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Martin Matalon

Peter Szendy

Résonance nº n° 8, mars 1995
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En 1992, les seize pièces du cycle La Rosa profunda[1] révélaient au public français un jeune compositeur argentin au talent multiple : Martin Matalon. Après les mots de Borges, c'est aux images expressionnistes de Fritz Lang que Martin Matalon s'est cette fois-ci attelé, en composant pour Metropolis une partition instrumentale et électroacoustique. Portrait d'un musicien à l'imagination colorée.

Une lettre -- la lettre M -- pour rendre compte d'un parcours, d'une trajectoire. C'est arbitraire, comme l'est toute tentative de traduire en mots (en peu de mots) un projet musical, voire de cerner sa cohérence. Et pourtant, une lettre peut parfois entraîner un véritable crescendo typographique (c'est notamment le cas dans Murphy, de Samuel Beckett : « musique, Musique, MUSIQUE, MUSIQUE »).

Music Mobile

Né à Buenos Aires en 1958, Martin Matalon étudie la composition à la Julliard School of Music de New York, tout en travaillant la direction d'orchestre avec Jacques-Louis Monod. Cette activité parallèle (mais nullement secondaire) l'amène à fonder dans la mégalopole américaine, en 1989, un ensemble qu'il baptise Music Mobile : « Cette idée de mobile -- presque au sens que ce mot peut avoir dans la sculpture contemporaine -- m'est très chère. Juxtaposer des textures, des couleurs, par un travail sur la complémentarité ou la divergence des structures : lorsque je compose un programme de concert pour notre ensemble, je tiens à placer côte à côte des objets, des matières, voire des styles différents. Une pièce où l'on n'entendra que le son du bois frappé, puis une oeuvre où les timbres des cordes sont prédominants, une autre associant l'électronique, les percussions, les cuivres et les bois... [2] »

Composer un concert, un programme de concert, est-ce déjà composer ? Toujours est-il que ce sont les mêmes principes qui guideront Martin Matalon en 1992 pour La Rosa profunda, ce « parcours musical sur des textes de Jorge Luis Borges », composé pour récitant et ensemble instrumental à l'occasion de l'exposition que le Centre Georges-Pompidou consacrait à l'écrivain.

De Miroirs à Mémoire

Tel texte de Borges, intitulé Miroirs, sera associé au scintillement des percussions métalliques :

... magie qui oses
Multiplier le nombre des choses
Que nous sommes...

Tel autre (Mémoire) décrit les avatars d'une balle tirée en 1897 sur le Président de l'Uruguay -- d'une balle de « l'aube du temps » qui, déjà, fut « la pierre que Caïn lança contre Abel » : Mémoire immémoriale traversée par la présence obsédante d'un fa dièse, décoché d'un trait et obstinément maintenu au travers des métamorphoses.

« J'intègre dans ma musique toutes sortes de sons qui me plaisent -- des sons issus de cultures et de styles différents --, en essayant de créer des structures où ils pourront trouver leur place. Tout son constitue un phénomène déjà très riche en lui-même. Il m'est arrivé d'entendre des sons que j'ai d'abord trouvé très "kitch" ; mais au lieu de les écarter d'emblée, je me suis demandé où j'allais pouvoir les greffer. Car ils avaient une personnalité très forte, et je devais leur ménager un lieu où ils pourraient exister. »

Oser « multiplier le nombre des choses » sous l'égide fragile d'une mémoire kaléidoscopique, c'est donc ce que fait Martin Matalon dans La Rosa profunda : son parcours se construit et se brise en échos et en éclats sonores.

Montage malice

C'est encore ce qu'il fait avec Metropolis, en composant pour le film muet de Fritz Lang la partition que l'on pourra entendre en mai prochain. Les percussions, les peaux frappées y font immédiatement jaillir l'univers de la musique latino-américaine, celui aussi d'une certaine trompette métallique, bien connue des amateurs de Miles Davis. Mais cette fois, sa démarche est « étroitement liée au montage du film » : « Je me suis volontairement imposé de fortes contraintes : un certain niveau de la forme musicale est en quelque sorte dicté par le rythme du montage. Et une fois les contraintes acceptées, j'ai pu retrouver, au sein de ce découpage, la liberté pour équilibrer d'autres aspects formels : les rapports de tension, distension, complémentarité ou divergence... En étudiant le script, je me suis en effet aperçu qu'il y avait là une forme classique, celle de la symphonie romantique : une exposition de thèmes opposés, des développements, un finale scherzando... Au contraire, les images échappent à cela. Ce sont elles qui font la richesse et l'originalité du film. J'ai donc délibérément négligé le texte du script, au profit du montage et de l'aspect visuel. »

Si Matalon associe parfois une sonorité instrumentale à un personnage (la basse électrique à Freder, le « héros » du film, la guitare électrique à Maria), il ne cherche pas toutefois à les caractériser de manière systématique. Libre d'abandonner ses protagonistes, quitte à les ressaisir plus loin, il relève, souligne, accentue volontiers tel détail : « Dans la scène paradisiaque des jardins, il y a tout à coup un immense oiseau qui surgit ; et en regardant ces images, j'ai presque eu l'impression de voir l'assistant en train de lancer l'oiseau, qui avait du mal à se stabiliser. Ces imperfections -- du moins nous apparaissent-elles ainsi aujourd'hui --, j'ai voulu pour ainsi dire les saisir au vol. C'était pour moi l'occasion d'introduire une pointe d'humour, de malice, dans l'univers chargé de l'expressionnisme. »

Mais coller à l'image pour lui être infidèle, jouer l'absolue précision pour la faire jouer contre elle-même, avec elle-même, c'est aussi la faire croître, en un crescendo qui envahit parfois tout l'espace : « Cette idée d'un mobile musical trouve son prolongement naturel dans le travail de spatialisation et de modelage de la matière sonore : l'informatique ouvre des possibilités nouvelles pour sculpter, placer et déplacer les sons dans l'espace de la salle de concert. Un exemple parmi tant d'autres : dans la première scène, où l'on voit toutes ces machines, ces turbines qui tournent, cette polyphonie de mouvements mécaniques, j'ai cherché à créer des parcours sonores. Ce sont de véritables figures dans l'espace auditif : des axes croisés, des rotations en mouvement contraire, qui s'éloignent ou qui se rapprochent avec des vélocités différentes. »

Pour le redire avec ses lettres, selon l'arbitraire de deux initiales : dans la mobilité et la malice d'une mémoire mouvante, « machinique » ou mélodique, Martin Matalon modèle la mutique de Metropolis au miroir de la musique. Mimant méticuleusement le montage même. Moteur !

Metropolis, film de Fritz Lang (1925-1926), version restaurée par le Filmmuseum de Munich. Musique de Martin Matalon, création, commande de l'Ircam, pour 17 musiciens et électronique (Christophe de Coudenhove et Atau Tanaka, assistants musicaux). Production Ircam en coproduction ave le Théâtre du Châtelet et le Goethe Institut. Ensemble Intercontemporain dirigé par Ernest Martinez-Izquierdo (mardi 30 et mercredi 31 mai, Châtelet, 20 h 30).

Notes

1 Martin Matalon : La Rosa profunda. Disque compact Ircam.

2 Les propos de Martin Matalon sont cités d'après un entretien que j'avais réalisé avec le compositeur, publié sous le titre : « Métropolis -- Montages et mobiles » (dans Musique d'écran, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1994, p. 188 et sq.).

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