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1996
Copyright © Didier Guigue 1996
Cet article inédit présente de forme synthétique l'essentiel des objectifs, principes méthodologiques et résultats développés dans le cadre d'une Thèse de Doctorat réalisée à l'Ircam (Doctorat en Musique et Musicologie du XXe siècle de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) entre 1991 et 1996 [Guigue 96].
On peut porter au crédit de Debussy d'avoir contribué de manière définitive à la gestation d'une nouvelle esthétique musicale où l'image sonore devient concept, matériau intégralement incorporable au projet compositionnel à toutes les étapes de son élaboration. La notion d'objet sonore, définie comme structure complexe engendrée par la combinaison et l'interaction de plusieurs composants de l'écriture musicale, et dont l'articulation est susceptible de porter la forme, en tout ou partie, concrétise une notion qui deviendra si essentielle au cours du XXe siècle, qu'aucun courant esthétique n'a pu esquiver la question de sa formalisation.
La mise en évidence des conditions d'absorption par le langage musical, de cette articulation de la forme au plus haut niveau, c'est-à-dire à partir de ces objets, devient du même coup un des principaux enjeux de l'analyse.
Toutefois, la production analytique de notre siècle continue, pour des raisons que nous évoquons dans la thèse [Première Partie, Ch. 1], de ne s'intéresser de manière systématique qu'au niveau le plus sous-jacent de l'écriture: les modalités d'organisation des douze classes de hauteurs, considérées pratiquement comme le lieu sinon unique, du moins suffisant, de l'expression de la pensée musicale.
Notre approche, que, par emprunt à la terminologie informatique, nous définissons comme étant "orientée objets", vise précisément à mettre en lumière:
Circonscrite, provisoirement, au corpus paradigmatique que constitue la littérature pour piano, et, en même temps, àune approche restrite au "niveau neutre" de l'écrit musical [Nattiez 86], elle est assistée par un outil informatique spécifique développédans l'environnement Patchwork.
Il s'agit tout d'abord de reconfigurer le continuum musical symbolisé par la notation en une séquence d'objets. Un objet sonore étant le produit de l'interaction d'un nombre varié de composants que nous énumérerons plus avant, la rupture dans la continuité structurelle d'au moins un de ces composants implique une rupture dans la continuité sonore et, par conséquent, identifie une nouvelle étape structurelle, c'est-à-dire un nouvel objet.
Ces composants ne sont pas équivalents quant à leur capacité de concrétiser les ruptures du continuum, et par conséquent d'orienter la segmentation. Ils agissent sur des niveaux plus ou moins globaux de la surface séquentielle, niveaux qui varient en fonction des techniques d'écriture du compositeur, de l'oeuvre ou du contexte local. En termes de superficie musicale, ils se traduisent par des ruptures macro-formelles (respirations, silences, points d'orgues...), des interruptions de pédales et/ou de liaisons d'articulation, ruptures d'homogénéité dans les intensités, les registres, les configurations rythmiques, les densités, etc...De ce fait, tout objet entretient par définition un certain degré d'opposition avec les objets adjacents.
Si les critères de segmentation se veulent aveugles en regard des principes de découpage périodique adoptés par le compositeur - structure phraséologique, thématique, ... - ils n'interdisent pas leur éventuelle coïncidence, surtout à un niveau structurel hiérarchique élevé. Cette indépendance est toutefois fondamentale pour pouvoir évaluer les rapports instaurés entre ce niveau spécifique d'organisation (celui des objets) et les niveaux super-, sub-, ou adjacents.
La description de la structure sonore d'un objet passe, en premier lieu, dans le présent modèle, par l'évaluation de la qualité sonore intrinsèque de chaque note qui le constitue. Les données fournies par les recherches scientifiques en acoustique du piano ces trente dernières années [Boutillon 91], [Kent 77], [McFerrin 72], [Suzuki 90], et al., permettent de dégager assez précisément une relation typique, qui peut être réduite à un principe de décroissance pondérée de la complexité du timbre, proportionnelle à la hauteur de la fréquence fondamentale qui correspond à la note écrite. Nous avons modélisé cette relation au moyen de plusieurs équations, qui ne seront pas détaillées ici. Elles représentent respectivement les décroissances du nombre de partiels audibles, du taux d'amortissement du son, ainsi que la croissance du rang du partiel dominant au plan de l'intensité (décibels). Cette modélisation attribue un poids relatif à chaque note, appelé k, en fonction de sa hauteur nominale. Le graphique représente l'évolution de la valeur de k le long de la tessiture du piano.
Les deux points d'inflexion de la courbe se situent autour des notes Si1 et Do4 (Do4 = Do central). Le premier correspond à une rupture de continuité dans le matériau des cordes et leur nombre. Le modèle reproduit bien le ralentissement de la perte de qualité timbrale à cet endroit, dû, en particulier, à l'effet de detuning caractéristique du bicordage qui intervient à ce moment-là. L'accélération de la pente dans la deuxième moitié de ce segment (à partir de Ré3) corrobore les observations selon lesquelles les valeurs diminuent à peu près de moitié dans ce registre. A partir du milieu du clavier la décroissance se stabilise en devenant pratiquement linéaire.
Cette permanence causale [Schaeffer 66] peut être modulée jusqu'à un certain point par la vélocité d'attaque du marteau. Cette modulation, que nous appelons v , est modélisée par une équation complémentaire, qui augmente k en fonction de v.
Deux hauteurs (k = 0.1 et 1.0) modulées par diverses intensités:
Ce dernier exemple montre comment l'intensité peut compenser les différences qualitatives intrinsèques.
La synthèse des deux valeurs produit le facteur q, et la somme (pondérée) des facteurs q des notes constituant un objet constitue une abstraction quantifiée de sa complexité sonore intrinsèque relative. Il faut à présent évaluer l'incidence de la structure de l'objet sur cette complexité intrinsèque.
Nous avons établi que la structure d'un objet sonore peut être décrite comme étant le produit de l'interaction de plusieurs composants de l'écriture. Nous décrirons cette interaction à partir d'une proposition de [Berry 87]. La densité d'une structure sonore, qui désigne le nombre de sons qui la composent, est un élément déterminant pour la définition de son identité. Mais Berry; observe en même temps que la seule mesure du nombre d'individus composant chaque objet est en soi insuffisante : dans l'exemple ci-dessous, elle amènerait à la conclusion que les neuf objets sont identiques, ce qui ne reflète qu'une part de la réalité.
Il existe en effet un corollaire qualitatif à la densité: c'est la façon dont sont distribués ces sons, soit dans l' "espace", soit dans le "temps", soit dans les deux dimensions simultanément. Dans la première séquence (objets a-b-c), la position de la hauteur interne de chaque agrégat, en termes de distance intervallique par rapport aux deux autres notes, qui en bornent l'ambitus, évolue du symétrique parfait - une quinte juste de part et d'autre dans (a) - à son contraire absolu - septième majeure/seconde mineure dans (c). Cette évolution impose une dynamique sonore à l'ensemble, de type "consonance-vers-dissonance". Dans la deuxième (objets d-e-f), c'est l'irrégularité croissante de la distribution des trois événements dans le temps qui crée une progression linéaire analogue, du plus régulier (d) au plus irrégulier (f). Dans la troisième (objets g-h-i), la dynamique des deux dimensions, "verticale" et "horizontale", est combinée.
Dans les trois cas, on dira que la quantité "densitive", ici invariable, est modulée par la qualité "distributionnelle", dont la complexité augmente progressivement. En la circonstance, c'est l'évaluation de la distribution, et non de la densité, qui apporte une information intéressante sur la dynamique formelle qui habite ces trois séquences. On définira donc dans cette situation la distribution comme le composant actif, et la densité , comme le composant passif, de cette dynamique, et l'on dira que la distribution des sons dans l'espace et/ou le temps agit comme modulateur qualitatif de la densité.
Cette interaction entre deux composants complémentaires de l'écriture, l'un représentant une quantité, l'autre une qualité, constitue la base d'un réseau hiérarchiséde relations sur lequel se fonde notre approche méthodologique.
Pour illustrer la façon dont les relations interdépendent verticalement, c'est-à-dire hiérarchiquement, nous reprendrons la séquence a-b-c de cet exemple en introduisant de nouvelles variables.
L'analyse de la densité et de la distribution révèle que cette séquence est, sur ces points, identique à la première: la densité absolue reste fixée à trois sons, et la distribution des intervalles obéit au même modèle de progression linéaire, du plus symétrique (j) au plus assymétrique (l).
Mais cette fois, ce couple densité /distribution ne suffit plus à décrire la dynamique sonore de la séquence. Il faut aussi prendre en considération un autre couple d'éléments, à savoir l'ambitus, c'est-à-dire la taille de l'objet, mesurée conventionnellement en nombre de demi-tons entre les bornes grave et aigue, et la registration, c'est-à -dire la localisation de cet ambitus dans l'univers pianistique. L'ambitus est une variable quantitative, dont la valeur, en l'occurrence, diminue graduellement d'un objet à l'autre: j = 14 (demi-tons), k = 10, et l = 7. La registration, qui s'exprime par un glissement de l'aigu au grave, influe sur le résultat sonore produit par le resserrement de l'ambitus. Au contraire de l'ambitus, la registration est une variable qualitative. La relation entre ces deux composants est analogue à celle établie entre la densité et la distribution: la registration intervient comme un modulateur de la qualité de l'espace sonore attribuépar le compositeur à chacun des trois objets, espace qui se mesure, lui, en termes de quantité. Ce n'est qu'à l'intérieur de cette double dynamique - resserrement de l'espace versus descente vers le grave - qu'interfèrent, conjointement, la densité et la distribution des sons, qui représentent également, respectivement, des quantités et des qualités.
Il y a donc deux étapes d'interactions. La première concerne celle de la qualité "distribution" sur la quantité "densité" et, simultanément, celle de la qualité "registration" sur la quantité "ambitus". Pour saisir la deuxième étape, il faut passer à un niveau supérieur d'interprétation de l'écrit, et analyser le couple densité/distribution en tant que composant unifiéde l'écriture, dont les qualités propres vont moduler les structures sonores configurées par le couple ambitus/registration, qui est considéré lui aussi à présent comme un autre de ces composants unifiés. En d'autres termes, chaque couple produit un nouveau composant, plus complexe, parce que composite, et l'ensemble, un nouveau couple basé à son tour sur la complémentarité interactive quantité/qualité. On pourrait représenter les interactions en jeu dans cet exemple par le schéma suivant.
Les règles de notre procédure analytique peuvent en synthèse s'énoncer de la manière suivante:
1 - L'objet sonore, déduit du processus de segmentation du continuum musical décrit à la section précédente, est décomposé en un certain nombre de composants.
2 - Un composant se définit par le fait qu'il est accessible de manière objective, c'est-à-dire sans jugement préalable de valeur ou d'interprétation, à la lecture de la partition - tels les quatre que nous avons mentionnés dans les exemples ci-dessus.
3 - Ces composants sont d'ordre soit quantitatif, soit qualitatif. Chaque composant d'ordre qualitatif exerce une influence sur un composant d'ordre quantitatif. On dit que le premier module le second. Cette action produit, par synthèse, un nouveau composant, appelé composé. L'interaction quantité/qualité s'exprime de la manière suivante :
où r est le résultat, p le composant d'ordre quantitatif et m celui d'ordre qualitatif.
On aura compris que ce système est fondé sur une interprétation métaphorique de la technique de synthèse des sons par modulation de fréquences [Chowning 88].
Cette interaction complémentaire forme le premier niveau d'un réseau de relations structurelles.
4 - Ce réseau se ramifie par synthèses successives de couples de composés qui reproduisent le schéma d'interaction entre une quantité et une qualité. Chaque niveau subséquent de synthèse représente une dimension plus complexe, plus composite, de la structure de l'écrit musical, le dernier d'entre eux correspondant à ces objets sonores dont la successivité engendre, par différents degrés d'opposition, la dynamique de la forme.
Les composants sont évalués en fonction de leur participation à l'élaboration de la configuration sonore d'un objet donné. L'information qui sert de fondement à cette évaluation, est le taux de complexité relative que le compositeur a affectée au composant, au moyen de sa configuration écrite. La "complexité" maximum correspond à la configuration qui produit la sonorité la plus "complexe" possible - dans le domaine où le composant agit. Dans ce cas, le poids participatif attribué à ce composant est de 100 %. A l'autre bout, les configurations les plus simples sont celles qui génèrent les sonorités les plus "simples" possibles.
Naturellement, le signifiant des notions de "simplicité" et "complexité" varie en fonction de la nature du composant auquel on se réfère. Ainsi, si l'on parle de densités, l'échelle qualitative d'appréciation va du "vide" à la "saturation", alors que celle des distributions peut aller, par exemple, de la "stricte régularité" à l' "irrégularité maximale".
La complexité maximale possible devient le référent pour le calcul du taux d'implication du composant dans la configuration de la complexité sonore globale. Le résultat est donc toujours une valeur relative, qui se traduit par un nombre réel situé entre (0.0) et (1.0), correspondant au taux de satisfaction du critère de complexité maximale.
Le grand avantage d'une évaluation relative par rapport à une évaluation absolue est que seule la première permet l'analyse comparée de composants ou d'objets hétérogènes [exemple].
Pour plusieurs raisons que nous développons dans la thèse, il a apparu pertinent d'analyser séparément le contenu achronique de chaque objet, en le dissociant, provisoirement, des modalités d'organisation temporelle. Pour ce faire, toutes les hauteurs, accompagnées des informations disponibles sur les intensités qui sont assignées à chacune, et autres données jugées pertinentes (pédales par exemple), sont ramenées au point 0 de l'axe du temps. L'objet est ainsi évaluéselon divers critères et modèles d'occupation et de distribution exclusivement "spatiales". Une fois ce contenu décrit, par des outils d'investigation appropriés, le facteur temps peut être réintroduit dans la procédure analytique comme élément distributeur/modulateur des propriétés achroniques.
Ces deux groupes d'évaluations sont par convention représentés dans un espace cartésien bidimensionnel virtuel, où la synthèse des évaluations achroniques occupe l'axe vertical des ordonnées, nomméS-AXIS, tandis que les informations relatives aux modalités d'occupation du temps sont portées sur l'autre axe, T-AXIS. Les modalités de déploiement du matériau dans le temps influant sur le taux final de complexité sonore de l'objet, en particulier par des effets de dilution, de concentration ou de discrimination de saillance, on dira que la structure diachronique d'un objet est un modulateur de son contenu achronique.
Structures achronique (a) et diachronique (b) du premier objet sonore de La Cathédrale engloutie de [Debussy 09]. La complexité de la structure achronique, provoquée simultanément par un très large ambitus, une épaisse densité et la présence de sons conjoints provoquant des dissonances, se trouve sensiblement diluée par une organisation diachronique qui en atténue les effets.
La structure achronique (a) et deux versions de la structure diachronique (b, c) du premier objet sonore de la Klavierstücke IX de [Stockhausen 54] . Ici, les qualités achroniques sont exacerbées par les qualités diachroniques.
La comparaison des pondérations ainsi affectées à une série d'objets permet d'évaluer quantitativement l'intervalle qualitatif qui les sépare. Du même coup, la voie est ouverte à une interprétation formelle-fonctionnelle des sonorités dans le cadre du projet compositionnel comme un tout. La séquence numérique des évaluations d'une série d'objets composant une oeuvre ou un fragment d'oeuvre peut résulter en une représentation graphique tridimensionnelle, qui s'apparente à celles proposées par plusieurs groupes de chercheurs [Grey 77], [Plomp 70], [Wessel 78], et al., visant à une description comparée des timbres instrumentaux. La figure ci-dessous en est un exemple.
Une sélection de 25 objets sonores (étiquetés par un numéro d'ordre) caractéristiques de l'Etude "pour les Sonorités Opposées" de [Debussy 15], décrits par leur contenu achronique (axe S) et le mode de distribution de ce contenu dans le temps (axe T).Le point 0 correspond à la complexité minimum, pour les deux axes. L'objet de numéro 23 est donc celui présentant la plus haute qualité sonore de la sélection.
A titre d'illustration, les coordonnées de 4 autres objets ont été mises en évidence. Ils éclairent la directionnalité négative du début de la pièce (objets 1, 3, 5, rappelés ci-dessous), et la cyclicité de la macro-structure sonore, puisque le dernier objet (54) rejoint le premier dans l'espace.
Nous allons à présent décrire très succinctement l'ensemble des composants qui, dans notre modèle méthodologique, participent de la structure écrite d'un objet. Leur interconnexion peut être représentée par un diagramme, qui donne en même temps une idée de l'interface utilisateur projetée pour le programme informatique [voir à ce sujet section 3 plus bas].
On voit dans le diagramme comment ces composants de base sont regroupés en couples modulé/modulateur pour produire des composés de synthèse, conformément ànos postulats.
Cette approche analytique fait appel à l'informatique pour la saisie, le traitement et la représentation des données. Nous avons choisi l'environnement logiciel Patchwork [Laurson 93] pour le développement des algorithmes d'assistance. A cette fin, il est créé autant de fichiers Midi que d'objets en lesquels a été segmentée la partition. La procédure de segmentation décrite plus haut n'a pas encore fait l'objet d'une automation informatique, car elle implique de complexes processus d'intelligence artificielle, par le fait qu'à tout instant des décisions d'arbitrage doivent être prises quant aux critères préférentiels de segmentation ou de réduction. Une telle implémentation constitue l'axe prioritaire de la prochaine étape de cette recherche.
Patchwork , environnement conçu a priori pour la composition, est basé sur la programmation fonctionnelle, au moyen de patches. Son interface, où chaque fonction se présente sous forme d'une "boîte" munie d'entrées clairement définies et d'une sortie, rend la programmation d'algorithmes complexes accessible à tout utilisateur non spécialiséen informatique. Cette programmation se réalise sous forme graphique, par une interconnexion des boîtes, appelées "modules", au moyen de "câbles" virtuels, et par la possibilité de représenter ces patches sous la forme de nouvelles boîtes, nommées "abstractions", le nombre et le niveau de profondeur d'imbrication hiérarchique des abstractions n'étant limité que par les capacités de l'ordinateur. Compatible avec la norme Midi, Patchwork peut recevoir à travers ce protocole, moyennant quelques conventions, la quasi totalité des informations contenues dans une partition pour piano (ce point est toutefois discutéde manière plus approfondi dans la thèse). Son aptitude à gérer et à interagir avec la connaissance musicale, et son architecture extensible, en font un outil qui pourrait autoriser le traitement critique des données musicales saisies, contribuant à l'intelligence de la structure musicale. Sous cet angle, il est susceptible de devenir un instrument d'aide à l'analyse musicale.
Chacun des composants des structures achroniques et diachroniques (décrits supra sections 2.6 et 2.7) correspond à un module Patchwork qui incorpore le (s) algorithme (s) nécessaire (s) à l'évaluation quantitative et/ou qualitative de sa participation à la configuration de la sonorité. Un module reçoit en entrée, soit le fichier Midi source - dont il extrait les seules données pertinentes pour le composant en question - , soit le résultat de l'évaluation d'un module en amont. Si le module est à l'intérieur de la chaîne hiérarchique des évaluations, il est connecté en sortie à un module subséquent. Comme nous l'avons déjà mentionné, la structure du programme informatique obéit strictement à celle représentée dans le diagramme . La figure ci-dessous reproduit un exemple typique des patches développés.
Le module "read" importe le fichier Midi. Le module "sco > notes" le présente sous forme d'une liste multiple, reprenant toutes les informations relatives aux événements Midi contenues dans l'original, par exemple:
((0 1 10300 35 80) (0 1 9800 35 80) (0 1 9600 35 80) (0 1 9100 35 80) (0 1 6700 35 80) (0 1 6200 35 80) (0 1 6000 35 80) (0 1 5500 35 80) (80 1 6000 35 440) (80 1 5200 35 440) (80 1 5500 35 440) (80 1 6400 35 440) (80 1 6700 40 440) (80 1 7200 40 440) (80 1 7600 40 440) (80 1 7900 40 440) (160 1 2400 35 360) (160 1 3100 35 360) (160 1 3600 35 360))
Les arguments de chaque sous-liste sont placés dans l'ordre (onset , canal Midi, note, vélocité, durée). Le fichier est stocké dans un "buffer" (mémoire-tampon). Les données sont décomposées et chaque argument de chaque sous-liste est envoyé, par le biais du module "matrix-transfert" ("mat-trans" dans la figure) à un module réservé: le module "onset" reçoit les onsets, le module "notes", les notes, etc.
Ce sont ces modules qui vont fournir les informations dont les algorithmes d'évaluation ont besoin. Ainsi, le module "band-éval-piano", dont la "boîte" renferme une série d'algorithmes, évalue la distribution des sons du fichier par registre pianistique, dans un univers convenu et justifié de sept registres dont les bornes (les "bands") ont été préalablement définies et programmées. Pour cela, il n'a besoin que des notes. C'est donc le module "notes" qu'il attend. La liste qu'il reçoit est la suivante, en l'occurrence :
(2400 3100 3600 5200 5500 6000 6200 6400 6700 7200 7600 7900 9100 9600 9800 10300)
dans laquelle chaque valeur correspond au troisième argument de chacune des sous-listes du fichier contenu dans le buffer .
Le patch "band-éval-piano" produit en retour une liste numérique indiquant le nombre de notes trouvées dans chacun des sept registres. Les registres sont présentés du plus grave à gauche de la liste, au plus aigu à droite :
(2 1 1 10 1 3 1)
L'évaluation produite par "band-éval" peut être utilisée telle quelle ; elle est en particulier intéressante pour établir une cartographie des registrations le long d'une pièce entière . Mais elle est également recyclable par un module subséquent ("reg") dont la fonction est de déduire la qualité sonore relative des registrations dans le fichier source, en fonction d'un certain nombre de postulats. La valeur retournée, en l'occurrence (1.00) dans l'exemple, représente le poids qualitatif de la registration dans la configuration de la sonorité particulière à cet objet . Cette valeur est ensuite réutilisée par d'autres modules, non représentés dans cet exemple.
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L'une des principales finalités de cette approche méthodologique est l'explicitation des relations entre les niveaux inférieur et supérieur de l'écriture, avec une emphase sur la fonction formelle de ces derniers, peu systématisée jusqu'à présent.
Nous aimerions montrer en conclusion un exemple concret d'application sur le Prélude "Brouillards" de [Debussy 09], exemple tiré de la thèse [Troisième Partie, Ch. 4]. Comme l'avait bien fait entrevoir [Schnebel 64], nous voyons dans cette oeuvre Debussy structurer la forme par l'articulation différentielle de sonorités, et non par un processus de transformation motivique. En d'autres termes, le pouvoir structurant habituellement confié à l'élément motivique se trouve dilué dans les systèmes d'articulation des sonorités.
En effet, tout le matériau de bas niveau de "Brouillards" (les pitch-classes) est généré par un processus de prolongation d'un motif générateur de base. Le concept de prolongation englobe aussi bien les techniques de répétition que celles de variations présentant peu de caractéristiques différentielles. L'essentiel de ce processus est montré de forme synthétique mais suffisamment claire, croyons-nous, dans l es analyses "muettes" ci-dessous.
Tous les procédés de variation étant simples, les affinités motiviques ne laissent jamais d'être prégnantes. La prolongation systématique et pratiquement omniprésente d'une idée basique confère à l'infrastructure une caractéristique anaphorique qui, par son aspect répétitif, monotone, statique, assure l'unité sonore de la pièce.
Par contre, la dynamique de sa structure repose pour l'essentiel sur des procédés de transformation de la configuration des objets sonores. Nous avons regroupéci-après quelques exemples du rapport dialectique qui s'instaure entre la relative invariance chromatique et la systématique d'opposition structurelle au plus haut niveau.
La transposition du motif donne au deuxième objet une sonorité un peu plus complexe, car il s'est légèrement déplacé vers le grave (graphe SPACE), tandis que l'ajout d'une note augmente simultanément le taux d'inharmonicité (HARMONICITY) et les densités spatio-temporelles (S et T-DENSITY). On remarque en outre qu'en valeurs absolues (/x/ de P-DIRECTION), la directionnalité du deuxième objet est très nettement plus prononcée, ce qui contribue aussi à sa complexification statistique, selon les postulats de cette approche analytique. On a mentionné l'infrastructure chromatique (numérotation par classes d'intervalles à partir de deux fondamentales indiquées en notation alphabétique) pour souligner la similarité infrastructurelle (le statisme) des deux objets.
Les différences entre ces deux objets, dont la similarité infrastructurelle est frappante, ne peuvent être décrites qu'à partir de l'étude de l'évolution de composants tels que la densité temporelle (T-DENSITY), les taux d'occupation de l'ambitus pianistique (SPACE) et de la linéarité de la distribution des notes (S-LINEARITY), la durée relative (SPAN) et l'enveloppe des intensités (V-ENVELOPPE), composants qui, tous, contribuent à une augmentation de la complexité sonore, tandis que d'autres agissent contradictoirement dans le sens d'une diminution de cette complexité: taux de dissonance (SONANCE) et profil directionel (/x/ P-DIRECTION). Une analyse du bas niveau ne pourrait qu'observer les transpositions parallèles Sol vers Réde l'accord et Sol vers Sol# de l'arpège.
Ici, finalement, la quasi-identité du contenu chromatique rend ce niveau d'analyse incapable d'expliquer le puissant contraste sonore, qui est obtenu, comme dans l'exemple antérieur, par des transformations qui simultanément augmentent (graphes du haut) et amoindrissent (graphes du bas) la complexité relative du deuxième objet. Le profil directionel PITCH-DIRECTION est cette fois expriméen valeurs réelles, qui informent le sens de la direction.
L'analyse complète de cette oeuvre nous a permis de conclure à une complémentarité des deux niveaux d'écriture, et à une partition des rôles qui laisse à l'organisation du super-niveau, celui des objets sonores, une part essentielle de responsabilité dans la structuration manifeste de la forme, confinant les relations motivico-chromatiques dans une fonction stabilisatrice sous-jacente.
Cet exemple met en lumière les conclusions que cette méthode permet d'avancer quant à certaines stratégies de structuration formelle qui deviendront fondamentales dans la praxis musicale après Debussy. Par un système cohérent d'évaluation de caractéristiques a priori hétérogènes, réalisée au moyen d'outils spécifiques, elle a pour but de permettre l'incorporation des dimensions complexes de la pensée du sonore à l'explicitation des modalités d'engendrement de la forme dans la musique du XXe siècle.
Lisez un article analysant les relations entre espace et forme dans "La Cathédrale engloutie".
La recherche et la thèse à l'origine de ce texte ont été réalisées avec l'aide financière du CNPQ (Centro Nacional da Pesquisa Científica, Brésil) et l' appui logistique de l'Ircam.Nous remercions G. Assayag, C. Rueda et M. Malt pour leur aide à la réalisation des patches et M. Battier pour ses observations et conseils.
Des renseignements sur la continuité de ce travail, sur l'auteur, sur les lieux où la thèse originale peut être consultée (outre la Médiathèque), ainsi que sur les modules Patchwork décrits dans ce texte, qui sont disponibles, peuvent être obtenus sur le site http://terra.npd.ufpb.br/~guigue.
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Copyright © Didier Guigue 1996
Cet article inédit présente de forme synthétique l'essentiel des objectifs, principes méthodologiques et résultats développés dans le cadre d'une Thèse de Doctorat réalisée à l'Ircam (Doctorat en Musique et Musicologie du XXe siècle de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) entre 1991 et 1996 [Guigue 96].
On peut porter au crédit de Debussy d'avoir contribué de manière définitive à la gestation d'une nouvelle esthétique musicale où l'image sonore devient concept, matériau intégralement incorporable au projet compositionnel à toutes les étapes de son élaboration. La notion d'objet sonore, définie comme structure complexe engendrée par la combinaison et l'interaction de plusieurs composants de l'écriture musicale, et dont l'articulation est susceptible de porter la forme, en tout ou partie, concrétise une notion qui deviendra si essentielle au cours du XXe siècle, qu'aucun courant esthétique n'a pu esquiver la question de sa formalisation.
La mise en évidence des conditions d'absorption par le langage musical, de cette articulation de la forme au plus haut niveau, c'est-à-dire à partir de ces objets, devient du même coup un des principaux enjeux de l'analyse.
Toutefois, la production analytique de notre siècle continue, pour des raisons que nous évoquons dans la thèse [Première Partie, Ch. 1], de ne s'intéresser de manière systématique qu'au niveau le plus sous-jacent de l'écriture: les modalités d'organisation des douze classes de hauteurs, considérées pratiquement comme le lieu sinon unique, du moins suffisant, de l'expression de la pensée musicale.
Notre approche, que, par emprunt à la terminologie informatique, nous définissons comme étant "orientée objets", vise précisément à mettre en lumière:
Circonscrite, provisoirement, au corpus paradigmatique que constitue la littérature pour piano, et, en même temps, àune approche restrite au "niveau neutre" de l'écrit musical [Nattiez 86], elle est assistée par un outil informatique spécifique développédans l'environnement Patchwork.
Il s'agit tout d'abord de reconfigurer le continuum musical symbolisé par la notation en une séquence d'objets. Un objet sonore étant le produit de l'interaction d'un nombre varié de composants que nous énumérerons plus avant, la rupture dans la continuité structurelle d'au moins un de ces composants implique une rupture dans la continuité sonore et, par conséquent, identifie une nouvelle étape structurelle, c'est-à-dire un nouvel objet.
Ces composants ne sont pas équivalents quant à leur capacité de concrétiser les ruptures du continuum, et par conséquent d'orienter la segmentation. Ils agissent sur des niveaux plus ou moins globaux de la surface séquentielle, niveaux qui varient en fonction des techniques d'écriture du compositeur, de l'oeuvre ou du contexte local. En termes de superficie musicale, ils se traduisent par des ruptures macro-formelles (respirations, silences, points d'orgues...), des interruptions de pédales et/ou de liaisons d'articulation, ruptures d'homogénéité dans les intensités, les registres, les configurations rythmiques, les densités, etc...De ce fait, tout objet entretient par définition un certain degré d'opposition avec les objets adjacents.
Si les critères de segmentation se veulent aveugles en regard des principes de découpage périodique adoptés par le compositeur - structure phraséologique, thématique, ... - ils n'interdisent pas leur éventuelle coïncidence, surtout à un niveau structurel hiérarchique élevé. Cette indépendance est toutefois fondamentale pour pouvoir évaluer les rapports instaurés entre ce niveau spécifique d'organisation (celui des objets) et les niveaux super-, sub-, ou adjacents.
La description de la structure sonore d'un objet passe, en premier lieu, dans le présent modèle, par l'évaluation de la qualité sonore intrinsèque de chaque note qui le constitue. Les données fournies par les recherches scientifiques en acoustique du piano ces trente dernières années [Boutillon 91], [Kent 77], [McFerrin 72], [Suzuki 90], et al., permettent de dégager assez précisément une relation typique, qui peut être réduite à un principe de décroissance pondérée de la complexité du timbre, proportionnelle à la hauteur de la fréquence fondamentale qui correspond à la note écrite. Nous avons modélisé cette relation au moyen de plusieurs équations, qui ne seront pas détaillées ici. Elles représentent respectivement les décroissances du nombre de partiels audibles, du taux d'amortissement du son, ainsi que la croissance du rang du partiel dominant au plan de l'intensité (décibels). Cette modélisation attribue un poids relatif à chaque note, appelé k, en fonction de sa hauteur nominale. Le graphique représente l'évolution de la valeur de k le long de la tessiture du piano.
Les deux points d'inflexion de la courbe se situent autour des notes Si1 et Do4 (Do4 = Do central). Le premier correspond à une rupture de continuité dans le matériau des cordes et leur nombre. Le modèle reproduit bien le ralentissement de la perte de qualité timbrale à cet endroit, dû, en particulier, à l'effet de detuning caractéristique du bicordage qui intervient à ce moment-là. L'accélération de la pente dans la deuxième moitié de ce segment (à partir de Ré3) corrobore les observations selon lesquelles les valeurs diminuent à peu près de moitié dans ce registre. A partir du milieu du clavier la décroissance se stabilise en devenant pratiquement linéaire.
Cette permanence causale [Schaeffer 66] peut être modulée jusqu'à un certain point par la vélocité d'attaque du marteau. Cette modulation, que nous appelons v , est modélisée par une équation complémentaire, qui augmente k en fonction de v.
Deux hauteurs (k = 0.1 et 1.0) modulées par diverses intensités:
Ce dernier exemple montre comment l'intensité peut compenser les différences qualitatives intrinsèques.
La synthèse des deux valeurs produit le facteur q, et la somme (pondérée) des facteurs q des notes constituant un objet constitue une abstraction quantifiée de sa complexité sonore intrinsèque relative. Il faut à présent évaluer l'incidence de la structure de l'objet sur cette complexité intrinsèque.
Nous avons établi que la structure d'un objet sonore peut être décrite comme étant le produit de l'interaction de plusieurs composants de l'écriture. Nous décrirons cette interaction à partir d'une proposition de [Berry 87]. La densité d'une structure sonore, qui désigne le nombre de sons qui la composent, est un élément déterminant pour la définition de son identité. Mais Berry; observe en même temps que la seule mesure du nombre d'individus composant chaque objet est en soi insuffisante : dans l'exemple ci-dessous, elle amènerait à la conclusion que les neuf objets sont identiques, ce qui ne reflète qu'une part de la réalité.
Il existe en effet un corollaire qualitatif à la densité: c'est la façon dont sont distribués ces sons, soit dans l' "espace", soit dans le "temps", soit dans les deux dimensions simultanément. Dans la première séquence (objets a-b-c), la position de la hauteur interne de chaque agrégat, en termes de distance intervallique par rapport aux deux autres notes, qui en bornent l'ambitus, évolue du symétrique parfait - une quinte juste de part et d'autre dans (a) - à son contraire absolu - septième majeure/seconde mineure dans (c). Cette évolution impose une dynamique sonore à l'ensemble, de type "consonance-vers-dissonance". Dans la deuxième (objets d-e-f), c'est l'irrégularité croissante de la distribution des trois événements dans le temps qui crée une progression linéaire analogue, du plus régulier (d) au plus irrégulier (f). Dans la troisième (objets g-h-i), la dynamique des deux dimensions, "verticale" et "horizontale", est combinée.
Dans les trois cas, on dira que la quantité "densitive", ici invariable, est modulée par la qualité "distributionnelle", dont la complexité augmente progressivement. En la circonstance, c'est l'évaluation de la distribution, et non de la densité, qui apporte une information intéressante sur la dynamique formelle qui habite ces trois séquences. On définira donc dans cette situation la distribution comme le composant actif, et la densité , comme le composant passif, de cette dynamique, et l'on dira que la distribution des sons dans l'espace et/ou le temps agit comme modulateur qualitatif de la densité.
Cette interaction entre deux composants complémentaires de l'écriture, l'un représentant une quantité, l'autre une qualité, constitue la base d'un réseau hiérarchiséde relations sur lequel se fonde notre approche méthodologique.
Pour illustrer la façon dont les relations interdépendent verticalement, c'est-à-dire hiérarchiquement, nous reprendrons la séquence a-b-c de cet exemple en introduisant de nouvelles variables.
L'analyse de la densité et de la distribution révèle que cette séquence est, sur ces points, identique à la première: la densité absolue reste fixée à trois sons, et la distribution des intervalles obéit au même modèle de progression linéaire, du plus symétrique (j) au plus assymétrique (l).
Mais cette fois, ce couple densité /distribution ne suffit plus à décrire la dynamique sonore de la séquence. Il faut aussi prendre en considération un autre couple d'éléments, à savoir l'ambitus, c'est-à-dire la taille de l'objet, mesurée conventionnellement en nombre de demi-tons entre les bornes grave et aigue, et la registration, c'est-à -dire la localisation de cet ambitus dans l'univers pianistique. L'ambitus est une variable quantitative, dont la valeur, en l'occurrence, diminue graduellement d'un objet à l'autre: j = 14 (demi-tons), k = 10, et l = 7. La registration, qui s'exprime par un glissement de l'aigu au grave, influe sur le résultat sonore produit par le resserrement de l'ambitus. Au contraire de l'ambitus, la registration est une variable qualitative. La relation entre ces deux composants est analogue à celle établie entre la densité et la distribution: la registration intervient comme un modulateur de la qualité de l'espace sonore attribuépar le compositeur à chacun des trois objets, espace qui se mesure, lui, en termes de quantité. Ce n'est qu'à l'intérieur de cette double dynamique - resserrement de l'espace versus descente vers le grave - qu'interfèrent, conjointement, la densité et la distribution des sons, qui représentent également, respectivement, des quantités et des qualités.
Il y a donc deux étapes d'interactions. La première concerne celle de la qualité "distribution" sur la quantité "densité" et, simultanément, celle de la qualité "registration" sur la quantité "ambitus". Pour saisir la deuxième étape, il faut passer à un niveau supérieur d'interprétation de l'écrit, et analyser le couple densité/distribution en tant que composant unifiéde l'écriture, dont les qualités propres vont moduler les structures sonores configurées par le couple ambitus/registration, qui est considéré lui aussi à présent comme un autre de ces composants unifiés. En d'autres termes, chaque couple produit un nouveau composant, plus complexe, parce que composite, et l'ensemble, un nouveau couple basé à son tour sur la complémentarité interactive quantité/qualité. On pourrait représenter les interactions en jeu dans cet exemple par le schéma suivant.
Les règles de notre procédure analytique peuvent en synthèse s'énoncer de la manière suivante:
1 - L'objet sonore, déduit du processus de segmentation du continuum musical décrit à la section précédente, est décomposé en un certain nombre de composants.
2 - Un composant se définit par le fait qu'il est accessible de manière objective, c'est-à-dire sans jugement préalable de valeur ou d'interprétation, à la lecture de la partition - tels les quatre que nous avons mentionnés dans les exemples ci-dessus.
3 - Ces composants sont d'ordre soit quantitatif, soit qualitatif. Chaque composant d'ordre qualitatif exerce une influence sur un composant d'ordre quantitatif. On dit que le premier module le second. Cette action produit, par synthèse, un nouveau composant, appelé composé. L'interaction quantité/qualité s'exprime de la manière suivante :
où r est le résultat, p le composant d'ordre quantitatif et m celui d'ordre qualitatif.
On aura compris que ce système est fondé sur une interprétation métaphorique de la technique de synthèse des sons par modulation de fréquences [Chowning 88].
Cette interaction complémentaire forme le premier niveau d'un réseau de relations structurelles.
4 - Ce réseau se ramifie par synthèses successives de couples de composés qui reproduisent le schéma d'interaction entre une quantité et une qualité. Chaque niveau subséquent de synthèse représente une dimension plus complexe, plus composite, de la structure de l'écrit musical, le dernier d'entre eux correspondant à ces objets sonores dont la successivité engendre, par différents degrés d'opposition, la dynamique de la forme.
Les composants sont évalués en fonction de leur participation à l'élaboration de la configuration sonore d'un objet donné. L'information qui sert de fondement à cette évaluation, est le taux de complexité relative que le compositeur a affectée au composant, au moyen de sa configuration écrite. La "complexité" maximum correspond à la configuration qui produit la sonorité la plus "complexe" possible - dans le domaine où le composant agit. Dans ce cas, le poids participatif attribué à ce composant est de 100 %. A l'autre bout, les configurations les plus simples sont celles qui génèrent les sonorités les plus "simples" possibles.
Naturellement, le signifiant des notions de "simplicité" et "complexité" varie en fonction de la nature du composant auquel on se réfère. Ainsi, si l'on parle de densités, l'échelle qualitative d'appréciation va du "vide" à la "saturation", alors que celle des distributions peut aller, par exemple, de la "stricte régularité" à l' "irrégularité maximale".
La complexité maximale possible devient le référent pour le calcul du taux d'implication du composant dans la configuration de la complexité sonore globale. Le résultat est donc toujours une valeur relative, qui se traduit par un nombre réel situé entre (0.0) et (1.0), correspondant au taux de satisfaction du critère de complexité maximale.
Le grand avantage d'une évaluation relative par rapport à une évaluation absolue est que seule la première permet l'analyse comparée de composants ou d'objets hétérogènes [exemple].
Pour plusieurs raisons que nous développons dans la thèse, il a apparu pertinent d'analyser séparément le contenu achronique de chaque objet, en le dissociant, provisoirement, des modalités d'organisation temporelle. Pour ce faire, toutes les hauteurs, accompagnées des informations disponibles sur les intensités qui sont assignées à chacune, et autres données jugées pertinentes (pédales par exemple), sont ramenées au point 0 de l'axe du temps. L'objet est ainsi évaluéselon divers critères et modèles d'occupation et de distribution exclusivement "spatiales". Une fois ce contenu décrit, par des outils d'investigation appropriés, le facteur temps peut être réintroduit dans la procédure analytique comme élément distributeur/modulateur des propriétés achroniques.
Ces deux groupes d'évaluations sont par convention représentés dans un espace cartésien bidimensionnel virtuel, où la synthèse des évaluations achroniques occupe l'axe vertical des ordonnées, nomméS-AXIS, tandis que les informations relatives aux modalités d'occupation du temps sont portées sur l'autre axe, T-AXIS. Les modalités de déploiement du matériau dans le temps influant sur le taux final de complexité sonore de l'objet, en particulier par des effets de dilution, de concentration ou de discrimination de saillance, on dira que la structure diachronique d'un objet est un modulateur de son contenu achronique.
Structures achronique (a) et diachronique (b) du premier objet sonore de La Cathédrale engloutie de [Debussy 09]. La complexité de la structure achronique, provoquée simultanément par un très large ambitus, une épaisse densité et la présence de sons conjoints provoquant des dissonances, se trouve sensiblement diluée par une organisation diachronique qui en atténue les effets.
La structure achronique (a) et deux versions de la structure diachronique (b, c) du premier objet sonore de la Klavierstücke IX de [Stockhausen 54] . Ici, les qualités achroniques sont exacerbées par les qualités diachroniques.
La comparaison des pondérations ainsi affectées à une série d'objets permet d'évaluer quantitativement l'intervalle qualitatif qui les sépare. Du même coup, la voie est ouverte à une interprétation formelle-fonctionnelle des sonorités dans le cadre du projet compositionnel comme un tout. La séquence numérique des évaluations d'une série d'objets composant une oeuvre ou un fragment d'oeuvre peut résulter en une représentation graphique tridimensionnelle, qui s'apparente à celles proposées par plusieurs groupes de chercheurs [Grey 77], [Plomp 70], [Wessel 78], et al., visant à une description comparée des timbres instrumentaux. La figure ci-dessous en est un exemple.
Une sélection de 25 objets sonores (étiquetés par un numéro d'ordre) caractéristiques de l'Etude "pour les Sonorités Opposées" de [Debussy 15], décrits par leur contenu achronique (axe S) et le mode de distribution de ce contenu dans le temps (axe T).Le point 0 correspond à la complexité minimum, pour les deux axes. L'objet de numéro 23 est donc celui présentant la plus haute qualité sonore de la sélection.
A titre d'illustration, les coordonnées de 4 autres objets ont été mises en évidence. Ils éclairent la directionnalité négative du début de la pièce (objets 1, 3, 5, rappelés ci-dessous), et la cyclicité de la macro-structure sonore, puisque le dernier objet (54) rejoint le premier dans l'espace.
Nous allons à présent décrire très succinctement l'ensemble des composants qui, dans notre modèle méthodologique, participent de la structure écrite d'un objet. Leur interconnexion peut être représentée par un diagramme, qui donne en même temps une idée de l'interface utilisateur projetée pour le programme informatique [voir à ce sujet section 3 plus bas].
On voit dans le diagramme comment ces composants de base sont regroupés en couples modulé/modulateur pour produire des composés de synthèse, conformément ànos postulats.
Cette approche analytique fait appel à l'informatique pour la saisie, le traitement et la représentation des données. Nous avons choisi l'environnement logiciel Patchwork [Laurson 93] pour le développement des algorithmes d'assistance. A cette fin, il est créé autant de fichiers Midi que d'objets en lesquels a été segmentée la partition. La procédure de segmentation décrite plus haut n'a pas encore fait l'objet d'une automation informatique, car elle implique de complexes processus d'intelligence artificielle, par le fait qu'à tout instant des décisions d'arbitrage doivent être prises quant aux critères préférentiels de segmentation ou de réduction. Une telle implémentation constitue l'axe prioritaire de la prochaine étape de cette recherche.
Patchwork , environnement conçu a priori pour la composition, est basé sur la programmation fonctionnelle, au moyen de patches. Son interface, où chaque fonction se présente sous forme d'une "boîte" munie d'entrées clairement définies et d'une sortie, rend la programmation d'algorithmes complexes accessible à tout utilisateur non spécialiséen informatique. Cette programmation se réalise sous forme graphique, par une interconnexion des boîtes, appelées "modules", au moyen de "câbles" virtuels, et par la possibilité de représenter ces patches sous la forme de nouvelles boîtes, nommées "abstractions", le nombre et le niveau de profondeur d'imbrication hiérarchique des abstractions n'étant limité que par les capacités de l'ordinateur. Compatible avec la norme Midi, Patchwork peut recevoir à travers ce protocole, moyennant quelques conventions, la quasi totalité des informations contenues dans une partition pour piano (ce point est toutefois discutéde manière plus approfondi dans la thèse). Son aptitude à gérer et à interagir avec la connaissance musicale, et son architecture extensible, en font un outil qui pourrait autoriser le traitement critique des données musicales saisies, contribuant à l'intelligence de la structure musicale. Sous cet angle, il est susceptible de devenir un instrument d'aide à l'analyse musicale.
Chacun des composants des structures achroniques et diachroniques (décrits supra sections 2.6 et 2.7) correspond à un module Patchwork qui incorpore le (s) algorithme (s) nécessaire (s) à l'évaluation quantitative et/ou qualitative de sa participation à la configuration de la sonorité. Un module reçoit en entrée, soit le fichier Midi source - dont il extrait les seules données pertinentes pour le composant en question - , soit le résultat de l'évaluation d'un module en amont. Si le module est à l'intérieur de la chaîne hiérarchique des évaluations, il est connecté en sortie à un module subséquent. Comme nous l'avons déjà mentionné, la structure du programme informatique obéit strictement à celle représentée dans le diagramme . La figure ci-dessous reproduit un exemple typique des patches développés.
Le module "read" importe le fichier Midi. Le module "sco > notes" le présente sous forme d'une liste multiple, reprenant toutes les informations relatives aux événements Midi contenues dans l'original, par exemple:
((0 1 10300 35 80) (0 1 9800 35 80) (0 1 9600 35 80) (0 1 9100 35 80) (0 1 6700 35 80) (0 1 6200 35 80) (0 1 6000 35 80) (0 1 5500 35 80) (80 1 6000 35 440) (80 1 5200 35 440) (80 1 5500 35 440) (80 1 6400 35 440) (80 1 6700 40 440) (80 1 7200 40 440) (80 1 7600 40 440) (80 1 7900 40 440) (160 1 2400 35 360) (160 1 3100 35 360) (160 1 3600 35 360))
Les arguments de chaque sous-liste sont placés dans l'ordre (onset , canal Midi, note, vélocité, durée). Le fichier est stocké dans un "buffer" (mémoire-tampon). Les données sont décomposées et chaque argument de chaque sous-liste est envoyé, par le biais du module "matrix-transfert" ("mat-trans" dans la figure) à un module réservé: le module "onset" reçoit les onsets, le module "notes", les notes, etc.
Ce sont ces modules qui vont fournir les informations dont les algorithmes d'évaluation ont besoin. Ainsi, le module "band-éval-piano", dont la "boîte" renferme une série d'algorithmes, évalue la distribution des sons du fichier par registre pianistique, dans un univers convenu et justifié de sept registres dont les bornes (les "bands") ont été préalablement définies et programmées. Pour cela, il n'a besoin que des notes. C'est donc le module "notes" qu'il attend. La liste qu'il reçoit est la suivante, en l'occurrence :
(2400 3100 3600 5200 5500 6000 6200 6400 6700 7200 7600 7900 9100 9600 9800 10300)
dans laquelle chaque valeur correspond au troisième argument de chacune des sous-listes du fichier contenu dans le buffer .
Le patch "band-éval-piano" produit en retour une liste numérique indiquant le nombre de notes trouvées dans chacun des sept registres. Les registres sont présentés du plus grave à gauche de la liste, au plus aigu à droite :
(2 1 1 10 1 3 1)
L'évaluation produite par "band-éval" peut être utilisée telle quelle ; elle est en particulier intéressante pour établir une cartographie des registrations le long d'une pièce entière . Mais elle est également recyclable par un module subséquent ("reg") dont la fonction est de déduire la qualité sonore relative des registrations dans le fichier source, en fonction d'un certain nombre de postulats. La valeur retournée, en l'occurrence (1.00) dans l'exemple, représente le poids qualitatif de la registration dans la configuration de la sonorité particulière à cet objet . Cette valeur est ensuite réutilisée par d'autres modules, non représentés dans cet exemple.
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L'une des principales finalités de cette approche méthodologique est l'explicitation des relations entre les niveaux inférieur et supérieur de l'écriture, avec une emphase sur la fonction formelle de ces derniers, peu systématisée jusqu'à présent.
Nous aimerions montrer en conclusion un exemple concret d'application sur le Prélude "Brouillards" de [Debussy 09], exemple tiré de la thèse [Troisième Partie, Ch. 4]. Comme l'avait bien fait entrevoir [Schnebel 64], nous voyons dans cette oeuvre Debussy structurer la forme par l'articulation différentielle de sonorités, et non par un processus de transformation motivique. En d'autres termes, le pouvoir structurant habituellement confié à l'élément motivique se trouve dilué dans les systèmes d'articulation des sonorités.
En effet, tout le matériau de bas niveau de "Brouillards" (les pitch-classes) est généré par un processus de prolongation d'un motif générateur de base. Le concept de prolongation englobe aussi bien les techniques de répétition que celles de variations présentant peu de caractéristiques différentielles. L'essentiel de ce processus est montré de forme synthétique mais suffisamment claire, croyons-nous, dans l es analyses "muettes" ci-dessous.
Tous les procédés de variation étant simples, les affinités motiviques ne laissent jamais d'être prégnantes. La prolongation systématique et pratiquement omniprésente d'une idée basique confère à l'infrastructure une caractéristique anaphorique qui, par son aspect répétitif, monotone, statique, assure l'unité sonore de la pièce.
Par contre, la dynamique de sa structure repose pour l'essentiel sur des procédés de transformation de la configuration des objets sonores. Nous avons regroupéci-après quelques exemples du rapport dialectique qui s'instaure entre la relative invariance chromatique et la systématique d'opposition structurelle au plus haut niveau.
La transposition du motif donne au deuxième objet une sonorité un peu plus complexe, car il s'est légèrement déplacé vers le grave (graphe SPACE), tandis que l'ajout d'une note augmente simultanément le taux d'inharmonicité (HARMONICITY) et les densités spatio-temporelles (S et T-DENSITY). On remarque en outre qu'en valeurs absolues (/x/ de P-DIRECTION), la directionnalité du deuxième objet est très nettement plus prononcée, ce qui contribue aussi à sa complexification statistique, selon les postulats de cette approche analytique. On a mentionné l'infrastructure chromatique (numérotation par classes d'intervalles à partir de deux fondamentales indiquées en notation alphabétique) pour souligner la similarité infrastructurelle (le statisme) des deux objets.
Les différences entre ces deux objets, dont la similarité infrastructurelle est frappante, ne peuvent être décrites qu'à partir de l'étude de l'évolution de composants tels que la densité temporelle (T-DENSITY), les taux d'occupation de l'ambitus pianistique (SPACE) et de la linéarité de la distribution des notes (S-LINEARITY), la durée relative (SPAN) et l'enveloppe des intensités (V-ENVELOPPE), composants qui, tous, contribuent à une augmentation de la complexité sonore, tandis que d'autres agissent contradictoirement dans le sens d'une diminution de cette complexité: taux de dissonance (SONANCE) et profil directionel (/x/ P-DIRECTION). Une analyse du bas niveau ne pourrait qu'observer les transpositions parallèles Sol vers Réde l'accord et Sol vers Sol# de l'arpège.
Ici, finalement, la quasi-identité du contenu chromatique rend ce niveau d'analyse incapable d'expliquer le puissant contraste sonore, qui est obtenu, comme dans l'exemple antérieur, par des transformations qui simultanément augmentent (graphes du haut) et amoindrissent (graphes du bas) la complexité relative du deuxième objet. Le profil directionel PITCH-DIRECTION est cette fois expriméen valeurs réelles, qui informent le sens de la direction.
L'analyse complète de cette oeuvre nous a permis de conclure à une complémentarité des deux niveaux d'écriture, et à une partition des rôles qui laisse à l'organisation du super-niveau, celui des objets sonores, une part essentielle de responsabilité dans la structuration manifeste de la forme, confinant les relations motivico-chromatiques dans une fonction stabilisatrice sous-jacente.
Cet exemple met en lumière les conclusions que cette méthode permet d'avancer quant à certaines stratégies de structuration formelle qui deviendront fondamentales dans la praxis musicale après Debussy. Par un système cohérent d'évaluation de caractéristiques a priori hétérogènes, réalisée au moyen d'outils spécifiques, elle a pour but de permettre l'incorporation des dimensions complexes de la pensée du sonore à l'explicitation des modalités d'engendrement de la forme dans la musique du XXe siècle.
Lisez un article analysant les relations entre espace et forme dans "La Cathédrale engloutie".
La recherche et la thèse à l'origine de ce texte ont été réalisées avec l'aide financière du CNPQ (Centro Nacional da Pesquisa Científica, Brésil) et l' appui logistique de l'Ircam.Nous remercions G. Assayag, C. Rueda et M. Malt pour leur aide à la réalisation des patches et M. Battier pour ses observations et conseils.
Des renseignements sur la continuité de ce travail, sur l'auteur, sur les lieux où la thèse originale peut être consultée (outre la Médiathèque), ainsi que sur les modules Patchwork décrits dans ce texte, qui sont disponibles, peuvent être obtenus sur le site http://terra.npd.ufpb.br/~guigue.
Serveur © IRCAM - CENTRE POMPIDOU 1996-2005. Tous droits réservés pour tous pays. All rights reserved. |
1996
Copyright © Didier Guigue 1996
Cet article inédit présente de forme synthétique l'essentiel des objectifs, principes méthodologiques et résultats développés dans le cadre d'une Thèse de Doctorat réalisée à l'Ircam (Doctorat en Musique et Musicologie du XXe siècle de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) entre 1991 et 1996 [Guigue 96].
On peut porter au crédit de Debussy d'avoir contribué de manière définitive à la gestation d'une nouvelle esthétique musicale où l'image sonore devient concept, matériau intégralement incorporable au projet compositionnel à toutes les étapes de son élaboration. La notion d'objet sonore, définie comme structure complexe engendrée par la combinaison et l'interaction de plusieurs composants de l'écriture musicale, et dont l'articulation est susceptible de porter la forme, en tout ou partie, concrétise une notion qui deviendra si essentielle au cours du XXe siècle, qu'aucun courant esthétique n'a pu esquiver la question de sa formalisation.
La mise en évidence des conditions d'absorption par le langage musical, de cette articulation de la forme au plus haut niveau, c'est-à-dire à partir de ces objets, devient du même coup un des principaux enjeux de l'analyse.
Toutefois, la production analytique de notre siècle continue, pour des raisons que nous évoquons dans la thèse [Première Partie, Ch. 1], de ne s'intéresser de manière systématique qu'au niveau le plus sous-jacent de l'écriture: les modalités d'organisation des douze classes de hauteurs, considérées pratiquement comme le lieu sinon unique, du moins suffisant, de l'expression de la pensée musicale.
Notre approche, que, par emprunt à la terminologie informatique, nous définissons comme étant "orientée objets", vise précisément à mettre en lumière:
Circonscrite, provisoirement, au corpus paradigmatique que constitue la littérature pour piano, et, en même temps, àune approche restrite au "niveau neutre" de l'écrit musical [Nattiez 86], elle est assistée par un outil informatique spécifique développédans l'environnement Patchwork.
Il s'agit tout d'abord de reconfigurer le continuum musical symbolisé par la notation en une séquence d'objets. Un objet sonore étant le produit de l'interaction d'un nombre varié de composants que nous énumérerons plus avant, la rupture dans la continuité structurelle d'au moins un de ces composants implique une rupture dans la continuité sonore et, par conséquent, identifie une nouvelle étape structurelle, c'est-à-dire un nouvel objet.
Ces composants ne sont pas équivalents quant à leur capacité de concrétiser les ruptures du continuum, et par conséquent d'orienter la segmentation. Ils agissent sur des niveaux plus ou moins globaux de la surface séquentielle, niveaux qui varient en fonction des techniques d'écriture du compositeur, de l'oeuvre ou du contexte local. En termes de superficie musicale, ils se traduisent par des ruptures macro-formelles (respirations, silences, points d'orgues...), des interruptions de pédales et/ou de liaisons d'articulation, ruptures d'homogénéité dans les intensités, les registres, les configurations rythmiques, les densités, etc...De ce fait, tout objet entretient par définition un certain degré d'opposition avec les objets adjacents.
Si les critères de segmentation se veulent aveugles en regard des principes de découpage périodique adoptés par le compositeur - structure phraséologique, thématique, ... - ils n'interdisent pas leur éventuelle coïncidence, surtout à un niveau structurel hiérarchique élevé. Cette indépendance est toutefois fondamentale pour pouvoir évaluer les rapports instaurés entre ce niveau spécifique d'organisation (celui des objets) et les niveaux super-, sub-, ou adjacents.
La description de la structure sonore d'un objet passe, en premier lieu, dans le présent modèle, par l'évaluation de la qualité sonore intrinsèque de chaque note qui le constitue. Les données fournies par les recherches scientifiques en acoustique du piano ces trente dernières années [Boutillon 91], [Kent 77], [McFerrin 72], [Suzuki 90], et al., permettent de dégager assez précisément une relation typique, qui peut être réduite à un principe de décroissance pondérée de la complexité du timbre, proportionnelle à la hauteur de la fréquence fondamentale qui correspond à la note écrite. Nous avons modélisé cette relation au moyen de plusieurs équations, qui ne seront pas détaillées ici. Elles représentent respectivement les décroissances du nombre de partiels audibles, du taux d'amortissement du son, ainsi que la croissance du rang du partiel dominant au plan de l'intensité (décibels). Cette modélisation attribue un poids relatif à chaque note, appelé k, en fonction de sa hauteur nominale. Le graphique représente l'évolution de la valeur de k le long de la tessiture du piano.
Les deux points d'inflexion de la courbe se situent autour des notes Si1 et Do4 (Do4 = Do central). Le premier correspond à une rupture de continuité dans le matériau des cordes et leur nombre. Le modèle reproduit bien le ralentissement de la perte de qualité timbrale à cet endroit, dû, en particulier, à l'effet de detuning caractéristique du bicordage qui intervient à ce moment-là. L'accélération de la pente dans la deuxième moitié de ce segment (à partir de Ré3) corrobore les observations selon lesquelles les valeurs diminuent à peu près de moitié dans ce registre. A partir du milieu du clavier la décroissance se stabilise en devenant pratiquement linéaire.
Cette permanence causale [Schaeffer 66] peut être modulée jusqu'à un certain point par la vélocité d'attaque du marteau. Cette modulation, que nous appelons v , est modélisée par une équation complémentaire, qui augmente k en fonction de v.
Deux hauteurs (k = 0.1 et 1.0) modulées par diverses intensités:
Ce dernier exemple montre comment l'intensité peut compenser les différences qualitatives intrinsèques.
La synthèse des deux valeurs produit le facteur q, et la somme (pondérée) des facteurs q des notes constituant un objet constitue une abstraction quantifiée de sa complexité sonore intrinsèque relative. Il faut à présent évaluer l'incidence de la structure de l'objet sur cette complexité intrinsèque.
Nous avons établi que la structure d'un objet sonore peut être décrite comme étant le produit de l'interaction de plusieurs composants de l'écriture. Nous décrirons cette interaction à partir d'une proposition de [Berry 87]. La densité d'une structure sonore, qui désigne le nombre de sons qui la composent, est un élément déterminant pour la définition de son identité. Mais Berry; observe en même temps que la seule mesure du nombre d'individus composant chaque objet est en soi insuffisante : dans l'exemple ci-dessous, elle amènerait à la conclusion que les neuf objets sont identiques, ce qui ne reflète qu'une part de la réalité.
Il existe en effet un corollaire qualitatif à la densité: c'est la façon dont sont distribués ces sons, soit dans l' "espace", soit dans le "temps", soit dans les deux dimensions simultanément. Dans la première séquence (objets a-b-c), la position de la hauteur interne de chaque agrégat, en termes de distance intervallique par rapport aux deux autres notes, qui en bornent l'ambitus, évolue du symétrique parfait - une quinte juste de part et d'autre dans (a) - à son contraire absolu - septième majeure/seconde mineure dans (c). Cette évolution impose une dynamique sonore à l'ensemble, de type "consonance-vers-dissonance". Dans la deuxième (objets d-e-f), c'est l'irrégularité croissante de la distribution des trois événements dans le temps qui crée une progression linéaire analogue, du plus régulier (d) au plus irrégulier (f). Dans la troisième (objets g-h-i), la dynamique des deux dimensions, "verticale" et "horizontale", est combinée.
Dans les trois cas, on dira que la quantité "densitive", ici invariable, est modulée par la qualité "distributionnelle", dont la complexité augmente progressivement. En la circonstance, c'est l'évaluation de la distribution, et non de la densité, qui apporte une information intéressante sur la dynamique formelle qui habite ces trois séquences. On définira donc dans cette situation la distribution comme le composant actif, et la densité , comme le composant passif, de cette dynamique, et l'on dira que la distribution des sons dans l'espace et/ou le temps agit comme modulateur qualitatif de la densité.
Cette interaction entre deux composants complémentaires de l'écriture, l'un représentant une quantité, l'autre une qualité, constitue la base d'un réseau hiérarchiséde relations sur lequel se fonde notre approche méthodologique.
Pour illustrer la façon dont les relations interdépendent verticalement, c'est-à-dire hiérarchiquement, nous reprendrons la séquence a-b-c de cet exemple en introduisant de nouvelles variables.
L'analyse de la densité et de la distribution révèle que cette séquence est, sur ces points, identique à la première: la densité absolue reste fixée à trois sons, et la distribution des intervalles obéit au même modèle de progression linéaire, du plus symétrique (j) au plus assymétrique (l).
Mais cette fois, ce couple densité /distribution ne suffit plus à décrire la dynamique sonore de la séquence. Il faut aussi prendre en considération un autre couple d'éléments, à savoir l'ambitus, c'est-à-dire la taille de l'objet, mesurée conventionnellement en nombre de demi-tons entre les bornes grave et aigue, et la registration, c'est-à -dire la localisation de cet ambitus dans l'univers pianistique. L'ambitus est une variable quantitative, dont la valeur, en l'occurrence, diminue graduellement d'un objet à l'autre: j = 14 (demi-tons), k = 10, et l = 7. La registration, qui s'exprime par un glissement de l'aigu au grave, influe sur le résultat sonore produit par le resserrement de l'ambitus. Au contraire de l'ambitus, la registration est une variable qualitative. La relation entre ces deux composants est analogue à celle établie entre la densité et la distribution: la registration intervient comme un modulateur de la qualité de l'espace sonore attribuépar le compositeur à chacun des trois objets, espace qui se mesure, lui, en termes de quantité. Ce n'est qu'à l'intérieur de cette double dynamique - resserrement de l'espace versus descente vers le grave - qu'interfèrent, conjointement, la densité et la distribution des sons, qui représentent également, respectivement, des quantités et des qualités.
Il y a donc deux étapes d'interactions. La première concerne celle de la qualité "distribution" sur la quantité "densité" et, simultanément, celle de la qualité "registration" sur la quantité "ambitus". Pour saisir la deuxième étape, il faut passer à un niveau supérieur d'interprétation de l'écrit, et analyser le couple densité/distribution en tant que composant unifiéde l'écriture, dont les qualités propres vont moduler les structures sonores configurées par le couple ambitus/registration, qui est considéré lui aussi à présent comme un autre de ces composants unifiés. En d'autres termes, chaque couple produit un nouveau composant, plus complexe, parce que composite, et l'ensemble, un nouveau couple basé à son tour sur la complémentarité interactive quantité/qualité. On pourrait représenter les interactions en jeu dans cet exemple par le schéma suivant.
Les règles de notre procédure analytique peuvent en synthèse s'énoncer de la manière suivante:
1 - L'objet sonore, déduit du processus de segmentation du continuum musical décrit à la section précédente, est décomposé en un certain nombre de composants.
2 - Un composant se définit par le fait qu'il est accessible de manière objective, c'est-à-dire sans jugement préalable de valeur ou d'interprétation, à la lecture de la partition - tels les quatre que nous avons mentionnés dans les exemples ci-dessus.
3 - Ces composants sont d'ordre soit quantitatif, soit qualitatif. Chaque composant d'ordre qualitatif exerce une influence sur un composant d'ordre quantitatif. On dit que le premier module le second. Cette action produit, par synthèse, un nouveau composant, appelé composé. L'interaction quantité/qualité s'exprime de la manière suivante :
où r est le résultat, p le composant d'ordre quantitatif et m celui d'ordre qualitatif.
On aura compris que ce système est fondé sur une interprétation métaphorique de la technique de synthèse des sons par modulation de fréquences [Chowning 88].
Cette interaction complémentaire forme le premier niveau d'un réseau de relations structurelles.
4 - Ce réseau se ramifie par synthèses successives de couples de composés qui reproduisent le schéma d'interaction entre une quantité et une qualité. Chaque niveau subséquent de synthèse représente une dimension plus complexe, plus composite, de la structure de l'écrit musical, le dernier d'entre eux correspondant à ces objets sonores dont la successivité engendre, par différents degrés d'opposition, la dynamique de la forme.
Les composants sont évalués en fonction de leur participation à l'élaboration de la configuration sonore d'un objet donné. L'information qui sert de fondement à cette évaluation, est le taux de complexité relative que le compositeur a affectée au composant, au moyen de sa configuration écrite. La "complexité" maximum correspond à la configuration qui produit la sonorité la plus "complexe" possible - dans le domaine où le composant agit. Dans ce cas, le poids participatif attribué à ce composant est de 100 %. A l'autre bout, les configurations les plus simples sont celles qui génèrent les sonorités les plus "simples" possibles.
Naturellement, le signifiant des notions de "simplicité" et "complexité" varie en fonction de la nature du composant auquel on se réfère. Ainsi, si l'on parle de densités, l'échelle qualitative d'appréciation va du "vide" à la "saturation", alors que celle des distributions peut aller, par exemple, de la "stricte régularité" à l' "irrégularité maximale".
La complexité maximale possible devient le référent pour le calcul du taux d'implication du composant dans la configuration de la complexité sonore globale. Le résultat est donc toujours une valeur relative, qui se traduit par un nombre réel situé entre (0.0) et (1.0), correspondant au taux de satisfaction du critère de complexité maximale.
Le grand avantage d'une évaluation relative par rapport à une évaluation absolue est que seule la première permet l'analyse comparée de composants ou d'objets hétérogènes [exemple].
Pour plusieurs raisons que nous développons dans la thèse, il a apparu pertinent d'analyser séparément le contenu achronique de chaque objet, en le dissociant, provisoirement, des modalités d'organisation temporelle. Pour ce faire, toutes les hauteurs, accompagnées des informations disponibles sur les intensités qui sont assignées à chacune, et autres données jugées pertinentes (pédales par exemple), sont ramenées au point 0 de l'axe du temps. L'objet est ainsi évaluéselon divers critères et modèles d'occupation et de distribution exclusivement "spatiales". Une fois ce contenu décrit, par des outils d'investigation appropriés, le facteur temps peut être réintroduit dans la procédure analytique comme élément distributeur/modulateur des propriétés achroniques.
Ces deux groupes d'évaluations sont par convention représentés dans un espace cartésien bidimensionnel virtuel, où la synthèse des évaluations achroniques occupe l'axe vertical des ordonnées, nomméS-AXIS, tandis que les informations relatives aux modalités d'occupation du temps sont portées sur l'autre axe, T-AXIS. Les modalités de déploiement du matériau dans le temps influant sur le taux final de complexité sonore de l'objet, en particulier par des effets de dilution, de concentration ou de discrimination de saillance, on dira que la structure diachronique d'un objet est un modulateur de son contenu achronique.
Structures achronique (a) et diachronique (b) du premier objet sonore de La Cathédrale engloutie de [Debussy 09]. La complexité de la structure achronique, provoquée simultanément par un très large ambitus, une épaisse densité et la présence de sons conjoints provoquant des dissonances, se trouve sensiblement diluée par une organisation diachronique qui en atténue les effets.
La structure achronique (a) et deux versions de la structure diachronique (b, c) du premier objet sonore de la Klavierstücke IX de [Stockhausen 54] . Ici, les qualités achroniques sont exacerbées par les qualités diachroniques.
La comparaison des pondérations ainsi affectées à une série d'objets permet d'évaluer quantitativement l'intervalle qualitatif qui les sépare. Du même coup, la voie est ouverte à une interprétation formelle-fonctionnelle des sonorités dans le cadre du projet compositionnel comme un tout. La séquence numérique des évaluations d'une série d'objets composant une oeuvre ou un fragment d'oeuvre peut résulter en une représentation graphique tridimensionnelle, qui s'apparente à celles proposées par plusieurs groupes de chercheurs [Grey 77], [Plomp 70], [Wessel 78], et al., visant à une description comparée des timbres instrumentaux. La figure ci-dessous en est un exemple.
Une sélection de 25 objets sonores (étiquetés par un numéro d'ordre) caractéristiques de l'Etude "pour les Sonorités Opposées" de [Debussy 15], décrits par leur contenu achronique (axe S) et le mode de distribution de ce contenu dans le temps (axe T).Le point 0 correspond à la complexité minimum, pour les deux axes. L'objet de numéro 23 est donc celui présentant la plus haute qualité sonore de la sélection.
A titre d'illustration, les coordonnées de 4 autres objets ont été mises en évidence. Ils éclairent la directionnalité négative du début de la pièce (objets 1, 3, 5, rappelés ci-dessous), et la cyclicité de la macro-structure sonore, puisque le dernier objet (54) rejoint le premier dans l'espace.
Nous allons à présent décrire très succinctement l'ensemble des composants qui, dans notre modèle méthodologique, participent de la structure écrite d'un objet. Leur interconnexion peut être représentée par un diagramme, qui donne en même temps une idée de l'interface utilisateur projetée pour le programme informatique [voir à ce sujet section 3 plus bas].
On voit dans le diagramme comment ces composants de base sont regroupés en couples modulé/modulateur pour produire des composés de synthèse, conformément ànos postulats.
Cette approche analytique fait appel à l'informatique pour la saisie, le traitement et la représentation des données. Nous avons choisi l'environnement logiciel Patchwork [Laurson 93] pour le développement des algorithmes d'assistance. A cette fin, il est créé autant de fichiers Midi que d'objets en lesquels a été segmentée la partition. La procédure de segmentation décrite plus haut n'a pas encore fait l'objet d'une automation informatique, car elle implique de complexes processus d'intelligence artificielle, par le fait qu'à tout instant des décisions d'arbitrage doivent être prises quant aux critères préférentiels de segmentation ou de réduction. Une telle implémentation constitue l'axe prioritaire de la prochaine étape de cette recherche.
Patchwork , environnement conçu a priori pour la composition, est basé sur la programmation fonctionnelle, au moyen de patches. Son interface, où chaque fonction se présente sous forme d'une "boîte" munie d'entrées clairement définies et d'une sortie, rend la programmation d'algorithmes complexes accessible à tout utilisateur non spécialiséen informatique. Cette programmation se réalise sous forme graphique, par une interconnexion des boîtes, appelées "modules", au moyen de "câbles" virtuels, et par la possibilité de représenter ces patches sous la forme de nouvelles boîtes, nommées "abstractions", le nombre et le niveau de profondeur d'imbrication hiérarchique des abstractions n'étant limité que par les capacités de l'ordinateur. Compatible avec la norme Midi, Patchwork peut recevoir à travers ce protocole, moyennant quelques conventions, la quasi totalité des informations contenues dans une partition pour piano (ce point est toutefois discutéde manière plus approfondi dans la thèse). Son aptitude à gérer et à interagir avec la connaissance musicale, et son architecture extensible, en font un outil qui pourrait autoriser le traitement critique des données musicales saisies, contribuant à l'intelligence de la structure musicale. Sous cet angle, il est susceptible de devenir un instrument d'aide à l'analyse musicale.
Chacun des composants des structures achroniques et diachroniques (décrits supra sections 2.6 et 2.7) correspond à un module Patchwork qui incorpore le (s) algorithme (s) nécessaire (s) à l'évaluation quantitative et/ou qualitative de sa participation à la configuration de la sonorité. Un module reçoit en entrée, soit le fichier Midi source - dont il extrait les seules données pertinentes pour le composant en question - , soit le résultat de l'évaluation d'un module en amont. Si le module est à l'intérieur de la chaîne hiérarchique des évaluations, il est connecté en sortie à un module subséquent. Comme nous l'avons déjà mentionné, la structure du programme informatique obéit strictement à celle représentée dans le diagramme . La figure ci-dessous reproduit un exemple typique des patches développés.
Le module "read" importe le fichier Midi. Le module "sco > notes" le présente sous forme d'une liste multiple, reprenant toutes les informations relatives aux événements Midi contenues dans l'original, par exemple:
((0 1 10300 35 80) (0 1 9800 35 80) (0 1 9600 35 80) (0 1 9100 35 80) (0 1 6700 35 80) (0 1 6200 35 80) (0 1 6000 35 80) (0 1 5500 35 80) (80 1 6000 35 440) (80 1 5200 35 440) (80 1 5500 35 440) (80 1 6400 35 440) (80 1 6700 40 440) (80 1 7200 40 440) (80 1 7600 40 440) (80 1 7900 40 440) (160 1 2400 35 360) (160 1 3100 35 360) (160 1 3600 35 360))
Les arguments de chaque sous-liste sont placés dans l'ordre (onset , canal Midi, note, vélocité, durée). Le fichier est stocké dans un "buffer" (mémoire-tampon). Les données sont décomposées et chaque argument de chaque sous-liste est envoyé, par le biais du module "matrix-transfert" ("mat-trans" dans la figure) à un module réservé: le module "onset" reçoit les onsets, le module "notes", les notes, etc.
Ce sont ces modules qui vont fournir les informations dont les algorithmes d'évaluation ont besoin. Ainsi, le module "band-éval-piano", dont la "boîte" renferme une série d'algorithmes, évalue la distribution des sons du fichier par registre pianistique, dans un univers convenu et justifié de sept registres dont les bornes (les "bands") ont été préalablement définies et programmées. Pour cela, il n'a besoin que des notes. C'est donc le module "notes" qu'il attend. La liste qu'il reçoit est la suivante, en l'occurrence :
(2400 3100 3600 5200 5500 6000 6200 6400 6700 7200 7600 7900 9100 9600 9800 10300)
dans laquelle chaque valeur correspond au troisième argument de chacune des sous-listes du fichier contenu dans le buffer .
Le patch "band-éval-piano" produit en retour une liste numérique indiquant le nombre de notes trouvées dans chacun des sept registres. Les registres sont présentés du plus grave à gauche de la liste, au plus aigu à droite :
(2 1 1 10 1 3 1)
L'évaluation produite par "band-éval" peut être utilisée telle quelle ; elle est en particulier intéressante pour établir une cartographie des registrations le long d'une pièce entière . Mais elle est également recyclable par un module subséquent ("reg") dont la fonction est de déduire la qualité sonore relative des registrations dans le fichier source, en fonction d'un certain nombre de postulats. La valeur retournée, en l'occurrence (1.00) dans l'exemple, représente le poids qualitatif de la registration dans la configuration de la sonorité particulière à cet objet . Cette valeur est ensuite réutilisée par d'autres modules, non représentés dans cet exemple.
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L'une des principales finalités de cette approche méthodologique est l'explicitation des relations entre les niveaux inférieur et supérieur de l'écriture, avec une emphase sur la fonction formelle de ces derniers, peu systématisée jusqu'à présent.
Nous aimerions montrer en conclusion un exemple concret d'application sur le Prélude "Brouillards" de [Debussy 09], exemple tiré de la thèse [Troisième Partie, Ch. 4]. Comme l'avait bien fait entrevoir [Schnebel 64], nous voyons dans cette oeuvre Debussy structurer la forme par l'articulation différentielle de sonorités, et non par un processus de transformation motivique. En d'autres termes, le pouvoir structurant habituellement confié à l'élément motivique se trouve dilué dans les systèmes d'articulation des sonorités.
En effet, tout le matériau de bas niveau de "Brouillards" (les pitch-classes) est généré par un processus de prolongation d'un motif générateur de base. Le concept de prolongation englobe aussi bien les techniques de répétition que celles de variations présentant peu de caractéristiques différentielles. L'essentiel de ce processus est montré de forme synthétique mais suffisamment claire, croyons-nous, dans l es analyses "muettes" ci-dessous.
Tous les procédés de variation étant simples, les affinités motiviques ne laissent jamais d'être prégnantes. La prolongation systématique et pratiquement omniprésente d'une idée basique confère à l'infrastructure une caractéristique anaphorique qui, par son aspect répétitif, monotone, statique, assure l'unité sonore de la pièce.
Par contre, la dynamique de sa structure repose pour l'essentiel sur des procédés de transformation de la configuration des objets sonores. Nous avons regroupéci-après quelques exemples du rapport dialectique qui s'instaure entre la relative invariance chromatique et la systématique d'opposition structurelle au plus haut niveau.
La transposition du motif donne au deuxième objet une sonorité un peu plus complexe, car il s'est légèrement déplacé vers le grave (graphe SPACE), tandis que l'ajout d'une note augmente simultanément le taux d'inharmonicité (HARMONICITY) et les densités spatio-temporelles (S et T-DENSITY). On remarque en outre qu'en valeurs absolues (/x/ de P-DIRECTION), la directionnalité du deuxième objet est très nettement plus prononcée, ce qui contribue aussi à sa complexification statistique, selon les postulats de cette approche analytique. On a mentionné l'infrastructure chromatique (numérotation par classes d'intervalles à partir de deux fondamentales indiquées en notation alphabétique) pour souligner la similarité infrastructurelle (le statisme) des deux objets.
Les différences entre ces deux objets, dont la similarité infrastructurelle est frappante, ne peuvent être décrites qu'à partir de l'étude de l'évolution de composants tels que la densité temporelle (T-DENSITY), les taux d'occupation de l'ambitus pianistique (SPACE) et de la linéarité de la distribution des notes (S-LINEARITY), la durée relative (SPAN) et l'enveloppe des intensités (V-ENVELOPPE), composants qui, tous, contribuent à une augmentation de la complexité sonore, tandis que d'autres agissent contradictoirement dans le sens d'une diminution de cette complexité: taux de dissonance (SONANCE) et profil directionel (/x/ P-DIRECTION). Une analyse du bas niveau ne pourrait qu'observer les transpositions parallèles Sol vers Réde l'accord et Sol vers Sol# de l'arpège.
Ici, finalement, la quasi-identité du contenu chromatique rend ce niveau d'analyse incapable d'expliquer le puissant contraste sonore, qui est obtenu, comme dans l'exemple antérieur, par des transformations qui simultanément augmentent (graphes du haut) et amoindrissent (graphes du bas) la complexité relative du deuxième objet. Le profil directionel PITCH-DIRECTION est cette fois expriméen valeurs réelles, qui informent le sens de la direction.
L'analyse complète de cette oeuvre nous a permis de conclure à une complémentarité des deux niveaux d'écriture, et à une partition des rôles qui laisse à l'organisation du super-niveau, celui des objets sonores, une part essentielle de responsabilité dans la structuration manifeste de la forme, confinant les relations motivico-chromatiques dans une fonction stabilisatrice sous-jacente.
Cet exemple met en lumière les conclusions que cette méthode permet d'avancer quant à certaines stratégies de structuration formelle qui deviendront fondamentales dans la praxis musicale après Debussy. Par un système cohérent d'évaluation de caractéristiques a priori hétérogènes, réalisée au moyen d'outils spécifiques, elle a pour but de permettre l'incorporation des dimensions complexes de la pensée du sonore à l'explicitation des modalités d'engendrement de la forme dans la musique du XXe siècle.
Lisez un article analysant les relations entre espace et forme dans "La Cathédrale engloutie".
La recherche et la thèse à l'origine de ce texte ont été réalisées avec l'aide financière du CNPQ (Centro Nacional da Pesquisa Científica, Brésil) et l' appui logistique de l'Ircam.Nous remercions G. Assayag, C. Rueda et M. Malt pour leur aide à la réalisation des patches et M. Battier pour ses observations et conseils.
Des renseignements sur la continuité de ce travail, sur l'auteur, sur les lieux où la thèse originale peut être consultée (outre la Médiathèque), ainsi que sur les modules Patchwork décrits dans ce texte, qui sont disponibles, peuvent être obtenus sur le site http://terra.npd.ufpb.br/~guigue.
Serveur © IRCAM - CENTRE POMPIDOU 1996-2005. Tous droits réservés pour tous pays. All rights reserved. |
1996
Copyright © Didier Guigue 1996
Cet article inédit présente de forme synthétique l'essentiel des objectifs, principes méthodologiques et résultats développés dans le cadre d'une Thèse de Doctorat réalisée à l'Ircam (Doctorat en Musique et Musicologie du XXe siècle de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) entre 1991 et 1996 [Guigue 96].
On peut porter au crédit de Debussy d'avoir contribué de manière définitive à la gestation d'une nouvelle esthétique musicale où l'image sonore devient concept, matériau intégralement incorporable au projet compositionnel à toutes les étapes de son élaboration. La notion d'objet sonore, définie comme structure complexe engendrée par la combinaison et l'interaction de plusieurs composants de l'écriture musicale, et dont l'articulation est susceptible de porter la forme, en tout ou partie, concrétise une notion qui deviendra si essentielle au cours du XXe siècle, qu'aucun courant esthétique n'a pu esquiver la question de sa formalisation.
La mise en évidence des conditions d'absorption par le langage musical, de cette articulation de la forme au plus haut niveau, c'est-à-dire à partir de ces objets, devient du même coup un des principaux enjeux de l'analyse.
Toutefois, la production analytique de notre siècle continue, pour des raisons que nous évoquons dans la thèse [Première Partie, Ch. 1], de ne s'intéresser de manière systématique qu'au niveau le plus sous-jacent de l'écriture: les modalités d'organisation des douze classes de hauteurs, considérées pratiquement comme le lieu sinon unique, du moins suffisant, de l'expression de la pensée musicale.
Notre approche, que, par emprunt à la terminologie informatique, nous définissons comme étant "orientée objets", vise précisément à mettre en lumière:
Circonscrite, provisoirement, au corpus paradigmatique que constitue la littérature pour piano, et, en même temps, àune approche restrite au "niveau neutre" de l'écrit musical [Nattiez 86], elle est assistée par un outil informatique spécifique développédans l'environnement Patchwork.
Il s'agit tout d'abord de reconfigurer le continuum musical symbolisé par la notation en une séquence d'objets. Un objet sonore étant le produit de l'interaction d'un nombre varié de composants que nous énumérerons plus avant, la rupture dans la continuité structurelle d'au moins un de ces composants implique une rupture dans la continuité sonore et, par conséquent, identifie une nouvelle étape structurelle, c'est-à-dire un nouvel objet.
Ces composants ne sont pas équivalents quant à leur capacité de concrétiser les ruptures du continuum, et par conséquent d'orienter la segmentation. Ils agissent sur des niveaux plus ou moins globaux de la surface séquentielle, niveaux qui varient en fonction des techniques d'écriture du compositeur, de l'oeuvre ou du contexte local. En termes de superficie musicale, ils se traduisent par des ruptures macro-formelles (respirations, silences, points d'orgues...), des interruptions de pédales et/ou de liaisons d'articulation, ruptures d'homogénéité dans les intensités, les registres, les configurations rythmiques, les densités, etc...De ce fait, tout objet entretient par définition un certain degré d'opposition avec les objets adjacents.
Si les critères de segmentation se veulent aveugles en regard des principes de découpage périodique adoptés par le compositeur - structure phraséologique, thématique, ... - ils n'interdisent pas leur éventuelle coïncidence, surtout à un niveau structurel hiérarchique élevé. Cette indépendance est toutefois fondamentale pour pouvoir évaluer les rapports instaurés entre ce niveau spécifique d'organisation (celui des objets) et les niveaux super-, sub-, ou adjacents.
La description de la structure sonore d'un objet passe, en premier lieu, dans le présent modèle, par l'évaluation de la qualité sonore intrinsèque de chaque note qui le constitue. Les données fournies par les recherches scientifiques en acoustique du piano ces trente dernières années [Boutillon 91], [Kent 77], [McFerrin 72], [Suzuki 90], et al., permettent de dégager assez précisément une relation typique, qui peut être réduite à un principe de décroissance pondérée de la complexité du timbre, proportionnelle à la hauteur de la fréquence fondamentale qui correspond à la note écrite. Nous avons modélisé cette relation au moyen de plusieurs équations, qui ne seront pas détaillées ici. Elles représentent respectivement les décroissances du nombre de partiels audibles, du taux d'amortissement du son, ainsi que la croissance du rang du partiel dominant au plan de l'intensité (décibels). Cette modélisation attribue un poids relatif à chaque note, appelé k, en fonction de sa hauteur nominale. Le graphique représente l'évolution de la valeur de k le long de la tessiture du piano.
Les deux points d'inflexion de la courbe se situent autour des notes Si1 et Do4 (Do4 = Do central). Le premier correspond à une rupture de continuité dans le matériau des cordes et leur nombre. Le modèle reproduit bien le ralentissement de la perte de qualité timbrale à cet endroit, dû, en particulier, à l'effet de detuning caractéristique du bicordage qui intervient à ce moment-là. L'accélération de la pente dans la deuxième moitié de ce segment (à partir de Ré3) corrobore les observations selon lesquelles les valeurs diminuent à peu près de moitié dans ce registre. A partir du milieu du clavier la décroissance se stabilise en devenant pratiquement linéaire.
Cette permanence causale [Schaeffer 66] peut être modulée jusqu'à un certain point par la vélocité d'attaque du marteau. Cette modulation, que nous appelons v , est modélisée par une équation complémentaire, qui augmente k en fonction de v.
Deux hauteurs (k = 0.1 et 1.0) modulées par diverses intensités:
Ce dernier exemple montre comment l'intensité peut compenser les différences qualitatives intrinsèques.
La synthèse des deux valeurs produit le facteur q, et la somme (pondérée) des facteurs q des notes constituant un objet constitue une abstraction quantifiée de sa complexité sonore intrinsèque relative. Il faut à présent évaluer l'incidence de la structure de l'objet sur cette complexité intrinsèque.
Nous avons établi que la structure d'un objet sonore peut être décrite comme étant le produit de l'interaction de plusieurs composants de l'écriture. Nous décrirons cette interaction à partir d'une proposition de [Berry 87]. La densité d'une structure sonore, qui désigne le nombre de sons qui la composent, est un élément déterminant pour la définition de son identité. Mais Berry; observe en même temps que la seule mesure du nombre d'individus composant chaque objet est en soi insuffisante : dans l'exemple ci-dessous, elle amènerait à la conclusion que les neuf objets sont identiques, ce qui ne reflète qu'une part de la réalité.
Il existe en effet un corollaire qualitatif à la densité: c'est la façon dont sont distribués ces sons, soit dans l' "espace", soit dans le "temps", soit dans les deux dimensions simultanément. Dans la première séquence (objets a-b-c), la position de la hauteur interne de chaque agrégat, en termes de distance intervallique par rapport aux deux autres notes, qui en bornent l'ambitus, évolue du symétrique parfait - une quinte juste de part et d'autre dans (a) - à son contraire absolu - septième majeure/seconde mineure dans (c). Cette évolution impose une dynamique sonore à l'ensemble, de type "consonance-vers-dissonance". Dans la deuxième (objets d-e-f), c'est l'irrégularité croissante de la distribution des trois événements dans le temps qui crée une progression linéaire analogue, du plus régulier (d) au plus irrégulier (f). Dans la troisième (objets g-h-i), la dynamique des deux dimensions, "verticale" et "horizontale", est combinée.
Dans les trois cas, on dira que la quantité "densitive", ici invariable, est modulée par la qualité "distributionnelle", dont la complexité augmente progressivement. En la circonstance, c'est l'évaluation de la distribution, et non de la densité, qui apporte une information intéressante sur la dynamique formelle qui habite ces trois séquences. On définira donc dans cette situation la distribution comme le composant actif, et la densité , comme le composant passif, de cette dynamique, et l'on dira que la distribution des sons dans l'espace et/ou le temps agit comme modulateur qualitatif de la densité.
Cette interaction entre deux composants complémentaires de l'écriture, l'un représentant une quantité, l'autre une qualité, constitue la base d'un réseau hiérarchiséde relations sur lequel se fonde notre approche méthodologique.
Pour illustrer la façon dont les relations interdépendent verticalement, c'est-à-dire hiérarchiquement, nous reprendrons la séquence a-b-c de cet exemple en introduisant de nouvelles variables.
L'analyse de la densité et de la distribution révèle que cette séquence est, sur ces points, identique à la première: la densité absolue reste fixée à trois sons, et la distribution des intervalles obéit au même modèle de progression linéaire, du plus symétrique (j) au plus assymétrique (l).
Mais cette fois, ce couple densité /distribution ne suffit plus à décrire la dynamique sonore de la séquence. Il faut aussi prendre en considération un autre couple d'éléments, à savoir l'ambitus, c'est-à-dire la taille de l'objet, mesurée conventionnellement en nombre de demi-tons entre les bornes grave et aigue, et la registration, c'est-à -dire la localisation de cet ambitus dans l'univers pianistique. L'ambitus est une variable quantitative, dont la valeur, en l'occurrence, diminue graduellement d'un objet à l'autre: j = 14 (demi-tons), k = 10, et l = 7. La registration, qui s'exprime par un glissement de l'aigu au grave, influe sur le résultat sonore produit par le resserrement de l'ambitus. Au contraire de l'ambitus, la registration est une variable qualitative. La relation entre ces deux composants est analogue à celle établie entre la densité et la distribution: la registration intervient comme un modulateur de la qualité de l'espace sonore attribuépar le compositeur à chacun des trois objets, espace qui se mesure, lui, en termes de quantité. Ce n'est qu'à l'intérieur de cette double dynamique - resserrement de l'espace versus descente vers le grave - qu'interfèrent, conjointement, la densité et la distribution des sons, qui représentent également, respectivement, des quantités et des qualités.
Il y a donc deux étapes d'interactions. La première concerne celle de la qualité "distribution" sur la quantité "densité" et, simultanément, celle de la qualité "registration" sur la quantité "ambitus". Pour saisir la deuxième étape, il faut passer à un niveau supérieur d'interprétation de l'écrit, et analyser le couple densité/distribution en tant que composant unifiéde l'écriture, dont les qualités propres vont moduler les structures sonores configurées par le couple ambitus/registration, qui est considéré lui aussi à présent comme un autre de ces composants unifiés. En d'autres termes, chaque couple produit un nouveau composant, plus complexe, parce que composite, et l'ensemble, un nouveau couple basé à son tour sur la complémentarité interactive quantité/qualité. On pourrait représenter les interactions en jeu dans cet exemple par le schéma suivant.
Les règles de notre procédure analytique peuvent en synthèse s'énoncer de la manière suivante:
1 - L'objet sonore, déduit du processus de segmentation du continuum musical décrit à la section précédente, est décomposé en un certain nombre de composants.
2 - Un composant se définit par le fait qu'il est accessible de manière objective, c'est-à-dire sans jugement préalable de valeur ou d'interprétation, à la lecture de la partition - tels les quatre que nous avons mentionnés dans les exemples ci-dessus.
3 - Ces composants sont d'ordre soit quantitatif, soit qualitatif. Chaque composant d'ordre qualitatif exerce une influence sur un composant d'ordre quantitatif. On dit que le premier module le second. Cette action produit, par synthèse, un nouveau composant, appelé composé. L'interaction quantité/qualité s'exprime de la manière suivante :
où r est le résultat, p le composant d'ordre quantitatif et m celui d'ordre qualitatif.
On aura compris que ce système est fondé sur une interprétation métaphorique de la technique de synthèse des sons par modulation de fréquences [Chowning 88].
Cette interaction complémentaire forme le premier niveau d'un réseau de relations structurelles.
4 - Ce réseau se ramifie par synthèses successives de couples de composés qui reproduisent le schéma d'interaction entre une quantité et une qualité. Chaque niveau subséquent de synthèse représente une dimension plus complexe, plus composite, de la structure de l'écrit musical, le dernier d'entre eux correspondant à ces objets sonores dont la successivité engendre, par différents degrés d'opposition, la dynamique de la forme.
Les composants sont évalués en fonction de leur participation à l'élaboration de la configuration sonore d'un objet donné. L'information qui sert de fondement à cette évaluation, est le taux de complexité relative que le compositeur a affectée au composant, au moyen de sa configuration écrite. La "complexité" maximum correspond à la configuration qui produit la sonorité la plus "complexe" possible - dans le domaine où le composant agit. Dans ce cas, le poids participatif attribué à ce composant est de 100 %. A l'autre bout, les configurations les plus simples sont celles qui génèrent les sonorités les plus "simples" possibles.
Naturellement, le signifiant des notions de "simplicité" et "complexité" varie en fonction de la nature du composant auquel on se réfère. Ainsi, si l'on parle de densités, l'échelle qualitative d'appréciation va du "vide" à la "saturation", alors que celle des distributions peut aller, par exemple, de la "stricte régularité" à l' "irrégularité maximale".
La complexité maximale possible devient le référent pour le calcul du taux d'implication du composant dans la configuration de la complexité sonore globale. Le résultat est donc toujours une valeur relative, qui se traduit par un nombre réel situé entre (0.0) et (1.0), correspondant au taux de satisfaction du critère de complexité maximale.
Le grand avantage d'une évaluation relative par rapport à une évaluation absolue est que seule la première permet l'analyse comparée de composants ou d'objets hétérogènes [exemple].
Pour plusieurs raisons que nous développons dans la thèse, il a apparu pertinent d'analyser séparément le contenu achronique de chaque objet, en le dissociant, provisoirement, des modalités d'organisation temporelle. Pour ce faire, toutes les hauteurs, accompagnées des informations disponibles sur les intensités qui sont assignées à chacune, et autres données jugées pertinentes (pédales par exemple), sont ramenées au point 0 de l'axe du temps. L'objet est ainsi évaluéselon divers critères et modèles d'occupation et de distribution exclusivement "spatiales". Une fois ce contenu décrit, par des outils d'investigation appropriés, le facteur temps peut être réintroduit dans la procédure analytique comme élément distributeur/modulateur des propriétés achroniques.
Ces deux groupes d'évaluations sont par convention représentés dans un espace cartésien bidimensionnel virtuel, où la synthèse des évaluations achroniques occupe l'axe vertical des ordonnées, nomméS-AXIS, tandis que les informations relatives aux modalités d'occupation du temps sont portées sur l'autre axe, T-AXIS. Les modalités de déploiement du matériau dans le temps influant sur le taux final de complexité sonore de l'objet, en particulier par des effets de dilution, de concentration ou de discrimination de saillance, on dira que la structure diachronique d'un objet est un modulateur de son contenu achronique.
Structures achronique (a) et diachronique (b) du premier objet sonore de La Cathédrale engloutie de [Debussy 09]. La complexité de la structure achronique, provoquée simultanément par un très large ambitus, une épaisse densité et la présence de sons conjoints provoquant des dissonances, se trouve sensiblement diluée par une organisation diachronique qui en atténue les effets.
La structure achronique (a) et deux versions de la structure diachronique (b, c) du premier objet sonore de la Klavierstücke IX de [Stockhausen 54] . Ici, les qualités achroniques sont exacerbées par les qualités diachroniques.
La comparaison des pondérations ainsi affectées à une série d'objets permet d'évaluer quantitativement l'intervalle qualitatif qui les sépare. Du même coup, la voie est ouverte à une interprétation formelle-fonctionnelle des sonorités dans le cadre du projet compositionnel comme un tout. La séquence numérique des évaluations d'une série d'objets composant une oeuvre ou un fragment d'oeuvre peut résulter en une représentation graphique tridimensionnelle, qui s'apparente à celles proposées par plusieurs groupes de chercheurs [Grey 77], [Plomp 70], [Wessel 78], et al., visant à une description comparée des timbres instrumentaux. La figure ci-dessous en est un exemple.
Une sélection de 25 objets sonores (étiquetés par un numéro d'ordre) caractéristiques de l'Etude "pour les Sonorités Opposées" de [Debussy 15], décrits par leur contenu achronique (axe S) et le mode de distribution de ce contenu dans le temps (axe T).Le point 0 correspond à la complexité minimum, pour les deux axes. L'objet de numéro 23 est donc celui présentant la plus haute qualité sonore de la sélection.
A titre d'illustration, les coordonnées de 4 autres objets ont été mises en évidence. Ils éclairent la directionnalité négative du début de la pièce (objets 1, 3, 5, rappelés ci-dessous), et la cyclicité de la macro-structure sonore, puisque le dernier objet (54) rejoint le premier dans l'espace.
Nous allons à présent décrire très succinctement l'ensemble des composants qui, dans notre modèle méthodologique, participent de la structure écrite d'un objet. Leur interconnexion peut être représentée par un diagramme, qui donne en même temps une idée de l'interface utilisateur projetée pour le programme informatique [voir à ce sujet section 3 plus bas].
On voit dans le diagramme comment ces composants de base sont regroupés en couples modulé/modulateur pour produire des composés de synthèse, conformément ànos postulats.
Cette approche analytique fait appel à l'informatique pour la saisie, le traitement et la représentation des données. Nous avons choisi l'environnement logiciel Patchwork [Laurson 93] pour le développement des algorithmes d'assistance. A cette fin, il est créé autant de fichiers Midi que d'objets en lesquels a été segmentée la partition. La procédure de segmentation décrite plus haut n'a pas encore fait l'objet d'une automation informatique, car elle implique de complexes processus d'intelligence artificielle, par le fait qu'à tout instant des décisions d'arbitrage doivent être prises quant aux critères préférentiels de segmentation ou de réduction. Une telle implémentation constitue l'axe prioritaire de la prochaine étape de cette recherche.
Patchwork , environnement conçu a priori pour la composition, est basé sur la programmation fonctionnelle, au moyen de patches. Son interface, où chaque fonction se présente sous forme d'une "boîte" munie d'entrées clairement définies et d'une sortie, rend la programmation d'algorithmes complexes accessible à tout utilisateur non spécialiséen informatique. Cette programmation se réalise sous forme graphique, par une interconnexion des boîtes, appelées "modules", au moyen de "câbles" virtuels, et par la possibilité de représenter ces patches sous la forme de nouvelles boîtes, nommées "abstractions", le nombre et le niveau de profondeur d'imbrication hiérarchique des abstractions n'étant limité que par les capacités de l'ordinateur. Compatible avec la norme Midi, Patchwork peut recevoir à travers ce protocole, moyennant quelques conventions, la quasi totalité des informations contenues dans une partition pour piano (ce point est toutefois discutéde manière plus approfondi dans la thèse). Son aptitude à gérer et à interagir avec la connaissance musicale, et son architecture extensible, en font un outil qui pourrait autoriser le traitement critique des données musicales saisies, contribuant à l'intelligence de la structure musicale. Sous cet angle, il est susceptible de devenir un instrument d'aide à l'analyse musicale.
Chacun des composants des structures achroniques et diachroniques (décrits supra sections 2.6 et 2.7) correspond à un module Patchwork qui incorpore le (s) algorithme (s) nécessaire (s) à l'évaluation quantitative et/ou qualitative de sa participation à la configuration de la sonorité. Un module reçoit en entrée, soit le fichier Midi source - dont il extrait les seules données pertinentes pour le composant en question - , soit le résultat de l'évaluation d'un module en amont. Si le module est à l'intérieur de la chaîne hiérarchique des évaluations, il est connecté en sortie à un module subséquent. Comme nous l'avons déjà mentionné, la structure du programme informatique obéit strictement à celle représentée dans le diagramme . La figure ci-dessous reproduit un exemple typique des patches développés.
Le module "read" importe le fichier Midi. Le module "sco > notes" le présente sous forme d'une liste multiple, reprenant toutes les informations relatives aux événements Midi contenues dans l'original, par exemple:
((0 1 10300 35 80) (0 1 9800 35 80) (0 1 9600 35 80) (0 1 9100 35 80) (0 1 6700 35 80) (0 1 6200 35 80) (0 1 6000 35 80) (0 1 5500 35 80) (80 1 6000 35 440) (80 1 5200 35 440) (80 1 5500 35 440) (80 1 6400 35 440) (80 1 6700 40 440) (80 1 7200 40 440) (80 1 7600 40 440) (80 1 7900 40 440) (160 1 2400 35 360) (160 1 3100 35 360) (160 1 3600 35 360))
Les arguments de chaque sous-liste sont placés dans l'ordre (onset , canal Midi, note, vélocité, durée). Le fichier est stocké dans un "buffer" (mémoire-tampon). Les données sont décomposées et chaque argument de chaque sous-liste est envoyé, par le biais du module "matrix-transfert" ("mat-trans" dans la figure) à un module réservé: le module "onset" reçoit les onsets, le module "notes", les notes, etc.
Ce sont ces modules qui vont fournir les informations dont les algorithmes d'évaluation ont besoin. Ainsi, le module "band-éval-piano", dont la "boîte" renferme une série d'algorithmes, évalue la distribution des sons du fichier par registre pianistique, dans un univers convenu et justifié de sept registres dont les bornes (les "bands") ont été préalablement définies et programmées. Pour cela, il n'a besoin que des notes. C'est donc le module "notes" qu'il attend. La liste qu'il reçoit est la suivante, en l'occurrence :
(2400 3100 3600 5200 5500 6000 6200 6400 6700 7200 7600 7900 9100 9600 9800 10300)
dans laquelle chaque valeur correspond au troisième argument de chacune des sous-listes du fichier contenu dans le buffer .
Le patch "band-éval-piano" produit en retour une liste numérique indiquant le nombre de notes trouvées dans chacun des sept registres. Les registres sont présentés du plus grave à gauche de la liste, au plus aigu à droite :
(2 1 1 10 1 3 1)
L'évaluation produite par "band-éval" peut être utilisée telle quelle ; elle est en particulier intéressante pour établir une cartographie des registrations le long d'une pièce entière . Mais elle est également recyclable par un module subséquent ("reg") dont la fonction est de déduire la qualité sonore relative des registrations dans le fichier source, en fonction d'un certain nombre de postulats. La valeur retournée, en l'occurrence (1.00) dans l'exemple, représente le poids qualitatif de la registration dans la configuration de la sonorité particulière à cet objet . Cette valeur est ensuite réutilisée par d'autres modules, non représentés dans cet exemple.
Lisez un article décrivant d'autres patches - Téléchargez des patches
L'une des principales finalités de cette approche méthodologique est l'explicitation des relations entre les niveaux inférieur et supérieur de l'écriture, avec une emphase sur la fonction formelle de ces derniers, peu systématisée jusqu'à présent.
Nous aimerions montrer en conclusion un exemple concret d'application sur le Prélude "Brouillards" de [Debussy 09], exemple tiré de la thèse [Troisième Partie, Ch. 4]. Comme l'avait bien fait entrevoir [Schnebel 64], nous voyons dans cette oeuvre Debussy structurer la forme par l'articulation différentielle de sonorités, et non par un processus de transformation motivique. En d'autres termes, le pouvoir structurant habituellement confié à l'élément motivique se trouve dilué dans les systèmes d'articulation des sonorités.
En effet, tout le matériau de bas niveau de "Brouillards" (les pitch-classes) est généré par un processus de prolongation d'un motif générateur de base. Le concept de prolongation englobe aussi bien les techniques de répétition que celles de variations présentant peu de caractéristiques différentielles. L'essentiel de ce processus est montré de forme synthétique mais suffisamment claire, croyons-nous, dans l es analyses "muettes" ci-dessous.
Tous les procédés de variation étant simples, les affinités motiviques ne laissent jamais d'être prégnantes. La prolongation systématique et pratiquement omniprésente d'une idée basique confère à l'infrastructure une caractéristique anaphorique qui, par son aspect répétitif, monotone, statique, assure l'unité sonore de la pièce.
Par contre, la dynamique de sa structure repose pour l'essentiel sur des procédés de transformation de la configuration des objets sonores. Nous avons regroupéci-après quelques exemples du rapport dialectique qui s'instaure entre la relative invariance chromatique et la systématique d'opposition structurelle au plus haut niveau.
La transposition du motif donne au deuxième objet une sonorité un peu plus complexe, car il s'est légèrement déplacé vers le grave (graphe SPACE), tandis que l'ajout d'une note augmente simultanément le taux d'inharmonicité (HARMONICITY) et les densités spatio-temporelles (S et T-DENSITY). On remarque en outre qu'en valeurs absolues (/x/ de P-DIRECTION), la directionnalité du deuxième objet est très nettement plus prononcée, ce qui contribue aussi à sa complexification statistique, selon les postulats de cette approche analytique. On a mentionné l'infrastructure chromatique (numérotation par classes d'intervalles à partir de deux fondamentales indiquées en notation alphabétique) pour souligner la similarité infrastructurelle (le statisme) des deux objets.
Les différences entre ces deux objets, dont la similarité infrastructurelle est frappante, ne peuvent être décrites qu'à partir de l'étude de l'évolution de composants tels que la densité temporelle (T-DENSITY), les taux d'occupation de l'ambitus pianistique (SPACE) et de la linéarité de la distribution des notes (S-LINEARITY), la durée relative (SPAN) et l'enveloppe des intensités (V-ENVELOPPE), composants qui, tous, contribuent à une augmentation de la complexité sonore, tandis que d'autres agissent contradictoirement dans le sens d'une diminution de cette complexité: taux de dissonance (SONANCE) et profil directionel (/x/ P-DIRECTION). Une analyse du bas niveau ne pourrait qu'observer les transpositions parallèles Sol vers Réde l'accord et Sol vers Sol# de l'arpège.
Ici, finalement, la quasi-identité du contenu chromatique rend ce niveau d'analyse incapable d'expliquer le puissant contraste sonore, qui est obtenu, comme dans l'exemple antérieur, par des transformations qui simultanément augmentent (graphes du haut) et amoindrissent (graphes du bas) la complexité relative du deuxième objet. Le profil directionel PITCH-DIRECTION est cette fois expriméen valeurs réelles, qui informent le sens de la direction.
L'analyse complète de cette oeuvre nous a permis de conclure à une complémentarité des deux niveaux d'écriture, et à une partition des rôles qui laisse à l'organisation du super-niveau, celui des objets sonores, une part essentielle de responsabilité dans la structuration manifeste de la forme, confinant les relations motivico-chromatiques dans une fonction stabilisatrice sous-jacente.
Cet exemple met en lumière les conclusions que cette méthode permet d'avancer quant à certaines stratégies de structuration formelle qui deviendront fondamentales dans la praxis musicale après Debussy. Par un système cohérent d'évaluation de caractéristiques a priori hétérogènes, réalisée au moyen d'outils spécifiques, elle a pour but de permettre l'incorporation des dimensions complexes de la pensée du sonore à l'explicitation des modalités d'engendrement de la forme dans la musique du XXe siècle.
Lisez un article analysant les relations entre espace et forme dans "La Cathédrale engloutie".
La recherche et la thèse à l'origine de ce texte ont été réalisées avec l'aide financière du CNPQ (Centro Nacional da Pesquisa Científica, Brésil) et l' appui logistique de l'Ircam.Nous remercions G. Assayag, C. Rueda et M. Malt pour leur aide à la réalisation des patches et M. Battier pour ses observations et conseils.
Des renseignements sur la continuité de ce travail, sur l'auteur, sur les lieux où la thèse originale peut être consultée (outre la Médiathèque), ainsi que sur les modules Patchwork décrits dans ce texte, qui sont disponibles, peuvent être obtenus sur le site http://terra.npd.ufpb.br/~guigue.
Serveur © IRCAM - CENTRE POMPIDOU 1996-2005. Tous droits réservés pour tous pays. All rights reserved. |
1996
Copyright © Didier Guigue 1996
Cet article inédit présente de forme synthétique l'essentiel des objectifs, principes méthodologiques et résultats développés dans le cadre d'une Thèse de Doctorat réalisée à l'Ircam (Doctorat en Musique et Musicologie du XXe siècle de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) entre 1991 et 1996 [Guigue 96].
On peut porter au crédit de Debussy d'avoir contribué de manière définitive à la gestation d'une nouvelle esthétique musicale où l'image sonore devient concept, matériau intégralement incorporable au projet compositionnel à toutes les étapes de son élaboration. La notion d'objet sonore, définie comme structure complexe engendrée par la combinaison et l'interaction de plusieurs composants de l'écriture musicale, et dont l'articulation est susceptible de porter la forme, en tout ou partie, concrétise une notion qui deviendra si essentielle au cours du XXe siècle, qu'aucun courant esthétique n'a pu esquiver la question de sa formalisation.
La mise en évidence des conditions d'absorption par le langage musical, de cette articulation de la forme au plus haut niveau, c'est-à-dire à partir de ces objets, devient du même coup un des principaux enjeux de l'analyse.
Toutefois, la production analytique de notre siècle continue, pour des raisons que nous évoquons dans la thèse [Première Partie, Ch. 1], de ne s'intéresser de manière systématique qu'au niveau le plus sous-jacent de l'écriture: les modalités d'organisation des douze classes de hauteurs, considérées pratiquement comme le lieu sinon unique, du moins suffisant, de l'expression de la pensée musicale.
Notre approche, que, par emprunt à la terminologie informatique, nous définissons comme étant "orientée objets", vise précisément à mettre en lumière:
Circonscrite, provisoirement, au corpus paradigmatique que constitue la littérature pour piano, et, en même temps, àune approche restrite au "niveau neutre" de l'écrit musical [Nattiez 86], elle est assistée par un outil informatique spécifique développédans l'environnement Patchwork.
Il s'agit tout d'abord de reconfigurer le continuum musical symbolisé par la notation en une séquence d'objets. Un objet sonore étant le produit de l'interaction d'un nombre varié de composants que nous énumérerons plus avant, la rupture dans la continuité structurelle d'au moins un de ces composants implique une rupture dans la continuité sonore et, par conséquent, identifie une nouvelle étape structurelle, c'est-à-dire un nouvel objet.
Ces composants ne sont pas équivalents quant à leur capacité de concrétiser les ruptures du continuum, et par conséquent d'orienter la segmentation. Ils agissent sur des niveaux plus ou moins globaux de la surface séquentielle, niveaux qui varient en fonction des techniques d'écriture du compositeur, de l'oeuvre ou du contexte local. En termes de superficie musicale, ils se traduisent par des ruptures macro-formelles (respirations, silences, points d'orgues...), des interruptions de pédales et/ou de liaisons d'articulation, ruptures d'homogénéité dans les intensités, les registres, les configurations rythmiques, les densités, etc...De ce fait, tout objet entretient par définition un certain degré d'opposition avec les objets adjacents.
Si les critères de segmentation se veulent aveugles en regard des principes de découpage périodique adoptés par le compositeur - structure phraséologique, thématique, ... - ils n'interdisent pas leur éventuelle coïncidence, surtout à un niveau structurel hiérarchique élevé. Cette indépendance est toutefois fondamentale pour pouvoir évaluer les rapports instaurés entre ce niveau spécifique d'organisation (celui des objets) et les niveaux super-, sub-, ou adjacents.
La description de la structure sonore d'un objet passe, en premier lieu, dans le présent modèle, par l'évaluation de la qualité sonore intrinsèque de chaque note qui le constitue. Les données fournies par les recherches scientifiques en acoustique du piano ces trente dernières années [Boutillon 91], [Kent 77], [McFerrin 72], [Suzuki 90], et al., permettent de dégager assez précisément une relation typique, qui peut être réduite à un principe de décroissance pondérée de la complexité du timbre, proportionnelle à la hauteur de la fréquence fondamentale qui correspond à la note écrite. Nous avons modélisé cette relation au moyen de plusieurs équations, qui ne seront pas détaillées ici. Elles représentent respectivement les décroissances du nombre de partiels audibles, du taux d'amortissement du son, ainsi que la croissance du rang du partiel dominant au plan de l'intensité (décibels). Cette modélisation attribue un poids relatif à chaque note, appelé k, en fonction de sa hauteur nominale. Le graphique représente l'évolution de la valeur de k le long de la tessiture du piano.
Les deux points d'inflexion de la courbe se situent autour des notes Si1 et Do4 (Do4 = Do central). Le premier correspond à une rupture de continuité dans le matériau des cordes et leur nombre. Le modèle reproduit bien le ralentissement de la perte de qualité timbrale à cet endroit, dû, en particulier, à l'effet de detuning caractéristique du bicordage qui intervient à ce moment-là. L'accélération de la pente dans la deuxième moitié de ce segment (à partir de Ré3) corrobore les observations selon lesquelles les valeurs diminuent à peu près de moitié dans ce registre. A partir du milieu du clavier la décroissance se stabilise en devenant pratiquement linéaire.
Cette permanence causale [Schaeffer 66] peut être modulée jusqu'à un certain point par la vélocité d'attaque du marteau. Cette modulation, que nous appelons v , est modélisée par une équation complémentaire, qui augmente k en fonction de v.
Deux hauteurs (k = 0.1 et 1.0) modulées par diverses intensités:
Ce dernier exemple montre comment l'intensité peut compenser les différences qualitatives intrinsèques.
La synthèse des deux valeurs produit le facteur q, et la somme (pondérée) des facteurs q des notes constituant un objet constitue une abstraction quantifiée de sa complexité sonore intrinsèque relative. Il faut à présent évaluer l'incidence de la structure de l'objet sur cette complexité intrinsèque.
Nous avons établi que la structure d'un objet sonore peut être décrite comme étant le produit de l'interaction de plusieurs composants de l'écriture. Nous décrirons cette interaction à partir d'une proposition de [Berry 87]. La densité d'une structure sonore, qui désigne le nombre de sons qui la composent, est un élément déterminant pour la définition de son identité. Mais Berry; observe en même temps que la seule mesure du nombre d'individus composant chaque objet est en soi insuffisante : dans l'exemple ci-dessous, elle amènerait à la conclusion que les neuf objets sont identiques, ce qui ne reflète qu'une part de la réalité.
Il existe en effet un corollaire qualitatif à la densité: c'est la façon dont sont distribués ces sons, soit dans l' "espace", soit dans le "temps", soit dans les deux dimensions simultanément. Dans la première séquence (objets a-b-c), la position de la hauteur interne de chaque agrégat, en termes de distance intervallique par rapport aux deux autres notes, qui en bornent l'ambitus, évolue du symétrique parfait - une quinte juste de part et d'autre dans (a) - à son contraire absolu - septième majeure/seconde mineure dans (c). Cette évolution impose une dynamique sonore à l'ensemble, de type "consonance-vers-dissonance". Dans la deuxième (objets d-e-f), c'est l'irrégularité croissante de la distribution des trois événements dans le temps qui crée une progression linéaire analogue, du plus régulier (d) au plus irrégulier (f). Dans la troisième (objets g-h-i), la dynamique des deux dimensions, "verticale" et "horizontale", est combinée.
Dans les trois cas, on dira que la quantité "densitive", ici invariable, est modulée par la qualité "distributionnelle", dont la complexité augmente progressivement. En la circonstance, c'est l'évaluation de la distribution, et non de la densité, qui apporte une information intéressante sur la dynamique formelle qui habite ces trois séquences. On définira donc dans cette situation la distribution comme le composant actif, et la densité , comme le composant passif, de cette dynamique, et l'on dira que la distribution des sons dans l'espace et/ou le temps agit comme modulateur qualitatif de la densité.
Cette interaction entre deux composants complémentaires de l'écriture, l'un représentant une quantité, l'autre une qualité, constitue la base d'un réseau hiérarchiséde relations sur lequel se fonde notre approche méthodologique.
Pour illustrer la façon dont les relations interdépendent verticalement, c'est-à-dire hiérarchiquement, nous reprendrons la séquence a-b-c de cet exemple en introduisant de nouvelles variables.
L'analyse de la densité et de la distribution révèle que cette séquence est, sur ces points, identique à la première: la densité absolue reste fixée à trois sons, et la distribution des intervalles obéit au même modèle de progression linéaire, du plus symétrique (j) au plus assymétrique (l).
Mais cette fois, ce couple densité /distribution ne suffit plus à décrire la dynamique sonore de la séquence. Il faut aussi prendre en considération un autre couple d'éléments, à savoir l'ambitus, c'est-à-dire la taille de l'objet, mesurée conventionnellement en nombre de demi-tons entre les bornes grave et aigue, et la registration, c'est-à -dire la localisation de cet ambitus dans l'univers pianistique. L'ambitus est une variable quantitative, dont la valeur, en l'occurrence, diminue graduellement d'un objet à l'autre: j = 14 (demi-tons), k = 10, et l = 7. La registration, qui s'exprime par un glissement de l'aigu au grave, influe sur le résultat sonore produit par le resserrement de l'ambitus. Au contraire de l'ambitus, la registration est une variable qualitative. La relation entre ces deux composants est analogue à celle établie entre la densité et la distribution: la registration intervient comme un modulateur de la qualité de l'espace sonore attribuépar le compositeur à chacun des trois objets, espace qui se mesure, lui, en termes de quantité. Ce n'est qu'à l'intérieur de cette double dynamique - resserrement de l'espace versus descente vers le grave - qu'interfèrent, conjointement, la densité et la distribution des sons, qui représentent également, respectivement, des quantités et des qualités.
Il y a donc deux étapes d'interactions. La première concerne celle de la qualité "distribution" sur la quantité "densité" et, simultanément, celle de la qualité "registration" sur la quantité "ambitus". Pour saisir la deuxième étape, il faut passer à un niveau supérieur d'interprétation de l'écrit, et analyser le couple densité/distribution en tant que composant unifiéde l'écriture, dont les qualités propres vont moduler les structures sonores configurées par le couple ambitus/registration, qui est considéré lui aussi à présent comme un autre de ces composants unifiés. En d'autres termes, chaque couple produit un nouveau composant, plus complexe, parce que composite, et l'ensemble, un nouveau couple basé à son tour sur la complémentarité interactive quantité/qualité. On pourrait représenter les interactions en jeu dans cet exemple par le schéma suivant.
Les règles de notre procédure analytique peuvent en synthèse s'énoncer de la manière suivante:
1 - L'objet sonore, déduit du processus de segmentation du continuum musical décrit à la section précédente, est décomposé en un certain nombre de composants.
2 - Un composant se définit par le fait qu'il est accessible de manière objective, c'est-à-dire sans jugement préalable de valeur ou d'interprétation, à la lecture de la partition - tels les quatre que nous avons mentionnés dans les exemples ci-dessus.
3 - Ces composants sont d'ordre soit quantitatif, soit qualitatif. Chaque composant d'ordre qualitatif exerce une influence sur un composant d'ordre quantitatif. On dit que le premier module le second. Cette action produit, par synthèse, un nouveau composant, appelé composé. L'interaction quantité/qualité s'exprime de la manière suivante :
où r est le résultat, p le composant d'ordre quantitatif et m celui d'ordre qualitatif.
On aura compris que ce système est fondé sur une interprétation métaphorique de la technique de synthèse des sons par modulation de fréquences [Chowning 88].
Cette interaction complémentaire forme le premier niveau d'un réseau de relations structurelles.
4 - Ce réseau se ramifie par synthèses successives de couples de composés qui reproduisent le schéma d'interaction entre une quantité et une qualité. Chaque niveau subséquent de synthèse représente une dimension plus complexe, plus composite, de la structure de l'écrit musical, le dernier d'entre eux correspondant à ces objets sonores dont la successivité engendre, par différents degrés d'opposition, la dynamique de la forme.
Les composants sont évalués en fonction de leur participation à l'élaboration de la configuration sonore d'un objet donné. L'information qui sert de fondement à cette évaluation, est le taux de complexité relative que le compositeur a affectée au composant, au moyen de sa configuration écrite. La "complexité" maximum correspond à la configuration qui produit la sonorité la plus "complexe" possible - dans le domaine où le composant agit. Dans ce cas, le poids participatif attribué à ce composant est de 100 %. A l'autre bout, les configurations les plus simples sont celles qui génèrent les sonorités les plus "simples" possibles.
Naturellement, le signifiant des notions de "simplicité" et "complexité" varie en fonction de la nature du composant auquel on se réfère. Ainsi, si l'on parle de densités, l'échelle qualitative d'appréciation va du "vide" à la "saturation", alors que celle des distributions peut aller, par exemple, de la "stricte régularité" à l' "irrégularité maximale".
La complexité maximale possible devient le référent pour le calcul du taux d'implication du composant dans la configuration de la complexité sonore globale. Le résultat est donc toujours une valeur relative, qui se traduit par un nombre réel situé entre (0.0) et (1.0), correspondant au taux de satisfaction du critère de complexité maximale.
Le grand avantage d'une évaluation relative par rapport à une évaluation absolue est que seule la première permet l'analyse comparée de composants ou d'objets hétérogènes [exemple].
Pour plusieurs raisons que nous développons dans la thèse, il a apparu pertinent d'analyser séparément le contenu achronique de chaque objet, en le dissociant, provisoirement, des modalités d'organisation temporelle. Pour ce faire, toutes les hauteurs, accompagnées des informations disponibles sur les intensités qui sont assignées à chacune, et autres données jugées pertinentes (pédales par exemple), sont ramenées au point 0 de l'axe du temps. L'objet est ainsi évaluéselon divers critères et modèles d'occupation et de distribution exclusivement "spatiales". Une fois ce contenu décrit, par des outils d'investigation appropriés, le facteur temps peut être réintroduit dans la procédure analytique comme élément distributeur/modulateur des propriétés achroniques.
Ces deux groupes d'évaluations sont par convention représentés dans un espace cartésien bidimensionnel virtuel, où la synthèse des évaluations achroniques occupe l'axe vertical des ordonnées, nomméS-AXIS, tandis que les informations relatives aux modalités d'occupation du temps sont portées sur l'autre axe, T-AXIS. Les modalités de déploiement du matériau dans le temps influant sur le taux final de complexité sonore de l'objet, en particulier par des effets de dilution, de concentration ou de discrimination de saillance, on dira que la structure diachronique d'un objet est un modulateur de son contenu achronique.
Structures achronique (a) et diachronique (b) du premier objet sonore de La Cathédrale engloutie de [Debussy 09]. La complexité de la structure achronique, provoquée simultanément par un très large ambitus, une épaisse densité et la présence de sons conjoints provoquant des dissonances, se trouve sensiblement diluée par une organisation diachronique qui en atténue les effets.
La structure achronique (a) et deux versions de la structure diachronique (b, c) du premier objet sonore de la Klavierstücke IX de [Stockhausen 54] . Ici, les qualités achroniques sont exacerbées par les qualités diachroniques.
La comparaison des pondérations ainsi affectées à une série d'objets permet d'évaluer quantitativement l'intervalle qualitatif qui les sépare. Du même coup, la voie est ouverte à une interprétation formelle-fonctionnelle des sonorités dans le cadre du projet compositionnel comme un tout. La séquence numérique des évaluations d'une série d'objets composant une oeuvre ou un fragment d'oeuvre peut résulter en une représentation graphique tridimensionnelle, qui s'apparente à celles proposées par plusieurs groupes de chercheurs [Grey 77], [Plomp 70], [Wessel 78], et al., visant à une description comparée des timbres instrumentaux. La figure ci-dessous en est un exemple.
Une sélection de 25 objets sonores (étiquetés par un numéro d'ordre) caractéristiques de l'Etude "pour les Sonorités Opposées" de [Debussy 15], décrits par leur contenu achronique (axe S) et le mode de distribution de ce contenu dans le temps (axe T).Le point 0 correspond à la complexité minimum, pour les deux axes. L'objet de numéro 23 est donc celui présentant la plus haute qualité sonore de la sélection.
A titre d'illustration, les coordonnées de 4 autres objets ont été mises en évidence. Ils éclairent la directionnalité négative du début de la pièce (objets 1, 3, 5, rappelés ci-dessous), et la cyclicité de la macro-structure sonore, puisque le dernier objet (54) rejoint le premier dans l'espace.
Nous allons à présent décrire très succinctement l'ensemble des composants qui, dans notre modèle méthodologique, participent de la structure écrite d'un objet. Leur interconnexion peut être représentée par un diagramme, qui donne en même temps une idée de l'interface utilisateur projetée pour le programme informatique [voir à ce sujet section 3 plus bas].
On voit dans le diagramme comment ces composants de base sont regroupés en couples modulé/modulateur pour produire des composés de synthèse, conformément ànos postulats.
Cette approche analytique fait appel à l'informatique pour la saisie, le traitement et la représentation des données. Nous avons choisi l'environnement logiciel Patchwork [Laurson 93] pour le développement des algorithmes d'assistance. A cette fin, il est créé autant de fichiers Midi que d'objets en lesquels a été segmentée la partition. La procédure de segmentation décrite plus haut n'a pas encore fait l'objet d'une automation informatique, car elle implique de complexes processus d'intelligence artificielle, par le fait qu'à tout instant des décisions d'arbitrage doivent être prises quant aux critères préférentiels de segmentation ou de réduction. Une telle implémentation constitue l'axe prioritaire de la prochaine étape de cette recherche.
Patchwork , environnement conçu a priori pour la composition, est basé sur la programmation fonctionnelle, au moyen de patches. Son interface, où chaque fonction se présente sous forme d'une "boîte" munie d'entrées clairement définies et d'une sortie, rend la programmation d'algorithmes complexes accessible à tout utilisateur non spécialiséen informatique. Cette programmation se réalise sous forme graphique, par une interconnexion des boîtes, appelées "modules", au moyen de "câbles" virtuels, et par la possibilité de représenter ces patches sous la forme de nouvelles boîtes, nommées "abstractions", le nombre et le niveau de profondeur d'imbrication hiérarchique des abstractions n'étant limité que par les capacités de l'ordinateur. Compatible avec la norme Midi, Patchwork peut recevoir à travers ce protocole, moyennant quelques conventions, la quasi totalité des informations contenues dans une partition pour piano (ce point est toutefois discutéde manière plus approfondi dans la thèse). Son aptitude à gérer et à interagir avec la connaissance musicale, et son architecture extensible, en font un outil qui pourrait autoriser le traitement critique des données musicales saisies, contribuant à l'intelligence de la structure musicale. Sous cet angle, il est susceptible de devenir un instrument d'aide à l'analyse musicale.
Chacun des composants des structures achroniques et diachroniques (décrits supra sections 2.6 et 2.7) correspond à un module Patchwork qui incorpore le (s) algorithme (s) nécessaire (s) à l'évaluation quantitative et/ou qualitative de sa participation à la configuration de la sonorité. Un module reçoit en entrée, soit le fichier Midi source - dont il extrait les seules données pertinentes pour le composant en question - , soit le résultat de l'évaluation d'un module en amont. Si le module est à l'intérieur de la chaîne hiérarchique des évaluations, il est connecté en sortie à un module subséquent. Comme nous l'avons déjà mentionné, la structure du programme informatique obéit strictement à celle représentée dans le diagramme . La figure ci-dessous reproduit un exemple typique des patches développés.
Le module "read" importe le fichier Midi. Le module "sco > notes" le présente sous forme d'une liste multiple, reprenant toutes les informations relatives aux événements Midi contenues dans l'original, par exemple:
((0 1 10300 35 80) (0 1 9800 35 80) (0 1 9600 35 80) (0 1 9100 35 80) (0 1 6700 35 80) (0 1 6200 35 80) (0 1 6000 35 80) (0 1 5500 35 80) (80 1 6000 35 440) (80 1 5200 35 440) (80 1 5500 35 440) (80 1 6400 35 440) (80 1 6700 40 440) (80 1 7200 40 440) (80 1 7600 40 440) (80 1 7900 40 440) (160 1 2400 35 360) (160 1 3100 35 360) (160 1 3600 35 360))
Les arguments de chaque sous-liste sont placés dans l'ordre (onset , canal Midi, note, vélocité, durée). Le fichier est stocké dans un "buffer" (mémoire-tampon). Les données sont décomposées et chaque argument de chaque sous-liste est envoyé, par le biais du module "matrix-transfert" ("mat-trans" dans la figure) à un module réservé: le module "onset" reçoit les onsets, le module "notes", les notes, etc.
Ce sont ces modules qui vont fournir les informations dont les algorithmes d'évaluation ont besoin. Ainsi, le module "band-éval-piano", dont la "boîte" renferme une série d'algorithmes, évalue la distribution des sons du fichier par registre pianistique, dans un univers convenu et justifié de sept registres dont les bornes (les "bands") ont été préalablement définies et programmées. Pour cela, il n'a besoin que des notes. C'est donc le module "notes" qu'il attend. La liste qu'il reçoit est la suivante, en l'occurrence :
(2400 3100 3600 5200 5500 6000 6200 6400 6700 7200 7600 7900 9100 9600 9800 10300)
dans laquelle chaque valeur correspond au troisième argument de chacune des sous-listes du fichier contenu dans le buffer .
Le patch "band-éval-piano" produit en retour une liste numérique indiquant le nombre de notes trouvées dans chacun des sept registres. Les registres sont présentés du plus grave à gauche de la liste, au plus aigu à droite :
(2 1 1 10 1 3 1)
L'évaluation produite par "band-éval" peut être utilisée telle quelle ; elle est en particulier intéressante pour établir une cartographie des registrations le long d'une pièce entière . Mais elle est également recyclable par un module subséquent ("reg") dont la fonction est de déduire la qualité sonore relative des registrations dans le fichier source, en fonction d'un certain nombre de postulats. La valeur retournée, en l'occurrence (1.00) dans l'exemple, représente le poids qualitatif de la registration dans la configuration de la sonorité particulière à cet objet . Cette valeur est ensuite réutilisée par d'autres modules, non représentés dans cet exemple.
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L'une des principales finalités de cette approche méthodologique est l'explicitation des relations entre les niveaux inférieur et supérieur de l'écriture, avec une emphase sur la fonction formelle de ces derniers, peu systématisée jusqu'à présent.
Nous aimerions montrer en conclusion un exemple concret d'application sur le Prélude "Brouillards" de [Debussy 09], exemple tiré de la thèse [Troisième Partie, Ch. 4]. Comme l'avait bien fait entrevoir [Schnebel 64], nous voyons dans cette oeuvre Debussy structurer la forme par l'articulation différentielle de sonorités, et non par un processus de transformation motivique. En d'autres termes, le pouvoir structurant habituellement confié à l'élément motivique se trouve dilué dans les systèmes d'articulation des sonorités.
En effet, tout le matériau de bas niveau de "Brouillards" (les pitch-classes) est généré par un processus de prolongation d'un motif générateur de base. Le concept de prolongation englobe aussi bien les techniques de répétition que celles de variations présentant peu de caractéristiques différentielles. L'essentiel de ce processus est montré de forme synthétique mais suffisamment claire, croyons-nous, dans l es analyses "muettes" ci-dessous.
Tous les procédés de variation étant simples, les affinités motiviques ne laissent jamais d'être prégnantes. La prolongation systématique et pratiquement omniprésente d'une idée basique confère à l'infrastructure une caractéristique anaphorique qui, par son aspect répétitif, monotone, statique, assure l'unité sonore de la pièce.
Par contre, la dynamique de sa structure repose pour l'essentiel sur des procédés de transformation de la configuration des objets sonores. Nous avons regroupéci-après quelques exemples du rapport dialectique qui s'instaure entre la relative invariance chromatique et la systématique d'opposition structurelle au plus haut niveau.
La transposition du motif donne au deuxième objet une sonorité un peu plus complexe, car il s'est légèrement déplacé vers le grave (graphe SPACE), tandis que l'ajout d'une note augmente simultanément le taux d'inharmonicité (HARMONICITY) et les densités spatio-temporelles (S et T-DENSITY). On remarque en outre qu'en valeurs absolues (/x/ de P-DIRECTION), la directionnalité du deuxième objet est très nettement plus prononcée, ce qui contribue aussi à sa complexification statistique, selon les postulats de cette approche analytique. On a mentionné l'infrastructure chromatique (numérotation par classes d'intervalles à partir de deux fondamentales indiquées en notation alphabétique) pour souligner la similarité infrastructurelle (le statisme) des deux objets.
Les différences entre ces deux objets, dont la similarité infrastructurelle est frappante, ne peuvent être décrites qu'à partir de l'étude de l'évolution de composants tels que la densité temporelle (T-DENSITY), les taux d'occupation de l'ambitus pianistique (SPACE) et de la linéarité de la distribution des notes (S-LINEARITY), la durée relative (SPAN) et l'enveloppe des intensités (V-ENVELOPPE), composants qui, tous, contribuent à une augmentation de la complexité sonore, tandis que d'autres agissent contradictoirement dans le sens d'une diminution de cette complexité: taux de dissonance (SONANCE) et profil directionel (/x/ P-DIRECTION). Une analyse du bas niveau ne pourrait qu'observer les transpositions parallèles Sol vers Réde l'accord et Sol vers Sol# de l'arpège.
Ici, finalement, la quasi-identité du contenu chromatique rend ce niveau d'analyse incapable d'expliquer le puissant contraste sonore, qui est obtenu, comme dans l'exemple antérieur, par des transformations qui simultanément augmentent (graphes du haut) et amoindrissent (graphes du bas) la complexité relative du deuxième objet. Le profil directionel PITCH-DIRECTION est cette fois expriméen valeurs réelles, qui informent le sens de la direction.
L'analyse complète de cette oeuvre nous a permis de conclure à une complémentarité des deux niveaux d'écriture, et à une partition des rôles qui laisse à l'organisation du super-niveau, celui des objets sonores, une part essentielle de responsabilité dans la structuration manifeste de la forme, confinant les relations motivico-chromatiques dans une fonction stabilisatrice sous-jacente.
Cet exemple met en lumière les conclusions que cette méthode permet d'avancer quant à certaines stratégies de structuration formelle qui deviendront fondamentales dans la praxis musicale après Debussy. Par un système cohérent d'évaluation de caractéristiques a priori hétérogènes, réalisée au moyen d'outils spécifiques, elle a pour but de permettre l'incorporation des dimensions complexes de la pensée du sonore à l'explicitation des modalités d'engendrement de la forme dans la musique du XXe siècle.
Lisez un article analysant les relations entre espace et forme dans "La Cathédrale engloutie".
La recherche et la thèse à l'origine de ce texte ont été réalisées avec l'aide financière du CNPQ (Centro Nacional da Pesquisa Científica, Brésil) et l' appui logistique de l'Ircam.Nous remercions G. Assayag, C. Rueda et M. Malt pour leur aide à la réalisation des patches et M. Battier pour ses observations et conseils.
Des renseignements sur la continuité de ce travail, sur l'auteur, sur les lieux où la thèse originale peut être consultée (outre la Médiathèque), ainsi que sur les modules Patchwork décrits dans ce texte, qui sont disponibles, peuvent être obtenus sur le site http://terra.npd.ufpb.br/~guigue.