IRCAM - Centre PompidouServeur © IRCAM - CENTRE POMPIDOU 1996-2005.
Tous droits réservés pour tous pays. All rights reserved.

Danse et design sonore
François Raffinot et Louis Dandrel rejoignent l'Ircam

Peter Szendy

Résonance n° 15, juin 1999
Copyright © Ircam - Centre Georges-Pompidou 1999

En janvier 1999, le chorégraphe François Raffinot était nommé à la tête d'une nouvelle structure au sein de l'Ircam : le département de création chorégraphique. Une manière, pour le directeur de l'Ircam, Laurent Bayle, de « rappeler aux compositeurs que leurs oeuvres peuvent s'associer à d'autres formes d'art ». Inscrire une volonté d'ouverture dans les structures mêmes d'un institut de recherche et de création musicales : tel est aussi le sens de la venue de Louis Dandrel, principal représentant du design sonore en France, qui rejoint l'Ircam après avoir dirigé l'association Espaces nouveaux.

Pourquoi la danse ? Pouquoi le design sonore ?

Si l'arrivée à l'Ircam de ces disciplines n'a ni tout à fait les mêmes motivations, ni les mêmes enjeux, elles engagent toutes deux une ouverture que l'on peut mettre, jusqu'à un certain point, en parallèle. « Historiquement, la musique a toujours été le centre dramatique des expressions artistiques », rappelle Laurent Bayle. « Avec le théâtre, elle a donné l'opéra. La danse est née de la musique, elle l'illustrait. » Or, le XXe siècle -- malgré des collaborations exemplaires autour des Ballets russes, malgré la légendaire association entre un John Cage et un Merce Cunningham -- fait figure de rupture ; la danse affirme essentiellement son autonomie face à la musique : « Les chorégraphes ont utilisé celle-ci de façon environnementale en travaillant avec des bandes-son ou avec des montages de musiques issues du patrimoine... quand ils ne lui préféraient pas tout simplement le silence. » Il s'agissait donc, pour le directeur de l'Ircam, de « retisser les liens entre danse et musique contemporaines, des liens distendus par la spécialisation inhérente à toute discipline ».

On pourrait retracer une généalogie semblable pour les liens entre la musique et ses fonctions. Si, historiquement, l'oeuvre musicale a longtemps été fonctionnelle (musique de danse, musique religieuse, « signalétique sonore » de la chasse ou des cris de marchands ambulants), elle s'est peu à peu affirmée dans son statut d'oeuvre autonome, notamment face à l'industrialisation naissante. Indifférence conquise de haute lutte, que l'industrie lui rend bien : quelle firme songerait à faire appel, aujourd'hui, aux services d'un musicien pour penser la sonorité d'un objet fabriqué en série ?

Une rencontre

C'est une rencontre qui est à l'origine de la venue de la danse à l'Ircam : « En 1998, raconte Laurent Bayle, je suis allé voir Rift, un ballet de François Raffinot sur des musiques de Philippe Hurel et György Ligeti. » Mais il s'agissait... d'une bande-son. D'où la proposition de reprendre le spectacle « avec, cette fois, des musiciens sur scène ». À partir de là, séduit par une certain équilibre « entre expressivité et formalisme » (lire l'entretien avec François Raffinot dans Résonance n° 14), le directeur de l'Ircam propose au chorégraphe et à quelques-uns des danseurs de sa compagnie de mettre en place un « département de création chorégraphique ». Les danseurs auront à leur disposition un lieu de répétition proche de l'Ircam, et le projet d'ensemble est subventionné dans le cadre d'une convention établie pour deux ans avec la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS).

Le festival Agora 99 présentera le premier fruit de cette initiative : on pourra y voir Play-back, une chorégraphie de François Raffinot sur une musique composée pour l'occasion par Edmund Campion, ainsi que d'autres spectacles de danse signés Susan Buirge ou Karine Saporta. Mais outre les commandes, réalisées à l'Ircam, il s'agira d'inscrire le projet dans des activités de recherche et de pédagogie, en s'attachant à l'histoire des rapports musique-danse, mais aussi à la fonction du geste et de la notation dans ces deux disciplines.

La voix des choses

Dans l'exposition Design, miroir du siècle, conçue en 1993 par Sylvain Dubuisson au Grand Palais, le public se déplaçait entre des objets anciens et nouveaux, dont certains faisaient entendre une sorte de plainte venue d'un autre âge. Restituer la « voix » d'objets devenus muets (comme d'anciennes machines à coudre hors d'usage), telle était donc ici la tâche du « designer sonore » : Louis Dandrel.

Comme le rappelait celui-ci à cette occasion (1), « Le révélateur du design sonore est [...] le cinéma ». Dandrel montre en effet, exemples à l'appui et non sans un certain humour, que le bruit « naturel » d'un objet ne passe généralement pas à l'écran. Avant de bruiter une scène de duel dans un western, le son d'un revolver tirant une balle doit subir plusieurs transformations : tel qu'en lui-même, il n'impressionerait personne. C'est là l'espace de travail du « bruiteur », ou encore du sonic designer, au cinéma.

Mais la conclusion que tire Dandrel de cette inadéquation des bruits à « leurs » choses est tout autre : « La réalité quotidienne, écrit-il, est hélas très en retard sur le cinéma ». Dandrel, en effet, déplore un état de fait qui perdure depuis l'acte de naissance du design au début du siècle : à savoir l'absence quasi totale de collaboration entre l'industrie et des musiciens. Témoin, selon Dandrel, ce « ratage esthétique » que représente encore la sonnerie de la plupart de nos téléphones.

Des corn-flakes à la synthèse sonore

Certains fabriquants, pourtant, ont su être sensible à la dimension auditive de leurs produits. Dandrel cite le cas des briquets Dupont, dotés d'un beau son cristallin à l'ouverture ou d'un « cloc » soigneusement travaillé à la fermeture. Cette signature sonore des choses devient même parfois un véritable enjeu commercial. Tel industriel japonais a pu récemment tenter de copier le son d'un moteur de Harley Davidson, l'affaire aboutissant dès lors devant les tribunaux. De même, l'industrie agroalimentaire étudie de près, et avec le plus grand sérieux, l'« indice de croustillance » des corn-flakes et autres flocons immergés dans du lait. Mais c'est sans doute l'industrie automobile qui, selon Dandrel, a été la « pionnière » dans le domaine du design sonore : Renault fait appel à de véritables « luthiers » de la portière pour redonner aux voitures bon marché quelque chose des graves et de la « chair » des modèles plus luxueux. C'est donc avec ces préoccupations que Louis Dandrel (« L'ouïe Dandrel », selon le bon mot d'un journaliste) rejoint l'Ircam, pour y diriger une équipe spécialisée en design sonore. Cette équipe, qui sera intégrée au pôle « Acoustique » du département de recherche et de développement, travaillera en étroite collaboration avec le secteur scientifique. Elle bénéficiera d'une subvention spécifique de la DMDTS ; elle interviendra, selon les termes de la convention passée par l'Ircam, à la fois dans « la conception et la réalisation de l'environnement sonore de lieux publics ou privés » et dans « le conseil pour la conception de produits industriels ».

Les deux axes majeurs de cette collaboration seront, dans l'immédiat : le développement du Spatialisateur (un logiciel de simulation d'acoustiques virtuelles, dont la mise au point avait déjà réuni l'Ircam et l'association Espaces nouveaux que dirigeait Louis Dandrel) ; et la diversification du logiciel Modalys, dédié à la synthèse des sons par modèles physiques (sons frottés, pincés, etc.). Les développements à venir du Spatialisateur devraient permettre d'étendre son usage, au-delà de la situation de concert, à la simulation d'espaces ouverts, notamment des sites urbain. Quant à Modalys, il s'agirait d'y inclure des types d'actions sonores que l'on rencontre plus souvent dans l'industrie que dans le monde musical (frottements visqueux, chocs divers...). Enfin, comme pour le département de création chorégraphique, l'Ircam cherchera à intégrer le design sonore dans ses activités pédagogiques, en proposant à des professionnels de la musique et du son une formation appliquée.

Note

(1) « La voix des choses », dans Design, miroir du siècle, catalogue de l'exposition au Grand Palais, Flammarion, 1993. De Louis Dandrel, on pourra lire également : « La ville écoute », dans Résonance, n° 2, 1992.

____________________________
Server © IRCAM-CGP, 1996-2008 - file updated on .

____________________________
Serveur © IRCAM-CGP, 1996-2008 - document mis à jour le .