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Les Cahiers de l'Ircam: Compositeurs d'aujourd'hui: Marc-André Dalbavie, 2, avril 1993
Copyright © Ircam - Centre Georges-Pompidou 1993
Hormis l'influence des compositeurs, quel sont les artistes qui ont le plus profondément marqué votre imagination musicale?
En 1980, je suis allé à Londres pour travailler avec John Cage
et, en fait, j'y ai découvert la danse et Merce Cunningham. C'est ma
première grande émotion esthétique qui ne soit pas
liée à l'écoute de la musique classique. Je me souviens
notamment d'une chorégraphie filmée intitulée Torse.
L'espace de la scène était totalement utilisé par les
danseurs et ceux-ci, filmés par trois caméras, voyaient leurs
mouvements projetés sur deux écrans. L'espace était
cassé par la projection et par la chorégraphie. En plus, il y
avait des effets d'échos, des groupes séparés, où
le geste d'une danseuse était repris par les danseurs de l'autre groupe,
comme une contamination de mouvements. Ou de réelles polyphonies:
là aussi, deux groupes de danseurs, séparés dans l'espace,
qui ont une danse autonome et qui, tout à coup, se rejoignent, donnant
naissance à une nouvelle figure. Je me souviens aussi d'un pas de deux
développé selon deux tempi différents: la danseuse allait
très lentement et avec des gestes continus, alors que ceux du danseur
étaient saccadés, cassés et très rapides.
Ce travail sur la polyphonie et l'éclatement de l'espace était
absolument nouveau pour moi. Cette découverte a laissé
énormément de traces dans mon propre travail.
Que pensez-vous de la relation aléatoire qu'ont dans les spectacles de Cage et Cunningham la danse et la musique?
C'est une véritable révolution artistique! Ils ont
découvert l'un des grands enjeux de l'avenir. Jusqu'à eux, le
rapport entre les arts était avant tout d'ordre hiérarchique.
Considérez l'opéra: vous avez d'abord une histoire et, à
partir de ce noyau, une hiérarchie d'interprétations. En premier
lieu, le librettiste qui adapte le sujet, puis le compositeur qui compose
à partir du livret - non de l'histoire, notez bien, mais du livret qui
est déjà une extrapolation -, viennent ensuite le metteur en
scène (autrefois le chef d'orchestre) qui donne sa propre lecture de la
musique, ainsi que, en fin de course, les acteurs, les chanteurs et les
musiciens, qui auront à exprimer le vouloir du metteur en scène.
Il y a donc une chaîne interprétative entre l'histoire et le
spectacle final de manière que les éléments de l'histoire
soient dramatisés à l'extrême.
Qu'est-ce qui a changé avec Cage et Cunningham? C'est la rupture de
cette hiérarchie. Le lien entre ces deux artistes est un rapport
d'instants. Qu'à un moment donné l'ensemble fonctionne ou non
n'est pas l'essentiel. Ce qui est fondamental est que les arts ne
s'interprètent plus réciproquement; qu'ils sont mis en relation
de friction et non de dépendance. La tension de leurs spectacles
naissait de cette relation. Les minimalistes en ont repris l'idée.
D'un point de vue sociologique, il est assez normal que cela soit né aux
Etats-Unis, et principalement à New York, où le choc des cultures
dépasse les problèmes de hiérarchie. L'opéra
classique, avec son idée centrale et sa cascade
d'interprétations, reflète bien la pyramide sociale de l'Europe.
Mais pourquoi voudriez-vous que les Américains emploient cette forme
mimétique, alors que leur société est une
société de flux culturels, qui n'ont pas les mêmes vitesses
ni les mêmes valeurs, où parfois existent des points de rencontre
et de tension, mais où l'organisation hiérarchique
générale ne constitue pas la principale raison de conflit! C'est
peut-être ceci qui m'a marqué, plus que Torse lui-même:
l'idée que l'on pouvait se passer d'une histoire centrale à
partir de laquelle tout s'organise.
Retrouve-t-on ce principe dans vos oeuvres?
Peut-être pas jusqu'à présent. Mais c'est la direction
d'une oeuvre scénique que j'écris actuellement en collaboration
avec Guy Lelong, pour le texte, et Patrice Hamel, pour la mise en scène.
Dans ce spectacle (le terme d'opéra ne convient plus), il n'y aura pas
d'histoire centrale organisant l'oeuvre, pas de livret préalable ni de
thématique générale, comme le réclament encore
systématiquement les maisons d'opéra (ce qui justement maintient
artificiellement le genre). C'est un travail d'équipe, sans
prédominance d'un art, où l'histoire ne sera qu'un
élément limité et local.
En revanche, à la différence du couple Cage-Cunningham, nous ne
laissons pas au hasard les rapports entre nos travaux respectifs. Au contraire,
nous tentons de cerner ce qui d'un art à l'autre pourrait être en
rapport, quelles formes pourraient s'appliquer à la musique aussi bien
qu'au texte, à la mise en scène et à la
chorégraphie. Nous en sommes à la phase de définition des
rapports entre texte, musique et scène, pas encore à
l'écriture proprement dite, mais nous tenons déjà notre
idée générale, celle qui va donner son unité au
spectacle. C'est un principe d'ailleurs qui vient de la musique spectrale:
celui de l'interpolation. Il s'agit de la transformation d'un objet en un
autre, de manière progressive, continue, sans états
intermédiaires perceptibles en tant que tels. Interpolation est le terme
employé quand on parle du principe, sur le plan perceptif, l'effet est
celui d'une métamorphose. Que cette métamorphose soit lente ou
rapide n'est pas le problème, c'est la continuité de la
transformation qui est caractéristique de l'effet.
La plupart des oeuvres de musique spectrale de première
génération, de compositeurs comme Gérard Grisey ou Tristan
Murail, sont écrites selon ce principe d'harmonies (ou de timbres) qui
se déforment insensiblement jusqu'à se stabiliser en un nouvel
état harmonique. Avec Guy Lelong et Patrice Hamel, nous
réfléchissons à ce qui peut être transposé
à la poésie ou à la mise en scène. Par exemple, si
je veux réaliser certaines interpolations, nous nous demandons comment
trouver leurs correspondances scéniques ou littéraires. Comment
transformer des gestes, faire évoluer l'occupation de l'espace?
Qu'est-ce qu'une interpolation d'une histoire dans une autre? Ou une
interpolation métrique du poème?... Toute une réflexion
qui demande à être formalisée parce qu'en ce domaine, du
fait de l'acquis spectral, la musique est un peu en avance.
Justement, votre projet ne va-t-il pas imposer au texte et à la mise en
scène un principe d'organisation formelle issue de la musique et qui n'a
de sens que pour les sons? N'est-ce pas aussi rétablir une autre
hiérarchie dans laquelle le livret est sous la dépendance de
l'évolution temporelle de la musique?
Je ne crois pas que le principe d'interpolation sur lequel nous travaillons
actuellement soit un procédé spécifiquement musical. C'est
un principe fédérateur, c'est pourquoi nous l'avons choisi. J'ai
donné l'exemple de la musique spectrale car c'est le plus proche de moi,
mais l'interpolation a été inventée par les
créateurs des images de synthèse. A l'origine, c'est un effet
visuel, que la musique s'est approprié. N'est-ce pas d'ailleurs un bon
exemple pour comprendre, de façon perceptible, ce qu'est une
interpolation? Ces recherches en images de synthèse ont eu beaucoup de
retombées commerciales et, aujourd'hui, les génériques de
télévision utilisent des effets spéciaux reposant sur
l'interpolation: par exemple, un ballon de foot se transforme progressivement
en vélo, puis ce vélo en chronomètre, etc.
Dans notre spectacle, elle sera utilisée à plusieurs niveaux. La
totalité du spectacle sera une longue métamorphose,
commençant par une pièce de théâtre, avec
présentation de l'histoire, de l'intrigue, un jeu
néo-réaliste, et finissant par une chorégraphie pure,
abstraite. Le passage d'un genre à l'autre, du théâtre
narratif sans musique à la danse accompagnée par l'orchestre, se
fera progressivement, d'abord par le dérèglement des gestes des
acteurs qui n'auront plus de rapport direct avec les mots, le texte
lui-même prendra son indépendance de l'histoire qu'il est
censé contenir, puis le chant contaminera doucement la parole
jusqu'à la remplacer et, enfin, les instruments se substitueront
à la voix pour rythmer les mouvements des acteurs, transformés en
danseurs muets. On sera passé progressivement de la parole à la
musique, de la narration à l'abstraction.
Ce qui m'intéresse dans cette idée c'est que, à partir
d'une réflexion sur la perception des objets, on aboutisse à une
forme. C'est la forme de notre spectacle qui va imposer son histoire et, si
j'ose dire, qui en sera le thème.
Rendre la forme sensible est votre préoccupation majeure?
Tout à fait. Quel que soit le degré d'abstraction atteint par le travail formel, la construction doit aider la perception du contenu de l'oeuvre, non s'y opposer. Aussi je considère que les plus grands chefs-d'oeuvre de l'histoire de la musique sont les plus abstraits, les quatuors de Beethoven, les fugues de Bach, les variations..., mais il n'y a pas contradiction entre forme et matériau. Il y a un équilibre à maintenir. Que la forme, aussi élaborée soit-elle, reste la servante de la réalité perceptive des sons. Que le contenu sonore des objets musicaux, si forts et prégnants fussent-il, puisse être soumis à des manipulations formelles. C'est par réaction à une certaine dérive uniquement formaliste de la musique contemporaine, par exemple à la suite de Brian Ferneyhough, que j'en suis venu à la musique spectrale. La musique qui a baigné mes débuts de musicien est, comme pour tous ceux de ma génération, la musique post-sérielle. Dans cet environnement, l'audition de Partiels de Gérard Grisey a été un choc. Cette oeuvre remettait enfin le son au centre de la musique, et la perception au sommet des préoccupations du compositeur.
Mais, d'une certaine manière, la musique spectrale en laissant évoluer de beaux sons, même par interpolation, a évacué le problème de leur mise en forme...
Au début, la musique spectrale fonctionnait sur une concordance entre le processus et la perception, elle était donc très linéaire, contraire à l'idée de polyphonie, de rupture formelle. Et moi, c'est la polyphonie qui m'intéressait... Mais c'est une étape qui a été dépassée par tous les compositeurs de musique spectrale. Pour ma part, voulant des formes plus complexes, j'ai résolu ce problème ainsi: les objets musicaux tels que je les construis sont d'origine spectrale, génétiquement. Ce que j'en fais est un travail formel qui, tout en s'éloignant de l'origine des objets, cherche à obéir tout de même à leur logique sonore. J'écris uniquement avec la notion de processus, et de processus en tant que phénomène perceptible. C'est quand je superpose des processus différents et que j'essaye de créer des relations polyphoniques entre eux que je ne respecte plus la simple linéarité du déroulement du son et m'autorise une plus grande liberté formelle. Cela entraîne des ruptures dans le discours, que l'auditeur perçoit comme un processus à plus grande échelle, un processus d'organisation.
A l'opposé, une trop grande attention à la forme ne conduit-elle pas à l'académisme?
Non! L'académisme apparaît quand l'attention à la forme se
focalise sur des règles conventionnelles. Mais, lorsque l'on invente des
règles nouvelles, on peut être extrêmement formaliste tout
en restant très personnel et absolument pas académique. Le
problème de l'académisme n'est pas lié au formalisme,
c'est une question de manque d'imagination et d'utilisation de règles
vidées de leur substance. Ceux qui prennent des règles classiques
parce qu'elles sont classiques, et bien qu'ils n'aient rien à leur faire
dire, sont académiques. A ce sujet, Paul Valéry, l'un de mes
poètes de prédilection, n'est pas académique, bien qu'on
l'en soupçonne: il a poussé tellement loin sa recherche
formelle...
D'une manière générale d'ailleurs, mes goûts
littéraires sont en phase avec mes penchants musicaux. Là aussi,
je suis sensible avant tout au son ou à la forme et à leur
synthèse dans une même oeuvre. Donc à ces deux
extrêmes poétiques: le formalisme de la poésie de
Valéry par exemple ou, au contraire, l'oralité de la
poésie sonore de Bernard Heidsieck. En revanche, la poésie
expressive, qui raconte une histoire, où le sens est dominant,
fût-il obscur, hermétique, comme chez René Char, me laisse
indifférent. Je pourrais citer encore, parmi ceux que j'aime, Jacques
Roubaud et, bien sûr, Mallarmé. Ou, dans un domaine
différent mais tout aussi élaboré, le travail formel de
Claude Simon ou l'écriture de Flaubert. Sa très grande attention
à ne jamais repéter une même structure syntaxique de phrase
en phrase donne une merveilleuse fluidité à sa langue. Tous ces
écrivains ont tellement travaillé l'écriture qu'ils
atteignent à l'unité de la forme et du fond. Ce qui relève
de l'un ou de l'autre devient indiscernable. Et c'est pour moi la
définition même de l'art, ce qui le différencie de toutes
les autres activités humaines: l'émergence d'un message
sensible, qui n'est pas subordonné aux messages dénotés ou
connotés. Ce qui me fascine, par exemple, dans la grande Messe en si de
Jean-Sébastien Bach, c'est l'alchimie musicale, avant même de
connaître son message religieux (message dénoté) et son
contexte historique (message connoté). C'est cette structure sensible
qui opère cette unité.
Parmi les compositeurs spectraux, vous êtes le seul à avoir tant composé pour la voix.
Pourtant, je ne suis pas un amateur de musique vocale qui ne pense que lied ou
opéra... L'introduction de la voix dans ma musique n'est pas le fait
d'un penchant immodéré, mais d'une réflexion et d'un
défi. Tout a commencé lorsque j'ai écrit Diadèmes.
A un moment de ma pièce, je me suis retrouvé avec un instrument
solo, mélodique, un alto, dans une section qui, de ce fait, devenait
contradictoire avec les principes de l'orthodoxie spectrale. Je me suis
aperçu que, si l'on voulait écrire une forme concertante,
l'écriture spectrale devenait une gêne. On est alors coincé
entre ce système qui prône la fusion instrumentale et la
nécessaire séparation du soliste et de l'ensemble qui est
caractéristique de la forme concertante. Cela m'a posé
d'importants problèmes car que pouvait jouer l'alto dans ce contexte?
Une question plus générale était
posée aussi: jusqu'où va le domaine où la technique
spectrale est utile?
Avec la voix cela paraît pire, on est confronté à tous les
problèmes essentiels de la musique moderne. Et le compositeur de musique
spectrale plus qu'un autre (ce pourquoi il l'évite). Aussi, j'ai
abordé ces problèmes progressivement. D'abord dans Instances
où je n'ai pas utilisé la voix soliste mais un choeur, du fait de
sa masse qui me permettait d'employer quelques-uns des procédés
spectraux que j'avais élaborés. Puis dans Seuils, pour soprano et
ensemble avec électronique. Car la voix est mélodique et chaque
intervalle y possède une couleur très particulière,
beaucoup plus spécifique que par le jeu d'un instrument où ces
couleurs sont neutralisées. D'une mélodie jouée à
la flûte ou à la clarinette, on retiendra le contour, mais chaque
intervalle aura été intégré, égalisé
dans la forme générale. Chanté, chaque intervalle de cette
même mélodie aura sa propre couleur et sera perçu comme
autonome. Selon que l'on écrive des mélodies vocales conjointes
ou disjointes, c'est le jour et la nuit. Aussi, il faut choisir chaque
intervalle moins selon des impératifs spectraux que pour obéir
à leur couleur vocale. L'idée et les outils de la musique
spectrale n'ont plus cours ici. Pourtant, la voix a un grand avantage sur tous
les instruments mélodiques: son timbre est immédiatement
identifiable, c'est le plus facilement repérable et donc
mémorisable. Avec la voix, on peut jouer sur les
phénomènes de mémoire. Se servir de son timbre presque
comme d'un thème.
Dans un premier temps, relativement à la musique sérielle, la musique spectrale a réintroduit la notion d'harmonie, de consonance. Cherchez-vous aujourd'hui à trouver un substitut au thème?
Je ne reviens pas à l'idée classique du thème, car qui dit
thème dit développement et tous ses procédés
d'école. Mais il faut travailler avec la mémoire. Si je veux que
mes processus s'entendent, qu'on en perçoive les métamorphoses,
les transformations, les destructions, il faut qu'à un moment ils soient
mémorisés. C'est la vieille idée de Schoenberg qui,
après avoir éliminé le thématisme par la variation
continue, a tenté de lui substituer une nouvelle Gestalt, à
partir du timbre ou du son. De tous les timbres, la voix est le plus
identitaire, le plus porteur d'un visage qui le gravera dans la mémoire
de l'auditeur et permet au compositeur de jouer de son souvenir.
D'un autre côté, il est frappant que l'idée de
mémoire soit en contradiction avec l'idée de processus. Le
processus, c'est le temps continu. La mémoire est discontinue. Elle est
aussi organisation, choix, discrétisation des événements.
Quand vous vous rappelez votre journée, vous ne percevez pas le temps
dans sa continuité chronologique, mais quelques instants
prélevés dans ce continuum. Pour unir les deux niveaux, il faut
une panoplie d'objets et de processus qui soient plus ou moins
mémorisables, plus ou moins prégnants. C'est ce que j'ai fait
dans Seuils. Sur certains objets, la mémoire ne s'accroche pas, ce sont
des objets fuyants, fugitifs, qui sont juste là pour organiser le temps.
D'autres, en revanche, sont très prégnants, on les isole
spontanément du flux sonore et, sur eux, l'on ressentira l'effet
d'interpolations, même à longue distance.
Vos aînés dans le domaine de la musique spectrale se sont définis contre la musique sérielle. Il s'agissait de la remplacer. Ce n'est bien sûr plus votre problème, mais quelle est votre opinion sur la musique de cette période d'après-guerre?
L'époque sérielle, contrairement à ce que l'on dit, n'a pas été destructrice, mais extrêmement féconde en idées et en recherches. Elle nous apparaît en rupture parce que la musique de cette époque est très agressive, très violente, souvent lugubre, mais c'est un phénomène lié à l'après-guerre. Un contrecoup des horreurs nazies. Comment écrire «joli» après l'Holocauste? C'était impensable. Non, la véritable mise à sac de la période classique a eu lieu avant la Première Guerre mondiale et pendant l'Entre-Deux-Guerres. Dans les années 50, on assiste déjà à la reconstruction. Mais le sérialisme, et plus généralement la musique de cette période, avait un problème grave: l'asynchronie entre la perception et les idées. Xenakis, Stockhausen, Boulez, etc., avaient beaucoup d'idées extraordinaires, mais leurs outils ne leur permettaient pas de les réaliser parfaitement. Ni les instruments ni les techniques d'écriture. Quand on lit leurs textes théoriques, qu'on admire l'audace de leurs idées, puis que l'on entend comment ils les ont incarnés dans leurs oeuvres, par des transpositions, des renversements, des canons, c'est-à-dire tous les outils très anciens du contrepoint classique, mais sans la tonalité, on regrette et on s'étonne de ce décalage. Mais cela ne les a pas empêchés d'écrire des chefs-d'oeuvre!...
Vous vous êtes installé à Berlin depuis 1991, comment y entend-on votre musique?
Française! Très française, paraît-il. Je crois qu'ils en perçoivent moins la recherche formelle que l'aspect purement sonore. Les Allemands ont un rapport beaucoup plus charnel et sensible à la musique que les Français, qui l'intellectualisent. Cela explique l'existence chez eux de mouvements comme le néo-romantisme (plus exactement appelé: nouvelle simplicité), avec ce côté affectif, retrouver la grande tradition romantique, faire de la musique pour le plaisir, comme on improvise. Les Français, eux, font de la musique après une analyse historique, pour s'insérer dans son courant! En revanche, il règne en Allemagne une anarchie créatrice que l'on ne connaît pas ici, où tout est plus centralisé, où il y a de grandes institutions, de grands festivals, de grands ensembles qui assurent une certaine cohérence à la vie musicale française. En Allemagne, c'est l'atomisation qui domine. D'où la difficulté d'appréhender ce qui s'y passe et une plus grande difficulté encore pour la musique contemporaine à fidéliser son public. Car le public allemand est peut-être dérouté par cette prolifération de petits événements.
Janvier 1993.
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