protocol). Mis en place pour les journées portes ouvertes de 1994, l'actuel site Web (http://www.ircam.fr) a constitué un premier organe officiel de communication sur le réseau. On y trouve réunis un historique de l'Institut, une présentation de ses activités et réalisations, ainsi qu'un calendrier des concerts et manifestations de la saison.

Parmi les réalisations présentées, il en est une, toutefois, qui semble vouée à un développement et à une existence autonomes, dans la mesure où elle préfigure vraisemblablement le mode d'accès futur aux outils de la création sonore. Il s'agit d'une esquisse de maquette, illustrant quelques possibilités parmi beaucoup d'autres du projet Studio en ligne.

Un serveur de sons et de traitement du son

Voici donc une page d'écran, avec du texte, des menus déroulants, des boutons, des liens. On choisit un son, le logiciel de navigation charge le fichier correspondant et le lit. C'est une clarinette basse, à laquelle on peut maintenant faire subir diverses transformations. On entre par exemple un facteur de dilatation. (un chiffre de 1 à 5). Le même son se fera entendre, mais étiré dans le temps en chacun de ses moments : l'attaque - ce bref instant qui contribue tant à définir l'identité du son - devient une longue transition ; elle va du souffle vers une couleur boisée et cuivrée que l'on finit par reconnaître comme étant celle de la clarinette basse initiale.

Pour ceux qui sont familiers des outils d'infographie sonore, une telle transformation n'est pas une nouveauté. Mais de pouvoir l'effectuer en ligne, simplement en étant relié au serveur de l'Ircam à partir de n'importe quelle connexion dans le monde - il y a là le germe d'une petite révolution dans l'organisation du travail de création sonore.

C'est sans doute pourquoi Studio en ligne a été retenu dans les cent soixante-dix premiers projets répondant à l'appel d'offres pour les « autoroutes de l'information », lancé par le ministère de l'Industrie le 23 octobre 1994. Cet appel d'offres visait à « encourager la mise en oeuvre d'expérimentations en vraie grandeur » en vue d'un « objectif national » fixé pour 2015 : la « couverture progressive du territoire » par ces « réseaux interactifs à haut débit », couramment baptisés « autoroutes de l'information ».

Le son des autoroutes de l'information

Le projet Studio en ligne est donc l'anticipation expérimentale d'un certain nombre de services payants liés à la création sonore, accessibles à distance par une connexion en réseau. L'utilisateur devrait ainsi, à terme, disposer d'un catalogue d'échantillons sonores qu'il pourra télécharger instantanément. Ces sons qu'il s'apprête à utiliser chez lui ou dans tel studio connecté au réseau, il aura pu les rechercher et les sélectionner selon différents critères : leur mode de production physique (corde frottée, percussion...), l'analyse de leurs paramètres... Comparée aux CD-Rom qui actuellement proposent ce type d'échantillons, la base de donnée en ligne est donc un outil de recherche structuré qui peut être enrichi au fil des consultations.

Mais, outre cette palette de sons (constituée à partir d'une vaste campagne d'enregistrements de haute qualité, réalisés pour certains en chambre sourde et disponibles sous des formats multiples), le musicien aura à sa disposition un ensemble d'outils pour le traitement des échantillons qui lui sont proposés ou qu'il apportera lui-même : il pourra les filtrer, les transposer, les dilater et les compresser, supprimer les bruits indésirables, ajouter divers effets ou réaliser un morphing, c'est-à-dire une déformation graduelle d'un son vers un autre ; il pourra également fabriquer ses sons sans référence à des échantillons constitués, au moyen de diverses techniques de synthèse ; il pourra enfin simuler non seulement des acoustiques données (celle de la Philharmonie de Berlin, celle de la Scala ou du Théâtre des Champs-Elysées), mais aussi des positions et des déplacements dans un espace sonore virtuel.

Avec tous ces services, Studio en ligne entend répondre à des besoins professionnels diversifiés, la tendance générale étant au partage des ressources. Le projet s'adresse donc aux musiciens disposant d'un studio personnel (home studio), mais aussi aux studios d'enregistrement, de mixage ou de bruitage. Il répond également à des demandes émanant de radios locales, de producteurs multimédia de laboratoires d'acoustique, de conservatoires et de centres de formation aux métiers du son. Enfin, si les applications de réalité virtuelle devraient bénéficier tout particulièrement des simulations acoustiques portant sur la localisation des sons, les utilisations live ne sont pas à exclure, une régie pouvant être connectée au réseau depuis le lieu d'un spectacle...

La bibliothèque musicale du futur

Parallèlement à Studio en ligne, une autre proposition de l'Ircam portant sur les usages musicaux des « autoroutes de l'information » a été labellisée « d'intérêt national » par le ministère de l'Industrie. Ce second projet, baptisé Serveur musical, s'inscrit dans la continuité du dispositif équipant la médiathèque de l'Ircam. Si le catalogue de celle-ci est aujourd'hui consultable sur l'Internet (http://mediatheque.ircam.fr), il faudra sans doute attendre quelques années (ainsi que des solutions juridiques et techniques adaptées) avant de pouvoir accéder, sur des réseaux privés ou publics, aux documents textuels, visuels et sonores eux-mêmes. C'est à expérimenter ce type d'accès que vise donc le projet Serveur musical ; en cela, il rejoint d'autres expériences actuellement en cours dans d'autres pays : le département de musique de l'université McGill travaille à un projet qui, pour être centré sur la musique canadienne, ne s'en intitule pas moins The Music Library of the Future...

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